jeudi 14 août 2008

Mahmoud Darwich, ou vivre (et mourir) sous la botte du régime sioniste

Le poète Palestinien Mahmoud Darwich s'est éteint le 9 août 2008 dans un hôpital aux Etats-Unis. Cette information a bien sûr été largement répercutée par la presse internationale et arabe.
Les quelques vers qui suivent donnent une petite idée de la veine poétique qui animait Darwich et confirment l'étonnante lucidité dont savent souvent faire preuve les poètes.
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ils ont fouillé sa poitrine
ils ont fouillé son coeur
n'y ont trouvé que son peuple
ils ont fouillé sa voix
n'y ont trouvé que sa tristesse
ils ont fouillé sa tristesse
n'y ont trouvé que sa prison
ils ont fouillé sa prison
et n'y ont trouvé qu'eux-mêmes enchaînés
Extrait du Poème de la terre publié dans le recueil "Rien qu'une autre année," Editions de Minuit - 1983
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Originaire du village d'al Birwa, qu'il a dû quitter avec sa famille expulsée en 1948 par les forces sionistes, Mahmoud Darwiche était donc un réfugié depuis l'âge de sept ans. Et ce n'est pas la mort qui lui a ôté ce statut puisqu'il n'a pas été enterré dans le cimetière de son village natal mais à Ramallah en Cisjordanie. Les obsèques de M. Darwich donnent justement l'occasion à Jonathan Cook d'illustrer un peu plus ce que c'est que de vivre (et de mourir) sous la botte du régime sioniste.
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Le village du poète ne vit plus que dans la mémoire
Par Jonathan Cook, The National (Emirats) 12 août 2008, traduit de l’anglais par Djazaïri

JUDEIDI, ISRAEL // Peu d’indices permettent de localiser le cimetière d’al Birwa. Son entrée non signalée est au bout d’une piste poussiéreuse, et la plupart des pierres tombales sont renversées sur le sol non entretenu et pierreux. Les tiges fragiles et brûlées par le soleil des chardons de Galilée qui sortent rapidement de terre au printemps sont les seuls visiteurs réguliers.
C’est l’endroit, près de la cité côtière d’Acre au nord d’Israël, où, selon sa famille, Mahmoud Darwich le « poète de la nation palestinienne », disait qu’il aurait voulu être enterré.En fait, après son décès ce samedi à m’âge de 67 ans sur la table d’opération d’un hôpital de Houston, il reposera aujourd’hui à Ramallah en Cisjordanie. Le corps de Darwich devait être transporté à Amman depuis les Etats-Unis dans un avion envoyé par Cheikh Khalifa bin Zayed, président des Emirats Arabes Unis et souverain d’Abu Dhabi, a déclaré Attalah Kheiry, l’ambassadeur de Palestine en Jordanie.Une cérémonie doit se tenir à l’aéroport militaire d’Amman ce matin avant le transfert par hélicoptère militaire jordanien des restes de Darwich pour les funérailles à Ramallah
Al Birwa, le village où Darwich a vécu ses premières années est aujourd’hui à peine plus qu’un souvenir – même s’il l’a immortalisé dans sa poésie. Ses constructions ont été rasées par l’armée israélienne pendant la guerre de 1948 qui a permis d’établir l’Etat d’Israël en envoyant 750 000 Palestiniens en exil. A l’âge de sept ans, Darwich et sa famille furent forcés de fuir vers le Liban. Au cours de sa vie Darwich ne savait que trop que les autorités israéliennes ne lui permettraient pas de revenir dans son village – même mort. Pendant une soixantaine d’années, l’accès au cimetière a été contrôlé entièrement par deux municipalités juives, Yasur et Achihud, qui ont pris possession des vastes terres du village.Darwich a écrit simplement que sa volonté était d’être « enterré en Palestine. »
Au cours d’un entretien l’an dernier, il se remémorait avec tendresse son enfance à Birwa, donnant à comprendre la force de son influence sur sa poésie de la perte et de l’exil qui l’a rendu célèbre.« Je préfère garder les souvenirs qui s’attardent toujours dans des espaces ouverts, des champs de pastèques d’oliviers et d’amandiers,» déclarait-il à Haaretz, un journal israélien. « Je me souviens du cheval attaché au murier dans la cour et comment j’étais monté dessus avant qu’il me fasse tomber et que je sois puni par ma mère… Je me souviens des papillons et du net sentiment que tout était ouvert. Le village était sur une colline et tout s’étendait en contrebas.»
Depuis le décès de Darwich, sa famille s’est installée dans la traditionnelle tente mortuaire à Judeidi, le village arabe qui est devenu leur lieu de vie. A seulement quelques minutes en voiture d’al Birwa, Judeidi est le lieu le plus proche de leurs anciennes terres que les Darwich purent trouver.Se tenant sous les bâches de protection tendues sur la cour familiale, Ahmed, le frère aîné du poète, salue le flot des personnes venues présenter leurs condoléances. « On a beaucoup discuté de l’endroit où Mahmoud devrait reposer, » dit-il.
« Avant de se fixer sur Ramallah, la direction palestinienne a laissé entendre qu’une requête devrait être faite auprès d’Israël afin qu’on puisse l’enterrer à Judeidi. Mais Mahmoud n’a jamais été un fils de Judeidi. Son âme appartenait à al Birwa. » La mère de Darwich, Houriya, 85 ans, dit s’être résignée au fait que son fils ne serait pas autorisé à revenir dans la campagne de Galilée qui enflammait son imagination. Montrant une photo d’un jeune Mahmoud regardant en contrebas d’un mur derrière elle, elle dit : « Je voudrais que mon fils soit enterré ici, mais ce n’est pas que mon fils, c’est le fils du monde arabe tout entier.»
Ahmed Darwich, 70 ans, est d’accord : « Mahmoud et sa poésie appartenaient à l’ensemble du peuple palestinien, et il vaut mieux que sa dernière demeure se trouve là où tous les Palestiniens peuvent la visiter.»
Paradoxalement cependant, la propre famille de Darwich devra se battre pour assister à ses funérailles aujourd’hui à Ramallah.
En vertu de la loi israélienne, eux, comme tous les Arabes ayant la citoyenneté israélienne, n’ont pas le droit de pénétrer dans des zones contrôlées par les Palestiniens telle que Ramallah. Des démarches discrètes ont été faites auprès d’officiels afin de trouver un moyen de contourner les check points qui limitent l’accès à la Cisjordanie.
Mahmoud Darwich avait quitté la Galilée en 1971 pour étudier à l’étranger après des emprisonnements répétés et trois années consécutives d’assignation à domicile. Ultérieurement, Israël l’a déchu de sa citoyenneté et lui a refusé le droit de voir sa famille jusqu’au milieu des années 90 et la signature des accords d’Oslo.
En 1995, il avait été autorisé à assister à Haïfa aux funérailles de son ami Emile Habibi, écrivain lui aussi et, l’an dernier, on lui avait donnée un permis de deux jours pour une lecture publique de ses poèmes en Israël. Il avait saisi ces rares opportunités pour voir également sa famille, explique Ahmed Darwich.
Sa mère a conservé sa chambre dans la maison familiale telle qu’elle était à son départ en 1971, avec un mur d’étagères remplies de livres vieillissants. En dépit de quelques efforts pour mettre Darwich dans les programmes scolaires israéliens, son œuvre est interdite d’écoles, y compris dans le système séparé pour les élèves Arabes.Si Israël semblait prêt à quelques concessions sur une visite de Darwich en Galilée de son vivant, il n’a jamais été question qu’elle fasse compromis pour son enterrement à al Birwa.Israël a toujours maintenu que les réfugiés des plus de 400 villages palestiniens détruits après la guerre de 1948 – même les réfugiés qui ont la citoyenneté israélienne – n’avaient pas le droit de venir sur leurs anciennes terres. Si le cas venait à se produire, on craint la création d’un précédent qui ferait que les millions de réfugiés Palestiniens encore dans des camps dans tout le Proche Orient auraient droit au retour.
Darwich vient s’ajouter à une longue liste de Palestiniens connus à qui on a refusé le droit d’être enterrés là où ils sont nés, tels Edward Saïd, un critique littéraire et défenseur de la cause palestinienne, qui repose au Liban, et Najil Ali, un dessinateur Palestinien enterré à Londres.Ilan Pappe, un historien Israélien, observe que reconnaître l’injustice faite aux palestiniens en 1948, « soulève des questions éthiques qui ont des conséquences inévitables sur le futur » d’Israël.
Les réfugiés d’al Birwa luttent depuis des années contre l’opposition de l’Etat et des habitants Juifs qui ont pris leur place pour avoir la permission d’entretenir leur ancien cimetièreMohammed Kayyal, qui dirige un comité local de réfugiés, explique que personne n’a pu être enterré au cimetière d’al Birwa depuis 1948. Pendant des années, ils ont essayé d’empêcher les fermiers d’Achihud de faire paître leurs troupeaux dans le cimetière. Il y a quelques années, les réfugiés ont obtenu finalement la permission de mettre une clôture barbelée autour de ce qui reste des tombes pour les protéger.
Mais petit à petit, les fermiers d’Achihud empiètent à nouveau sur le cimetière. Une nouvelle grande étable en structures métalliques en construction se dresse au dessus des tombes. « Nous étions en haute cour la semaine dernière pour les empêcher de faire disparaître ce qui reste du cimetière, » explique M. Kayyal. « Ils voulaient étendre l’étable en plein milieu des tombes, mais le tribunal a fait cesser les travaux pour le moment.»Au moment où la famille de Darwich se tenait sous la tente funéraire, un voisin de Judeidi, réfugié également d’al Birwa, Abdul Rahman Kayyal, 78 ans, arpentait le cimetière de l’ancien village avec son fils et son petit fils.
Agé de 18 ans quand son village fut vidé par l’armée israélienne, il garde encore la clef rouillée de la maison familiale qui n’existe plus. Autrefois la maison se trouvait près de l’entrée du cimetière et de la maison d’Hussein Darwich, le grand-père de Mahmoud.
Des nombreux arbres fruitiers que sa famille possédait, seul subsiste un grenadier. « On dirait que les vaches ont plus de droits que moi sur ce lieu, » dit-il.
Texte trouvé grâce à The Angry Arab

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