Article du Toronto Star (Canada), 21 avril 2006 (traduit par Djazaïri, copyleft)
Annulée à New York, la première représentation à Toronto de "Mon nom est Rachel Corrie" est donnée dans un lieu secret.
par Richard OUZOUNIAN, critique de théâtre
Rachel Corrie est née à Washington, a été tuée dans la bande de Gaza, encensée à Londres et censurée à Manhattan.
Maintenant elle est contrainte à la clandestinité à Toronto.
"Mon nom est Rachel Corrie" est une pièce basée sur la vie et les mots d'une militante Américaine de 23 ans qui a péri à Gaza le 16 mars 2003 au cours d'un incident impliquant un bulldozer de l'armée israélienne.
Les amis de Corrie affirment qu'elle a été écrasée délibérément pendant une manifestation politique pacifique. Le côté opposé soutient que le chauffeur du bulldozer ne pouvait pas la voir et que ce n'était qu'un accident.
La représentation new-yorkaise de la pièce a été récemment annulée en raison des craintes que sa position pro-palestinienne n'inquiète la communauté juive dans une période politique difficile.
Cette décision a suscité un débat si vif au niveau international qu'il est devenu nécessaire de garder secret le lieu exact d'une simple lecture du script de la pièce devant une cinquantaine de personnes à l'université de Toronto dans la soirée du dimanche 24 avril.
Mais ce qui étonne dans toute cette affaire est qu'à aucun moment de son histoire cettte pièce n'a été la cause de véritables confrontations ou manifestations.
C'est la crainte de ce qui pourrait arriver qui semble avoir motivé ce qui se passe.
Paul Leishman, qui dirige la lecture de ce dimanche avec la comédienne Marya Delver explique que "la pièce qui visait à explorer la vie d'une jeune fille se retrouve maintenant prise au milieu de problèmes bien plus larges."
Peu de temps après la mort de Rachel Corrie, une série de courriels qu'elle avait rédigés au cours de sa présence à Gaza avaient été publiés dans le journal The Guardian et avaient retenu l'attention du London's Royal Court Theatre. Le théâtre avait alors pris contact avec la famille Corrie qui mit à sa disposition l'ensemble des écrits de leur fille en leur possession depuis ses dix ans.
Le script, compilé par l'acteur Alan Rickman et la journaliste Katherine Viner avait été présenté en avril 2005 à une critique dans l'ensemble enthousiaste.
Dans le Daily Telegraph, Charles Spencer était dans le ton lorsqu'il disait de la pièce qu'elle "était puissante, source de réflexion et profondément émouvante."
Après avoir été jouée à guichets fermés au Royal Court, la pièce est passée dans le West End où elle est toujours à l'affiche. Les droits pour la première création aux USA ont été attribués à James Nicola, responsable du très respecté New-York Theatre Workshop.
Nicola avait programmé la première pour le 22 mars mais, un mois avant cette date, il a écrit au Royal Court pour demander le "report pour une durée indéterminée" de la représentation.
Il s'en est expliqué dans une interview au Guardian : "En écoutant nos communautés à New-York, ce que nous avons entendu est qu'après la maladie d'Ariel Sharon et l'élection du Hamas, nous étions dans une situation délicate. Nous avons réalisé que notre projet de présentation de cette oeuvre pourrait ête perçu comme une prise de position de notre part dans un conflit politique, ce que nous ne voulons pas."
Rickman a été furieux et a immédiatement récupéré les droits, affirmant "C'est de la censure née de la peur."
La bataille qui s'en est suivie s'est menée dans les journaux, à la radio et sur internet.
Certains ont félicité Nicola pour son attitude responsable, l'autres ont vilipendé sa lâcheté."
C'est dans cette atmosphère que Leishman a contacté le Royal Court et a demandé les droits pour une lecture unique - et non pour une durée indéterminée - de la pièce à Toronto.
Leishman est un ancien New-yorkais venu au Canada au milieu des années 90 pour travailler comme assistant de Richard Monette au Stratford Festival.
Après ce travail, il a délaissé quelques temps le théâtre pour exercer dans un cabinet juridique de Toronto.
Mais l'histoire de Rachel Corrie l'a ramené au théâtre.
"Je me rappelle avoir entendu parler de sa mort en 2003" se souvient-il, "comme c'était triste et macabre." Mais il n'avait pas lu le strict avant l'annulation du spectacle et il se l'est alors procuré "pour voir si il y avait quelque chose là dedans pour provoquer toute cette tempête."
Ce qu'il a découvert, c'est "l'histoire d'une jeune femme qui commence par son questionnement sur ce qu'elle devrait faire de sa vie et éprouve un éveil à l'intérêt et à la compassion envers autrui."
Leishman explique qu'environ 40 % du script traite de la vie de Rachel Corrie jusqu'à sa décisin d'aller en Palestine et les 60 % restants du temps qu'elle a passé à Gaza.
Leishman a ressenti qu'il était important que la pièce soit lue dans "une situation neutre de salle de cours car Rachel était étudiante."
Cet espace lui a été donné mais il lui a été demandé de ne pas rendre publics l'heure et le lieu de la lecture, "en raison de l'attraction qu'elle pourrait exercer sur les partisans des deux bords et de leurs réactions imprévisibles."