Bush et la fabrication du rôle de l’Iran dans le terrorisme en Argentine
par GARETH PORTER, The Nation (USA) 18 janvier 2008, traduit de l’anglais par Djazaïri
Les recherches pour cet article ont été soutenues par of The Nation Institute
Même si le nucléaire et l’Irak ont été les principaux centres d’attention da la campagne de pressions de l’administration Bush contre l’Iran, les responsables Américains ont également cherché à salir l’Iran avec l’étiquette de soutien principal du terrorisme dans le monde. Et la dernière tactique de l’équipe de Bush est de miser sur une accusation vieille de 13 ans selon laquelle l’Iran est responsable du fameux attentat à la bombe de Buenos Aires qui avait détruit le centre communautaire juif de cette ville, l’AMIA, tuant 86 personnes et en blessant 300 en 1994. Sous couvert d’anonymat, de hauts responsables de l’administration américaine ont déclaré au Wall Street Journal du 15 janvier que l’attentat en Argentine « fait figure de modèle pour la manière dont l’Iran a utilisé ses ambassades à l’étranger et ses relations avec des organisations militantes étrangères, en particulier le Hezbollah, pour frapper ses ennemis ».
Cette campagne de propagande s’appuie fortement sur une décision prise en novembre dernier par l’Assemblée générale d’Interpol dont le vote a placé cinq anciens responsables Iraniens et un chef du Hezbollah sur la « liste rouge » de l’organisation policière internationale pour la présomption d’avoir organisé l’attentat de juillet 1994. Mais le Wall Street Journal rapporte que c’est la pression de l’administration Bush, associée à celle des diplomates Israéliens et Argentins, qui a permis d’obtenir ce vote. En fait, la manipulation de l’affaire de l’attentat en Argentine par l’administration Bush est dans le droit fil de sa longue pratique de recourir à des preuves manipulées ou fabriquées pour monter un dossier contre ses ennemis géopolitiques.
Après avoir passé plusieurs mois à interviewer des responsables à l’ambassade américaine à Buenos Aires bien au courant de l’enquête en Argentine ainsi que le chef de l’équipe du FBI qui a contribué à cette enquête et le mieux informé des enquêteurs Argentins sur cette affaire, j’ai constaté qu’aucune preuve réelle de nature à impliquer l’Iran dans cet attentat n’a jamais été trouvée. En se basant sur ces interviews et sur l’ensemble des documents relatifs à l’enquête, on ne peut qu’arriver à la conclusion que le dossier contre l’Iran dans l’attentat contre l’AMIA a été dès le départ orienté par l’animosité américaine contre l’Iran et non par un désir de découvrir les véritables auteurs.
Un montage d’hypothèses
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La démarche américaine vis-à-vis de l’attentat a été biaisée dès le départ par une stratégie de l’administration Clinton d’isolement de l’Iran, adoptée en 1993 dans le cadre d’un accord avec Israël sur des négociations de paix avec les Palestiniens. Le jour même du crime, avant qu’on ait pu découvrir quoi que ce soit sur la responsabilité de cet acte, le Secrétaire d’Etat Warren Christopher incriminait « ceux qui veulent stopper le processus de paix au Moyen-Orient » - une référence évidente à l’Iran.
William Brencick, le chef de la section politique de l’ambassade US à Buenos Aires et principal contact à l’ambassade pour notre enquête, s’est souvenu lors d’un entretien avec moi en juin dernier qu’un « montage d’hypothèses » avait orienté l’approche américaine de ce dossier. Selon Brencick, l’hypothèse fondamentale de départ était que l’explosion était due à un attentat suicide et que le recours à l’attentat suicide était une preuve claire de l’implication du Hezbollah – et donc de l’Iran.
Mais la thèse de l’attentat suicide a rapidement rencontré de sérieuses difficultés. Peu après l’explosion, le gouvernement de M. Menem avait sollicité des USA l’envoi d’une équipe pour aider à l’enquête et, deux jours après l’attentat, des experts du bureau des Alcools, du Tabac et des Armes à Feu [ATF] arrivaient à Buenos Aires ainsi que trois agents du FBI. D’après une interview accordée par Charles Hunter, chef de l’équipe d’ATF et expert en explosifs, à un groupe d’enquête indépendant conduit par le journaliste US Joe Goldman et le journaliste d’investigation Argentin Jorge Lanata, dès l’arrivée de l’équipe la police fédérale avait mis en avant la thèse selon laquelle une camionnette Renault Trafic blanche avait transporté la bombe qui avait détruit l’AMIA.
Hunter avait vite identifié de gros décalages entre la thèse du véhicule piégé et les effets de l’explosion d’après photos. Deux semaines plus tard, il rédigea un rapport où il notait que les marchandises d’un magasin situé juste à droite de l’AMIA avaient été projetées avec force à l’opposé de la devanture tandis que les marchandises d’un autre magasin avaient été projetées dans la rue – laissant à penser que l’explosion s’&était produite à l’intérieur plutôt qu’à l’extérieur. Hunter disait aussi ne pas comprendre comment les bâtiments de cette rue pouvaient encore tenir debout si la bombe avait explosé devant l’AMIA comme le suggérait la thèse du véhicule piégé.
Le manque de témoignages oculaires à l’appui de cette thèse était tout aussi frappant. Sur 200 témoins présents, un seul a affirmé avoir vu un Renault Trafic blanc. Plusieurs ont témoigné avoir regardé l’endroit où le Trafic était supposé être au moment de l’explosion mais n’avoir rien vu. Nicolasa Romero, l’épouse d’un policier de Buenos Aires, est ce témoin unique. Elle a déclaré avoir vu un Renault trafic blanc s’approcher de l’angle où elle se trouvait avec sa sœur et son fils âgé de quatre ans. Mais selon le témoignage de la sœur de Mme Romero, le véhicule qui était passé près d’eux n’était pas un Trafic blanc mais plutôt un taxi noir et jaune. D’autres témoins ont rapporté avoir vu un taxi noir et jaune quelques secondes avant l’explosion.
Les procureurs Argentins ont soutenu que des pièces d’un trafic blanc avaient été retrouvées fichées dans les corps de nombreuses victimes de l’explosion, preuve qu’il s’agissait d’un attentat suicide Mais cette preuve a été discréditée par Gabriel Levinas, chargé d’enquête par l’AMIA et membre de son équipe d’avocats. Levinas appartient à une grande famille juive de Buenos Aires qui publiait un magazine sur les droits de l’Homme pendant la dictature (la voiture de son oncle avait servi pour la capture du criminel de guerre Adolf Eichmann et son exfiltration vers Israël où il sera jugé en 1961).
Levinas avait découvert que les fragments du Trafic blanc avaient été expédiés par la police au constructeur pour des analyses qui aboutirent à la conclusion qu’aucune des pièces n’avaient été soumises à des températures élevées. Ce qui signifiait que ces fragments de véhicule ne pouvaient pas provenir du Trafic blanc que la police avait identifié comme étant le véhicule kamikaze – ce véhicule était d’ailleurs connu pour avoir brulé auparavant avant d’être réparé et remis en circulation.
Pourtant, en dépit du manque de témoignages oculaires et de la faiblesse des preuves valables en droit, le département d’Etat avait publiquement adopté l’histoire de l’attentat suicide en 1994 et 1995.
Le problème du mobile
Des enquêteurs indépendants se sont longuement interrogés sur le motif qu’aurait eu l’Iran de mener une action contre les Juifs Argentins au moment où son allié du Hezbollah était embarqué dans une lutte armée contre les militaires Israéliens au Liban. Dans leur inculpation en 2006 de plusieurs citoyens Iraniens pour l’attentat, les procureurs Argentins avaient soutenu que l’Iran avait organisé l’attaque contre l’AMIA parce que le gouvernement de Carlos Menem avait annulé deux contrats de transfert de technologie nucléaire vers l’Iran.
Mais le dossier d’inculpation contient des extraits de documents essentiels qui fragilisent cette conclusion. D’après un câble envoyé le 10 février 1992 par l’ambassadeur d’Argentine en Iran, le directeur du Département Amérique du ministère iranien des affaires étrangères avait « souligné la nécessité de parvenir à une solution du problème [de transfert de technologie nucléaire] qui éviterait de porter atteinte à d’autres contrats. » L’Iran avait ainsi clairement signifié son espoir de parvenir à une solution négociée qui pourrait réactiver les contrats suspendus et maintenir également d’autres contrats avec l’Argentine.
Le 17 mars 1992, une bombe avait détruit l’ambassade israélienne à Buenos Aires – un incident dont la justice argentine avait aussi tenu l’Iran pour responsable. L’acte d’inculpation cependant cite un haut responsable de INVA, une firme nucléaire argentine qui dominait à la Commission à l’Energie Atomique, expliquant que durant l’année 1992 avaient été noués des contacts entre INVAP et l’Organisation pour l’Energie Atomique de l’Iran « dans l’hypothèse d’une révision de la décision du gouvernement permettant de reprendre les travaux prévus dans les contrats. » Le même responsable confirmait que les négociations autour des deux projets suspendus s’étaient poursuivies de 1993 à 1995 – avant et après l’attentat contre l’AMIA. Ces révélations suggèrent que l’attitude de l’Iran envers l’Argentine au moment de cet attentat était exactement à l’opposé de ce qui est avancé dans l’acte d’inculpation.
Selon l’acte d’inculpation, le mobile de l’implication du Hezbollah dans l’attentat contre l’AMIA était de venger le bombardement par Israël d’un camp d’entraînement de cette organisation dans la vallée de la Bekaa début 1994 et l’enlèvement par Israël du leader chiite Mustapha Dirani au mois de mai. Cette théorie ne parvient toutefois pas à expliquer pourquoi le Hezbollah aurait choisi d’exercer des représailles contre des Juifs en Argentine. Le Hezbollah était déjà en guerre contre les forces israéliennes au Liban où cette organisation recourait à des attaques suicides dans ses efforts pour faire cesser l’occupation israélienne. Le Hezbollah disposait d’une deuxième possibilité facile de représailles en tirant des roquettes Katioucha sur Israël par delà la frontière.
C’est précisément ce que fit le Hezbollah pour riposter au massacre par Israël de quelques 100 civils Libanais dans la ville de Qana en 1996. Cet &épisode avait suscité chez les militants du Hezbollah une colère plus grande à l’égard d’Israël que n’importe quel autre événement des années 1990 selon Augustus Richard Norton, spécialiste du Hezbollah à la Boston University. Si le Hezbollah a répondu à cette provocation israélienne par des tirs de roquettes Katioucha sur le sol israélien, on a peine à comprendre pourquoi il aurait riposté à une agression israélienne moins grave en concevant une ambitieuse attaque à l’étranger contre des Juifs Argentins non reliés à l’occupation israélienne.
La fabrication
La pierre angulaire du dossier argentin était Carlos Alberto Telleldin, un vendeur de voitures d’occasion qui porte un nom chiite et était connu pour ses relations douteuses aussi bien avec des criminels qu’avec la police. Le 10 juillet 1994, Telleldin avait vendu le Trafic blanc présenté par la police comme le véhicule suicide à un homme décrit comme ayant un accent d’Amérique centrale. Neuf jours après l’attentat, Telleldin était arrêté soupçonné de complicité dans ce crime.
La police avait affirmé avoir été mise sur la piste de Telleldin par le numéro de série du bloc moteur de la camionnette et qu’on avait retrouvé dans les décombres. Une vraiment grosse bévue de la part des organisateurs de ce qui, pour le reste, avait été un attentat très professionnel, s’avoir laissée intacte une telle marque d’identification que n’importe quel voleur de voiture sait effacer. Ce qui aurait dû être un indice que l’attentat n’avait pas été orchestré par le Hezbollah dont les artificiers sont bien connus des spécialistes du renseignement US pour avoir été assez malins, lorsqu’ils avaient fait sauter l’ambassade américaine à Beyrouth, pour ne laisser aucune preuve tangible qui aurait permis de remonter jusqu’à eux. Ce qui aurait également dû amener à se poser la question de savoir si cette preuve n’avait pas été fabriquée par les policiers eux-mêmes.
Il est clair désormais que l’intention réelle du gouvernement Menem en arrêtant Telleldin était de l’amener à montrer du doigt ceux qu’il voulait accuser de l’attentat. En janvier 1995, Telleldin reçut la visite du capitaine Hector Pedro Vergez, retraité de l’armée et agent à temps partiel du SIDE, le service de renseignements argentin, qui lui proposa 1 million de dollars et la liberté s’il identifiait un des cinq ressortissants Libanais interpellés au Paraguay – des hommes qui auraient pu, selon la CIA, être des militants du Hezbollah – comme étant la personne à qui il avait vendu la fourgonnette. Après le refus par Telleldin d’accepter cet arrangement, un juge Argentin avait conclu à l’absence de preuves pour maintenir ces présumés militants en détention.
Le tribunal de Buenos abandonna les poursuites contre Telleldin en 2004, après avoir découvert que Luisa Riva Amayo, une juge fédérale avait rencontré Telleldin en 1995 pour discuter d’une autre possibilité de paiement afin qu’il témoigne avoir vendu la camionnette à plusieurs hautes personnalités de la police de la province de Buenos Aires, tous des alliés d’Eduardo Duhalde, le rival politique de Carlos Menem. En juillet 1996, le juge qui supervisait l’enquête, Juan Jose Galeano, avait offert à Telleldin 400 000$ pour impliquer ces officiers de police pour complicité dans l’attentat. (un enregistrement vidéo réalisé secrètement par des agents du SIDE et diffusé à la télévision en avril 1997 montrait Galeano en train de négocier le faux témoignage.) Un mois après avoir fait son offre à Telleldin, Galeano inculpait trois officiers supérieurs de la police de Buenos Aires pour leur implication dans l’attentat, sur la base du témoignage de Telleldin.
« Tout la piste iranienne a paru bien mince »
Au cours d’un entretien en mai dernier, James Cheek, ambassadeur de Clinton à l’époque de l’attentat m’a dit, « A ma connaissance, il n’y a jamais eu de véritables preuves [de la responsabilité iranienne]. On n’a jamais rien fourni. » La principale piste dans cette affaire, se souvient-il, était un transfuge iranien nommé Manoucher Moatamer, qui « était supposé avoir toutes les informations. » Mais Moatamer s’est avéré être seulement un responsable aigri et de faible importance qui ne savait rien de processus de décision de son gouvernement qu’il affirmait connaître. « Nous avions finalement conclu qu’il n’était pas crédible, » se rappelle Cheek. Ron Goddard, alors N°2 de la mission diplomatique américaine à Buenos Aires, confirme les propos de Cheek. Il se souvient que les enquêteurs n’avaient rien trouvé reliant l’Iran à l’attentat. Selon Goddard, « Tout la piste iranienne a paru bien mince.»
James Bernazzani, alors chef du service du FBI chargé du Hezbollah, avait reçu en octobre 1997 l’ordre de réunir une équipe de spécialistes et de se rendre à Buenos Aires pour assurer la veille sur l’affaire de l’AMIA. Bernazzani, actuellement chef du bureau du FBI à la Nouvelle Orléans a rappelé lors d’une interview accordée en novembre 2006 comment il en était arrivé à découvrir que l’enquête argentine sur l’attentat contre l’AMIA n’avait trouvé aucune preuve de l’implication de l’Iran ou du Hezbollah. Selon lui, les seuls indices à l’époque en faveur d’un rôle de l’Iran dans l’attentat étaient un enregistrement de vidéo surveillance montrant Mohsen Rabbani, l’attaché culturel de l’ambassade iranienne, en train de chercher à acheter un Trafic blanc et une analyse d’appels téléphoniques effectués dans les semaines précédant l’attentat.
Peu après l’attentat, Clarin, le plus grand quotidien de Buenos Aires, publia une histoire qui lui avait été divulguée par le juge Galeano, selon laquelle les services secrets argentins avaient filmé Rabbani cherchant à acheter un trafic blanc « des mois » avant l’attentat. Un résumé des mandats d’arrêt à l’encontre de Rabbani et de six autres iraniens en 2006, continuait à se référer à « d’indiscutables documents » prouvant que Rabbani s’était rendu chez des vendeurs de voitures à la recherche d’une fourgonnette semblable à celle soupçonnée d’avoir été utilisée pour l’attentat. En réalité, le rapport sur la surveillance de M. Rabbani soumis au juge Galeano dix jours après l’attentat montre que le jour où Rabbani s’est rendu chez un marchand de voitures était le 1er mai 1993, soit quinze mois avant l’attentat et longtemps avant la date à laquelle, selon les procureurs Argentins, l’Iran aurait décidé de s’en prendre à l’AMIA.
En l’absence de preuves concrètes, le SIDE s’est tourné vers « l’analyse des relations » téléphoniques pour établir un dossier de preuves indirectes de la culpabilité iranienne. Les analystes du SIDE ont soutenu qu’une série d’appels téléphoniques passés entre le 1er et le 18 juillet 1994 depuis un téléphone mobile se trouvant dans la ville frontalière de Foz de Iguazu devaient l’avoir étés par le « groupe opérationnel » pour l’attentat – et qu’un appel qui aurait été passé depuis un téléphone mobile appartenant à Rabbani pouvait être relié au même groupe. Bernazzani, du FBI, n’avait expliqué avoir été effaré par le recours du SIDE à l’analyse de relations pour établir des responsabilités. « Ca peut être très dangereux, » m’avait-il dit. « En utilisant ce genre d’analyse vous pourriez relier mon téléphone à celui de Ben Laden. » Selon Bernazzani, les conclusions auxquelles avaient abouti les enquêteurs Argentins n’étaient que pure spéculation » et ni lui, ni les responsables à Washington ne les avaient considérées sérieusement comme des preuves désignant l’Iran.
Puis, en 2000, un autre transfuge est apparu avec une nouvelle version de la responsabilité iranienne. Abdolghassem Mesbahi, qui affirmait être le N°3 du renseignement iranien, expliqua à Galeano que la d&décision de faire sauter l’AMIA avait été arrêtée au cours d’une réunion de hauts responsables iraniens, dont le président Akbar Hashemi Rafsanjani, le 14 août 1993. Mais Mesbahi fut vite discrédité. Bernazzani m’a expliqué qu’en 2000, Mesbahi avait depuis longtemps perdu tout accès aux services de renseignements iraniens, qu’il était « insignifiant » et disposé à « apporter son témoignage à n’importe quel pays pour n’importe quelle affaire impliquant l’Iran. »
Un informateur douteux
Bernazzani a reconnu devant mois que jusqu’à 2003, le dossier contre l’Iran ne reposait que sur des pistes « indirectes. » Mais il affirme qu’une percée importante était survenue cette année là avec l’identification du présumé kamikaze comme étant Hussein Berro, un militant Libanais qui, d’après un journal radiodiffusé libanais, avait été tué au combat contre les forces israéliennes au sud Liban en septembre 1984, deux mois après l’attentat contre l’AMIA. « Nous sommes satisfaits d’avoir identifié l’auteur en nous basant sur l’ensemble des sources d’informations, » m’a déclaré Bernazzani en citant « une combinaison de preuves matérielles et de témoignages. » Mais même l’identification de Berro avait été marquée par des preuves de fabrication et de manipulation.
Le narratif officiel est que le nom de Berro a été transmis au SIDE et à la CIA par un informateur Libanais en juin 2001. L’informateur était présenté comme s’étant lié d’amitié avec un ancien chauffeur du Hezbollah et assistant d’un haut responsable du Hezbollah nommé Abu Mohamad Yasin qui lui avait dit qu’un militant du Hezbollah du nom de « Brru » était le kamikaze. Cette histoire est suspecte à plusieurs titres, le plus évident étant que les services secrets ne révèlent pratiquement jamais le nom ni même l’ancienne fonction d’un authentique informateur.
Le témoignage devant le tribunal en 2003 de Patricio Pfinnen, l’agent du SIDE chargé de l’enquête sur l’attentat contre l’AMIA avant sa révocation en janvier 2002, amène à douter sérieusement de la crédibilité de l’informateur. Pfinnen avait témoigné que lorsque ses collègues et lui avaient rencontré à nouveau l’informateur pour lui poser d’autres questions, « quelque chose clochait dans ses informations, ou elles étaient mensongères. » Pfinnen avait déclaré que son équipe avait finalement écarté la piste Berro parce que les sources au Liban « faisaient défaut et n’étaient pas fiables. » Il concluait, « J’ai mes doutes sur le fait qu’il [Berro] soit la personne qui a été sacrifiée. »
Après le limogeage de Pfinnen au cours d’une lutte d’influence dans le service de renseignements, le SIDE désigna Berro comme l’auteur de l’attaque suicide dans un rapport secret. En mars 2003, juste après le bouclage du rapport, Haaretz [quotidien du Sionistan] rapportait que le Mossad avait non seulement identifié Berro comme étant l’auteur de l’attentat mais aussi posséder une transcription d’un appel longue distance de Berro dans lequel il faisait ses adieux à ses parents et leur annonçait qu’il allait « rejoindre » son frère qui avait été tué au cours d’une attaque suicide au Liban. Pourtant, au moment de l’inculpation, il était devenu clair qu’un tel appel n’avait jamais eu lieu.
En septembre 2004, un tribunal de Buenos Aires acquittait Telleldin et les officiers de police qui avaient été emprisonnés des années plus tôt, et en août 2005, le juge Galeano était mise sur la sellette et limogée. Mais les successeurs de Galeano, les procureurs Alberto Nisman et Marcelo Martinez Burgos continuèrent dans sa voie, dans l’espoir de convaincre le monde qu’ils pourraient identifier Berro comme l’auteur de l’attentat. Ils se rendirent à Detroit dans le Michigan où ils s’entretinrent avec deux frères de Berro et obtinrent d’eux des photos de ce dernier. Ils se tournèrent ensuite vers Nicolasa Romero, le seul témoin qui avait affirmé avoir vu le Trafic blanc sur les lieux du crime.
En novembre 2005, Nisman et Burgos annoncèrent que Romero avait identifié Berro sur les photos obtenues à Détroit comme étant la personne qu’elle avait vue juste avant l’attentat. De son côté, Romero déclara qu’elle ne « pouvait pas être absolument certaine » que Berro était l’homme présent sur les lieux du crime. En fait, dans son témoignage devant le tribunal, elle déclara qu’elle n’avait pas reconnu Berro dans le premier jeu de photos qu’on lui avait présenté ni même dans le second jeu. Elle finit par percevoir quelques « similitudes dans le visage, » mais seulement après que la police lui ait montré une reconstitution de visage réalisée d’après la description qu’elle avait donnée après l’attentat.
Bernazzani m’a expliqué que l’équipe du FBI à Buenos Aires avait découvert des traces d’ADN supposées être celles de l’auteur de l’attentat dans des &échantillons sous scellés, et Nisman fit prélever un échantillon d’ADN chez un des frères de Berro lors de sa visite de septembre 2005. « Je présume, même si je n’ai pas d’informations, que du moment qu’on avait l’ADN du frère on a procédé à une comparaison. Mais Nisman a affirmé à un journaliste en 2006 que les échantillons avaient été contaminés. De manière significative, l’acte d’inculpation des Iraniens ne fait pas mention de preuves par l’ADN.
En dépit d’un dossier contre l’Iran dépourvu de preuves crédibles ou de témoignages oculaires et qui repose largement sur des informations douteuses et le témoignage d’un transfuge discrédité, Nisman et Burgos rédigèrent en 2006 un projet d’acte d’inculpation à l’encontre des six ex officiels Iraniens. Toutefois, le gouvernement de Nestor Kirchner manifesta des doutes au sujet de la suite à donner au dossier judiciaire. Selon le journal Forward, quand des organisations juives américaines firent pression sur Christina, l’épouse de Kirchner, pour une accusation pendant une assemblée générale de l’ONU à New York, cette dernière indiqua qu’aucune date ferme n’avait été fixée pour une nouvelle étape judiciaire contre l’Iran. Pourtant l’acte d’inculpation fut signé le mois suivant.
Aussi bien Miguel Bronfman, le principal avocat représentant l’AMIA, que le juge Rodolfo Canicoba Corral, qui lança plus tard les mandats d’arrêt contre les Iraniens ont déclaré à la BBC en mai dernier que les pressions de Washington ont été décisives dans la soudaine décision d’émette les actes d’inculpation le mois suivant. Corral indiquait qu’il ne doutait pas que les autorités argentines avaient été pressées de « s’associer aux tentatives internationales pour isoler le régime de Téhéran. »
Un haut fonctionnaire de la maison Blanche a simplement désigné l’affaire de l’AMIA comme une « illustration très claire de ce que signifie le parrainage du terrorisme par l’Etat iranien. » En fait, l’insistance des USA pour mettre ce crime sur le dos de l’Iran dans le but d’isoler le régime de Téhéran, est une illustration parfaite de la fabrication cynique d’une accusation au service de ses intérêts de puissance.