dimanche 14 janvier 2007

La disparition de Mostefa Lacheraf


On vient d'apprendre la mort à Alger de Mostefa Lacheraf à l'âge de 90 ans. Relativement peu connu du grand public, notamment européen, Lacheraf a pourtant été une figure importante du nationalisme algérien. Il a été en effet un des rares intellectuels du Front de libération Nationale ayant une réelle double culture arabe et française.

C'est son arrestation aux côtés des figures politiques qu'étaient Ahmed Ben Bella ou Hocine Aït Ahmed qui l'a, pour la première fois, mis sur le devant de la scène médiatique. Cette opération de l'armée française, une des premières actions de piraterie aérienne de l'histoire, a au moins eu ce mérite (en plus d'être un motif de fierté pour la France!) .

Après l'indépendance de l'Algérie, Mostefa Lacheraf a eu l'occasion d'exercer d'importantes fonctions : conseiller aux Affaires culturelles auprès du président de la République, Ministre de l'Education, ambassadeur au Mexique...
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Son rôle idéologique avant et après l'indépendance a été considérable dans un FLN qui était avant tout uni par la volonté commune d'indépendance nationale mais qui rassemblait en son sein des éléments très disparates, allant des communistes orthodoxes jusqu'à la petite bourgeoisie traditionnelle en passant par la masse des populistes sans idéologie claire, héritage du PPA-MTLD.
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C'est ainsi qu'il fut appelé à être un co-rédacteur du programme de Tripoli dans lequel il insista sur le caractère « démocratique et populaire » de la révolution. Il est d'ailleurs intéressant de noter que le programme pourfendait « l'anti-intellectualisme déplacé » qui caractérisait une certaine tendance. L'histoire dira par la suite que cet anti-intellectualisme, tendance lourde du FLN; a eu le dessus mais cela Lacheraf ne pouvait bien entendu pas le savoir à l'époque.
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Il n'en reste pas moins que l'apport de Lacheraf a été déterminant dans la définion de ce qu'était la nation algérienne, nation dont l'existence même était niée par les colonialistes classiques mais aussi par une personnalité comme Maurice Thorez, leader du PCF, qui parlait d'une nation en formation sur le modèle du melting-pot américain.
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Si Ferhat Abbas n'avait pas découvert la nation algérienne après avoir « interrogé l'histoire ...les vivants et les morts ,» Lacheraf, conscient de l'importance capitale de cette question l'a, par contre trouvée, et il nous en fait part dans une série d'articles importants rédigés pour la plupart avant l'indépendance et rassemblés sous le titre « L'Algérie, nation et société » dans un recueil publié par Maspéro en France et SNED en Algérie.
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Haute figure intellectuelle, c'est dans l'esprit populaire que Lacheraf découvre la nation algérienne, une nation formulée en termes pratiques par la paysannerie et son « patriotisme rural ,» la large mobilisation pour tenter de sauver Zaatcha assiégée par les troupes coloniales et la conscience des habitants d'appartenir non à l'Algérie, nom forgé à partir ce celui d'Alger, mais à ce que le peuple désigne communément sous le nom de « bilad al wasat, » pays du centre affirmant en même temps une conscience maghrébine.
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La place de Lacheraf dans le paysage intellectuel et politique algérien a été incomparable, le situant à égale distance des intellectuels essentiellement voire exclusivement francophones, à l'instar de Kateb Yacine par exemple et d'intellectuels arabophones comme les Ulémas. Partisan d'une arabisation résolue mais « raisonnée ,» il est un des rares à proposer une vision profane de l'Algérie qui ne fait pas l'impasse ni ne méprise le religieux.
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A l'heure où Alger est proclamée « capitale de la culture arabe, » les propos de Bouteflika donnent une singulière actualité à la pensée de Lacheraf.

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