Je reprends l'article dans son intégralité parce que je crois que le quotidien lyonnais Le progrès ne laisse pas ses archives en libre accès.
C'est l'histoire d'Ahmed et d'Emmanuel à Lyon, une histoire oecuménique qu'on a plaisir à connaître. Pour les non Lyonnais, rappelons que la cathédrale Saint-Jean est l'édifice religieux emblématique de la capitale des Gaules.
Le Progrès (France) 5 septembre 2010
Ahmed Benzizine travaille sur le chantier de la cathédrale Saint-Jean à Lyon pour le compte de l'entreprise forézienne Comte. Pour lui rendre hommage, un collègue l'a transformé en gargouille
Depuis plusieurs mois, le maçon lyonnais est devenu gargouille. C'est son collègue et ami, Emmanuel Fourchet, tailleur de pierre de son état, qui est à l'origine de cette facétie.
L'idée est de rendre hommage à un ouvrier qui a consacré l'essentiel de sa carrière, trente-sept années, à ce chantier éternel. Une tradition qui date du temps des bâtisseurs des cathédrales.
« Au départ, c'était une surprise mais l'information a rapidement fait le tour du chantier », s'amuse l'instigateur, qui n'en est pas à son coup d'essai. « Un maire se plaignait toujours d'être ruiné à cause de nos travaux. Du coup, je l'ai représenté sur le pinacle de l'église en homme du XIXe en train de tirer une cassette vide. »
Le maire n'a pas eu le même destin qu'Ahmed, superstar malgré lui. « Il a plus de succès avec les femmes », plaisante Emmanuel.
Lui prend ça avec philosophie. « C'est bien pour un fils d'immigré comme moi. Ça montre peut-être aux jeunes arabes que pour réussir, il faut s'investir. C'est une belle réussite pour ma famille aussi », lâche-t-il de sa petite voix.
Les mauvais esprits, qui trouvent ahurissante la mise en pierre d'un musulman dans un lieu catholique, ne le touchent pas. Il reste de marbre. « Ils sont idiots, toutes les religions ont un seul dieu et le même. »
Emmanuel, lui, dans un premier temps joue la carte de l'indifférence. Mais dans l'ascenseur qui ramène les ouvriers sur la terre ferme, il ne peut s'empêcher de demander qui fait le ramadan. Un, deux puis trois doigts se lèvent. Pour Emmanuel, la messe est dite. Même son de cloche chez Jacques Pellegrin, directeur des travaux de l'entreprise forézienne. « Un jour, des jeunes gothiques ont envahi le parvis. Celui qui les a délogés, c'est bel et bien Ahmed », s'emporte-t-il.
En tout cas, avoir sa bouille en gargouille ne change pas le quotidien d'Ahmed. Qu'il vente ou qu'il neige, il grimpe sur le toit de la primatiale dès sept heures du matin.
Chef de chantier, il guide ses jeunes apprentis avant de disparaître dans un nuage de poussière. « C'est un métier pénible et mal rémunéré alors les jeunes ils aiment ça en été mais en hiver, c'est autre chose », glisse-t-il, avant de saluer son fils, venu lui raconter son entretien d'embauche. Sur son trente et un, il dénote parmi tous ces hommes. Fierté de son père, il est ingénieur.
Thomas Monnerais
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