vendredi 1 mars 2013

Fauteurs de guerre en Syrie, fauteurs de troubles au Liban (et vice versa)


Le Moyen Orient est décidément une région compliquée et la situation en Syrie nous le rappelle une fois de plus.
En effet, il est clair qu’ en l’absence d’ingérences étrangères, le conflit armé dans ce pays serait déjà terminé depuis longtemps et n’aurait certainement pas pris la dimension qu’on lui connaît aujourd’hui.
Le régime de l’actuel président serait peut-être tombé sous des formes de pression populaire classiques : manifestations, grèves, journaux clandestins ou semi-clandestins etc., ou le régime aurait été contraint d’ouvrir plus ou moins largement  le champ politique à une plus grande diversité de sensibilités. Une ouverture qui aurait été un coup d’envoi d’une véritable démocratisation plutôt que son aboutissement.
Pour des raisons diverses, les puissances étrangères en ont décidé autrement et ont voulu répéter le scénario libyen.
Un scénario immédiatement compris par le régime qui a décidé de recourir à tous les moyens pour empêcher sa réédition. En effet, si le régime n’avait pas été clairvoyant et n’avait pas pris la mesure du risque encouru, la situation aurait été telle que ni Vladimir Poutine, ni Mahmoud Ahmadinejad n’auraient rien pu faire pour sauver un pouvoir condamné par la réalité sur le terrain.
Ceux qui se présentent comme des «amis» de la Syrie sont animés par des raisons diverses. Les Etats Unis, le Royaume Uni et la France sont intéressés par l’élimination d’un allié stratégique de l’Iran et du dernier Etat de la région en situation de belligérance larvée avec l’entité sioniste.
La Turquie imagine pouvoir s’instituer comme leader régional, prête pour cela à s’aliéner précisément d’autres acteurs régionaux comme l’Iran ou l’Irak.
Intéressées aussi par l’affaiblissement de l’Iran et du Hezbollah libanais, les monarchies du Golfe sont elles désireuses de se débarrasser de la dernière république de la région et de son système politique séculier. Leur projet est même d’instaurer partout des gouvernements dominés par telle ou telle variante du salafisme, rigoriste au niveau des mœurs et libérale sur le plan économique.
Par ailleurs, il importe pour elles de faire disparaître les deux dernières forces de résistance à l’entité sioniste, ce qui serait l’ultime étape avant la normalisation des relations avec Tel Aviv.
Je sais, le régime syrien n’est pas un ennemi très vigoureux pour l’entité sioniste. On rappellera cependant qu’il est bien seul et que sa capacité militaire est insuffisante pour faire autre chose que se défendre en cas de nouvelle agression massive. En fait, l’écart de puissance de feu entre la Syrie et l’entité sioniste n’a cessé de se creuser au profit de cette dernière, un phénomène qui est lié bien sûr à la disparition du bloc communiste mais est aussi une conséquence des accords signés par la Jordanie et l’Egypte avec l’entité sioniste. Pour comprendre les écarts dont je parle, il suffit de savoir que les avions qui équipent majoritairement l’armée de l’air syrienne restent des Migs 21 et Migs 23, des appareils qui ont fait leur temps depuis longtemps.
Mais en parlant du rôle de la Syrie dans la résistance à l’entité sioniste, on omet de relever son rôle décisif dans le soutien au Hamas (jusqu’au retournement de ce dernier en 2012) et au Hezbollah.
Ce qui me donne l’occasion de souligner que, contrairement à ce que d’aucuns affirment, la vision politique du régime syrien n’est pas sectaire sinon pourquoi aurait-il soutenu le Hamas qui est une organisation proche des Frères Musulmans ? Et pourquoi soutiendrait-il le Hezbollah, une organisation chiite alors que la doctrine religieuse chiite considère les alaouites comme des… hérétiques. On se souviendra que dans un premier temps, le Hezbollah avait été durement réprimé par l'armée syrienne.
Si le Hezbollah est ciblé de manière indirecte par la destruction de la Syrie, il est aussi visé de manière plus directe en ce que, presque depuis le début des hostilités, on l’accuse d’être engagé militairement aux côtés du gouvernement syrien, une raison supplémentaire donc d’exiger la neutralisation de cette organisation qui passe par son désarmement.
Mais le Hezbollah est ciblé aussi au Liban où, crise syrienne en ingérences étrangères aidant, les pro Hariri, des groupes salafistes dûment stipendiés par certaines pétromonarchies, pensent que l’heure a sonné de réduire le Hezbollah.
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Tripoli, janvier 2011. On lit sur la bannière des salafistes: "Celui qui accuse le cheikh Saad (Hariri) de trahison accuse le Liban
C’est ce volet Hezbollah, et donc libanais, de la crise syrienne qu’évoque Jean Aziz.
Par Jean Aziz, Al-Monitor Lebanon Pulse 28 février 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri
Beyrouth semble sur le point d'exploser. La tension politique croissante et l’évolution de la situation sécuritaire ont atteint un niveau critique. Le secrétaire général du Hezbollah , Hassan Nasrallah, a déclaré mercredi [27 février] que «quelques jours peut-être nous séparent de la sédition." Tout indique que les événements du 7 mai 2008 peuvent se répéter.
 La tension au Liban n'a cessé de monter depuis quelques semaines, mais elle a atteint un niveau critique dans les tout derniers jours. Les deux adversaires sont le camp chiite dirigé par le Hezbollah d'une part et le camp sunnite fondamentaliste salafiste d'autre part. Pourtant, la confrontation entre eux est le résultat de ce qui se passe hors du Liban. Il ya la guerre civile syrienne, le bras de fer régional et international avec l'Iran et la guerre entre sunnites et chiites dans le monde islamique.
Un facteur nouveau est cependant apparu sur la scène libanaise: le leader Sunnite salafiste, Cheikh Ahmad al-Assir. Dans une conférence de presse qu’il a tenue mardi 26 février dans son quartier général de Sidon, au sud Liban, le leader salafiste a indiqué qu’il donnait au gouvernement libanais jusqu’à vendredi 1er mars pour satisfaire à ses exigences : il affirme que le Hezbollah m’a mis sous siège à Sidon en se servant des habitants Chiites de la ville. Les menaces d’Assir donnaient à comprendre clairement qu’il demandait au gouvernement libanais de faire partir ces gens de Sidon ou au moins de des les expulser des alentours de son quartier général. Il a posé d’autres exigences qui s’insèrent dans le contexte du conflit qu’il a initié avec le Hezbollah. Il a dit que si ses exigences n’étaient pas satisfaites, il prendrait un certain nombre de mesures sur le terrain, plus particulièrement pour couper la route que relie Beyrouth au sud, dans la direction de Sidon.
Bien sûr, le gouvernement ne peut pas répondre positivement à ces exigences. Le cheikh salafiste avait coupé cette même route en Juillet 2012 pendant environ un mois. Elle avait été rouverte en Août sous les pressions politiques et populaires contre lui.
Mais le problème fondamental avec la menace d’Assir, c'est qu'elle isolerait les unes des autres les zones où domine le Hezbollah, en particulier les axes logistiques vitaux  et indispensables qui relient son fief dans la banlieue sud de Beyrouth et  sont extension opérationnelle, géographique et populaire dans le sud du Liban. Notons que d’autres organisations salafistes alliées avec Assir pourraient envisager de faire la même chose dans la vallée centrale de la Bekaa. Ce qui priverait le Hezbollah de deux autres artères vitales: la route entre le sud et les régions chiites de la Bekaa, et la route entre Beyrouth et Damas, où siège le régime syrien, l'allié le plus important de l'organisation chiite libanaise.
Le Hezbollah semble avoir soupesé les menaces Assir et les juge graves. En fait, l’analyse du Hezbollah est que les menances Assir sont une étape importante de la mission qui lui a été confiée: attirer le Hezbollah dans un affrontement interne [au Liban] et dans des conflits sectaires, quel qu’en soit le prix. 
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Beyrouth, octobre 2012: rassemblement pour les funérailles du général Wissam Hassan, le chef des services de sécurité assassiné. On voit le drapeau du Courant du Futur (Hariri), le drapeau des "révolutionnaires" syriens (en fait celui de la Syrie sous mandat français) et bien sûr le drapeau noir des salafistes
Assir a procédé progressivement par étapes préparatoires avant de se lancer dans cette démarche. Ses miliciens et ceux du Hezbollah se sont affrontés à Sidon le 11 novembre 2012 après son exigence du retrait des affiches du Hezbollah de la zone. Deux personnes avaient été tuées. Assir avait continué à agir au même rythme jusqu'à sa dernière exigence de nettoyer la zone autour de son siège des résidents chiites et ses affrontements avec eux  le 23 février.
Il semble que le Hezbollah a décidé de donner un dernier avertissement. Nasrallah a prononcé un discours télévisé mercredi après-midi. Il a nié les rumeurs dans les médias selon lesquelles il était malade et avait été transféré en Iran. Il a également émis un avertissement sévère: Il a dit que l'incitation [à l’affrontement] sectaire conduira inévitablement à une explosion, ce qui peut n’être qu’une question de jours. Il a appelé les bonnes volontés à agir avant qu'il ne soit trop tard.
Le discours de Nasrallah était semblable à son discours du 6 mai 2008, quand le Liban était dans un vide présidentiel. Le Parlement n'avait pas réussi à élire un successeur au président Emile Lahoud, qui avait quitté le palais présidentiel à la fin de son mandat le 24 novembre 2007. 
A l’époque, après plusieurs mois de tensions sectaires, une série d'affrontements entre sunnites et chiites hommes armés avait commencé à Beyrouth et dans ses faubourgs. Nasrallah était apparu à la télévision et avait déclaré que la sédition était proche et qu'il avait décidé de la prévenir. Dans les heures qui avaient suivi son discours, des éléments du Hezbollah s’étaient répandus à Beyrouth et  dans d'autres secteurs et ils avaient rapidement réglé la question. Ils avaient éliminé la présence de toutes les milices sunnites armées de la mouvance du Courant du Futur de l’ancien Premier ministre libanais Saad Hariri. On estime que des dizaines de personnes avaient été tuées.
Ces affrontements avaient ouvert la voie à une médiation arabe et internationale, qui avait abouti à une conférence entre les différentes parties libanaises à Doha deux semaines plus tard. La conférence avait débouché sur un accord pour élire comme président le commandant en chef de l'armée à l’époque, le général Michel Sleimane. 
Le discours de Nasrallah mercredi contient de nombreux éléments de ce scénario. Le Liban est à l'approche d'un vide parlementaire. Le Parlement est divisé et incapable de s'entendre sur une nouvelle loi électorale. Les tensions de sécuritaires s’accroissent parallèlement aux tensions politiques. Il ya cependant un élément manquant dans la situation actuelle. À savoir qu’aucun pays de la région n’est en capacité de jouer un rôle de médiation, à la suite de la forte polarisation causée par la guerre en Syrie. L'Occident en général souhaite la stabilité au Liban, mais pas au point d’investir beaucoup d'efforts pour assurer cette stabilité. Par conséquent, la situation actuelle est très volatile et les choses évoluent d'heure en heure. 

Jean Aziz est journaliste contributeur pour  Al-Monitor 's Pulse Liban. Il est chroniqueur à  Al-Akhbar , le journal libanais, et l'animateur d'un talk-show politique hebdomadaire sur OTV, une chaîne de télévision libanaise. Il enseigne également la communication à l'université américaine de la technologie et à l'Université Saint-Esprit de Kaslik au Liban.

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