Les événements ont confirmé cette analyse. Si Bachar Assad a sans doute été sincère dans sa volonté de proposer des réformes, il faut bien dire que pour beaucoup de gens en Syrie, notamment pour ceux qui manifestent, c’était trop peu et trop tard. Alors que c’était par contre certainement trop et trop tôt pour certaines factions à l’intérieur du régime.
Comme l’écrit Joshua Landis dans le texte que je vous propose, le régime syrien fait désormais face à une véritable agitation révolutionnaire, quel que soit le sens qu’on attribue à ce mot. Car ici, révolutionnaire veut surtout dire que les contestataires demandent non seulement des réformes, mais que la première réforme qu’ils exigent, c’est le départ du président Assad mais aussi la fin du régime baathiste.
Les dirigeants Syriens ont fort bien compris que c’est maintenant une lutte à mort qui est engagée et c’est pourquoi la répression s’est durcie et fait désormais appel aux grands moyens, l’armée se déployant en certains endroits comme dans un pays occupé.
Bien malin qui saurait dire comment vont évoluer les choses en Syrie. Et d’abord, si Landis parle d’une opposition, j’ai personnellement quelque peine à penser qu’il s’agisse d’une opposition unie, d’accord non seulement sur les moyens mais sur les objectifs. D’ailleurs Landis, que la situation semble finalement rendre très hésitant, considère bien que la stratégie répressive gouvernementale vise, entre autres, à empêcher toute structuration efficace de l’opposition.
Landis pense que l’opposition au régime va rapidement basculer dans la lutte armée, et il en trouve des indices dans certains incidents qui ont effectivement vu les forces armées visées par des hommes armés. Où encore dans le fait que des manifestants s’arment de bric et de broc (avec des bâtons ou des outils) traduisant ainsi leur volonté de riposter à la violence policière.
Des armes semblent donc commencer à circuler en Syrie, en provenance d’Irak et peut-être du Liban. Les « révolutionnaires » Syriens pourront compter sur le soutien [des pays] du Golfe. Comme les révolutionnaires Libyens en quelque sorte.
Parce que si la plupart des manifestants ou contestataires du régime sont animés de nobles idéaux, il n’en va pas de même de tous ceux qui vont se saisir de leurs aspirations pour faire avancer leurs propres desseins, que ce soient des anciens membres du régime ou des clients des monarchies du Golfe.
Après la lutte finale, la lutte féodale, l’Internationale Wahhabite venant succéder à l’Internationale Communiste.
Peut-être la promesse d’une guerre civile longue et sanglante en Syrie ?
Par Joshua Landis, Syria Comment (USA) 26 avril 2011
Bachar al-Assad est déterminé à mater la révolte syrienne, c’est pourquoi il a fait appel à l’armée et à ses blindés et procède maintenant à l’arrestation des réseaux de militants et de leaders de l’opposition que ses services de renseignements ont pu localiser.
Il y a un aspect “choc et effroi” dans cette opération. Les tanks ne sont à l’évidence pas utiles pour réprimer une rébellion urbaine, mais ils montrent la puissance de feu supérieure de l’Etat et la détermination du président. C’est une stratégie militaire classique – vite et fort. Dominer l’opposition avant qu’elle ait la possibilité de se renforcer et de se structurer durablement en termes de commandement. C’est précisément ce que l’armée US avait essayé de faire en Irak. C’est ce qu’elle n’a pas fait en Libye, quand elle a permis aux forces de Kadhafi de se regrouper et de reprendre le contrôle de Tripoli et de l’ouest libyen après son état initial de faiblesse et de confusion.
Je ne pense pas que le régime parviendra à réduire l’opposition au silence. A la différence de l’opposition iranienne, qui a pu être muselée, l’opposition syrienne est plus révolutionnaire même si, peut-être, pas aussi nombreuse dans la capitale. Le mouvement Vert [en Iran] n’appelait pas à renverser le régime et à mettre fin à la république islamique, mais demandait seulement des réformes. L’opposition syrienne est révolutionnaire. Même s elle a commencé par appeler à des réformes, elle en est vite venue à exiger la fin du régime. Elle est convaincue qu’il est impossible de réformer le régime baathiste et que la Syrie doit partir sur de nouvelles bases. Elle veut la fin du régime baathiste, la fin de la dynastie Assad, la fin de la domination de la présidence et des forces de sécurité par la communauté religieuse alaouite, et la fin de la domination de l’économie par l’élite financière qui a recouru au népotisme, aux échanges entre initiés et à la corruption pour monopoliser des pans entiers du commerce et de l’industrie. En bref, l’opposition abhorre la plupart des aspects du régime actuel et s’attelle à le déraciner. Elle est plus déterminée et révolutionnaire que ne l’était le mouvement Vert en Iran qu’Ahmadinedjad et Khamenei ont réussi à réprimer.
Il n’y a aucune raison pour qu’elle ne le fasse pas. Certains des dirigeants de l’opposition prônent des moyens pacifiques, mais cette approche ne fait pas l’unanimité. Nous avons déjà constaté le recours à la violence armée par l’opposition. A Banias, 9 soldats avaient été tués par des opposants armés alors que leur véhicule roulait sur l’autoroute principale en direction de la ville. A Jable, des manifestants s’étaient armés de bâtons, de pelles et d’autres armes [des armes de fortune, des outils… NdT]. Quoiqu’inutiles devant des armes à feu, ces armes montraient l’état d’esprit de la foule et sa volonté d’opposer sa propre violence à la violence d’Etat. Les autorités syriennes ont insisté dès le début pour dire que des éléments d’opposition avaient tiré sur des policiers et des soldats. Même si très peu d’informations de ce genre sont avérées, elles sous-entendent que l’opposition est prête à recourir à la force.
Face à la supériorité militaire de l’Etat et à sa volonté de recourir à la force, l’opposition sera elle-même contrainte de recourir à l’action armée. La direction de l’opposition a déjà pu introduire clandestinement des lots de téléphones satellitaires et de matériel électronique pour renforcer les militants à l’intérieur du pays. Faire passer des armes ne sera pas difficile. Le gouvernement syrien a déjà annoncé avoir intercepté plusieurs camions chargés d’armes en provenance d’Irak. Le Liban et l’Irak regorgent d’armes et les itinéraires de contrebande entre ces pays et la Syrie sont très fréquentés. Les pays du Golfe apporteront argent et soutien.
Des organisations militantes en Irak et ailleurs soutiennent depuis longtemps que la Syrie est un poste de pilotage du Moyen Orient et une cible adéquate pour la déstabilisation, etc.
Quelques questions d’un journaliste et mes réponses:
Journaliste: “Pensez-vous que les manifestants vont submerger la capitale ? Pensez-vous qu’ils doivent le faire pour renverser Bachar ? Les classes possédantes ont trop à perdre avec une instabilité prolongée, et l’opposition ne peut leur offrir aucun scénario convaincant pour une transition pacifique vers la démocratie ou un changement de régime. Elles craignent l’instabilité par-dessus tout, encore plus que la répression du régime.
Landis : L’opposition doit d’abord réussir à faire sortir dans la rue les classes moyennes et les classes moyennes supérieures.
Si l’armée et les classes moyennes restent fidèles au gouvernement, la bataille sera difficile pour l’opposition.
Une longue spirale descendante
Mais l’opposition n’a pas à faire descendre Alep et Damas dans les rues pour faire tomber le régime. S’ils peuvent faire suffisamment pour paralyser l’économie syrienne – comme c’est le cas actuellement – le gouvernement tombera de lui-même. Si les entreprises s’arrêtent, si le tourisme s’effondre et si l’investissement étranger s’interrompt, les entreprises privées et les petits commerces feront faillite et les sources de revenus du gouvernement se tariront. A la fin, le régime ne pourra plus payer les salaires des fonctionnaires, et les services publics cesseront de fonctionner. A ce moment là, les classes moyennes abandonneront le régime. Ce sera une lente spirale descendante.
Journaliste: Compte tenu de la relative désorganisation de l’opposition - et l’éventualité qu’elle prenne les armes – une vacance du pouvoir en cas de départ d’Assad ne risque-t-elle pas d’être très meurtrière ?
Landis : Oui