samedi 27 avril 2013

Robert Fisk et l'armée syrienne


J’ignore si Robert Fisk est le seul journaliste occidental à avoir été autorisé à être au contact des troupes syriennes, mais ses articles nous donnent une bonne indication sur le moral de l’armée gouvernementale syrienne.

Et le moral de l’armée syrienne est bon selon ce que rapporte un Robert Fisk qui n’en est pas pour autant tombé en amour avec le régime syrien.

L’article est très parlant, alors je ne vais pas le commenter, sauf pour dire qu’il est aussi supposé illustrer le thèse selon laquelle la crise syrienne sonnerait le glas de l’omnipotence des services secrets au profit d’une armée en quelque sorte citoyenne, soucieuse d’assurer une transition ordonnée vers un système de gouvernement plus ouvert sous l’égide au moins provisoire de l’actuel chef de l’Etat.

Ceci bien sûr dans l’hypothèse où le président Bachar al-Assad l’emporterait définitivement sur l’opposition armée. 

Il se pourrait qu’ils se battent pour la Syrie, pas pour Assad. Ils pourraient aussi être en train de gagner.

Reportage de Robert Fisk en Syrie
La mort guette le régime syrien tout autant que les rebelles. Mais sur la ligne de front de cette guerre, l’armée du régime n’est pas d’humeur à se rendre – et elle affirme qu’elle n’a pas besoin d’armes chimiques.
Par Robert Fisk, The Independent (UK) 26 avril 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Les nuages bas surplombent de manière oppressante la ligne de front de l’armée syrienne dans les collines de l’extrême nord de la Syrie.

La pluie a simplement remplacé la neige, transforment cette forteresse puissamment protégée en marécage de boue et de flaques d’eau stagnante où les soldats se tiennent à leurs postes de guet avec le visage en plein vent, leurs antiques chars T-55 – le fer de lance  du Pacte de Varsovie dans les années 1950 – ruisselants de pluie, leurs chenilles enfoncées dans la boue, servent uniquement de pièces d’artillerie. Ce sont des «tanks épaves» - debeba khurda – dis-je au colonel Mohamed qui commande l’unité des forces spéciales de l’armée syrienne dans ce paysage morne. «Nous les utilisons pour la défense statique,» dit-il franchement en souriant. «Ils ne bougent pas.»
Char T 55
Char T 55
Avant la guerre – ou “la crise” ainsi que les soldats du président Bachae al-Assad sont obligés de l’appeler – Djebel al-Kawaniah était un relais de télévision. Mais quand les rebelles antigouvernementaux s’en sont emparés, ils ont fait sauter les tours [de télédiffusion] abattu la forêt de sapins autour de la station pour crée une zone de tir dégagée et ils ont construit des remparts en remblai pour se protéger des tirs de l’armée gouvernementale. L’armée a repris les collines en octobre dernier en passant par le village de Qastaf Maaf qui est maintenant dévasté et aplati le long de la vieille route vers Kassab à la frontière avec la Turquie – pour prendre d’assaut le plateau qui est maintenant leur ligne de front.

Sur les cartes, l’armée syrienne a donné un nom de code à la  “montagne de Kawaniyeh”. Elle est devenue le «Point 45» - le Point 40 se trouve à l’est, dans l’ombre de la montagne – et les soldats sont répartis dans des tentes sous les arbres de deux collines avoisinantes. Je grimpe sur un des T-55 et je peux les voir à travers l’averse. Il y a des explosions sourdes dans la vallée et le bruit occasionnel de tirs d’armes légères et, chose assez déconcertante, le colonel Mohamed me signale la forêt la plus proche, à environ 800 mètres de là, qui est restée entre les mains de ses ennemis. Le soldat assis sur la tourelle du tank ne quitte pas les arbres des yeux.

C’est toujours une expérience étrange de se retrouver parmi les soldats de Bachar al-Assad. Ce sont les «sales types» du régime selon le reste du monde – quoique, en réalité, c’est la police secrète du régime qui mérite ce titre – et j’ai bien conscience qu’on a dit à ces hommes qu’un journaliste occidental allait venir dans leurs casemates et leurs tranchées. Ils m’ont demandé de ne citer que leurs prénoms par crainte pour la sécurité de leurs familles ; ils me permettent de prendre toutes les photographie que je veux, mais jamais leurs visages – une règle que les rebelles demandent aussi parfois aux journalistes de respecter pour la même raison – mais chaque soldat ou officier avec qui j’ai parlé, dont un général de brigade, m’ a donné son nom complet et présenté son identifiant..

Un tel accès à l’armée syrienne était pratiquement inconcevable il y a seulement quelques mois et il y a de bonnes raisons à cela.
L’armée considère qu’elle est enfin en train de reprendre du terrain sur l’Armée Syrienne Libre (ASL), les combattants islamistes du Jabhat al-Nosra et les divers satellites d’al Qaïda qui contrôlent pour le moment une bonne partie de la campagne syrienne. A partir du Point 45, l’armée est à peine deux kilomètres de la frontière turque et a l’intention de récupérer cet espace.

Aux abords de Damas, les soldats ont livré un combat sanglant dans deux localités de banlieue tenues par les rebelles.

Au moment où je me déplaçais dans les positions sur les collines, les rebelles étaient en passé de perdre le contrôle de la ville de Qusayr, près d’Homs avec des accusations par l’opposition de tueries perpétrées contre les civils.

La route principale entre Damas et Lattaquié sur la côte méditerranéenne a été rouverte par l’armée. Et les soldats que j’ai rencontrés au Point 45 sont un autre type d’hommes que ces soldats corrompus par 29 ans de semi-occupation du Liban, qui étaient rentrés en Syrie ne 2005, sans avoir eu à faire la guerre, la discipline des soldats étant plus un motif de plaisanterie à Damas qu’une menace pour quiconque.           
Les forces spéciales de Bachar apparaissent aujourd’hui confiantes, inflexibles, motivées politiquement, dangereuses pour leurs ennemis, avec leurs beaux uniformes et leurs armes bien nettoyées. 
Les syriens sont habitués depuis longtemps aux affirmations israéliennes  - reprises machinalement en écho par Washington -selon lesquelles les forces gouvernementales ont utilisé des armes chimique : «Pourquoi utiliserions-nous des armes chimiques alors que nos avions Mig et leurs bombes sont infiniment plus destructeurs ?» Les soldats affectés au Point 45 reconnaissent qu’il y a eu des défections vers l’ASL, de nombreux tués parmi leurs collègues – qualifiés invariablement de «martyrs» - et ne font pas mystère du nombre de morts parmi eux dans les batailles gagnées et perdues.

Leur dernier “martyr” à Point 45 a été abattu par un tireur embusqué rebelle il y a deux semaines, il s’agit de Kamal Aboud, 22 ans, un soldat des forces spéciales originaire de Homs. Il est au moins mort en soldat. Le colonel Mohamed parle avec tristesse des soldats en permission pour rejoindre leurs familles qui, dit-il, ont été exécutés à l’arme blanche lorsqu’ils sont entrés en territoire ennemi. Je me remets en mémoire que l’ONU porte des accusations de crimes de guerre contre cette armée et je rappelle au colonel Mohamed – qui a quatre marques de blessures par balles au bras qui prouvent qu’il dirige ses soldats sur le champ de bataille et pas à l’abri d’un bunker – que ses soldats étaient certainement préparés pour libérer le plateau du Golan de l’occupation israélienne. Israël est au sud, lui dis-je, et ici, il combat au nord près de la Turquie. Pourquoi ?

«Je sais, mais nous combattons Israël. Je suis entré dans l’armée pour combattre Israël. Et en ce moment, je combats les instruments d’Israël. Et les instruments du Qatar et de l’Arabie Saoudite, et donc en ce sens, nous combattons pour le Golan. C’est une conspiration et l’Occident aide les terroristes étrangers qui sont venus en Syrie, les mêmes terroristes que vous essayez d’éliminer au Mali.» J’ai déjà entendu ce discours auparavant, bien sûr. Il est question de conspiration dans toutes mes interviews en Syrie. Mais le colonel reconnaît que les deux T-55 syriens qui tirent des obus sur le Point 45 chaque matin – les mêmes engins de guerre désuets que ses propres chars – ont une même origine parce que l’ennemi a récupéré de l’artillerie de l’armée gouvernementale et que les opposants comprennent des hommes qui étaient initialement dans l’armée de Bachar al-Assad.

En route pour  Qastel Maaf, un général me dit que sur l’autoroute qui mène à la frontière turque, l’armée vient de tuer 10 Saoudiens, deux Egyptiens et un Tunisien – on ne me montre aucun document susceptible de le prouver – mais les soldats du Point 45 me montrent trois radions qu’ils ont prises à leurs ennemis. L’une est marquée «HXT Commercial Terminal,» les deux autres sont fabriquées par Hongda avec des instructions en turc. Je leur demande s’ils captent les communications des rebelles. «Oui, mais nous ne les comprenons pas,» explique un major. «Ils parlent en turc et nous ne comprenons pas le turc.» Il y a donc des Turcs et des Turkmènes Syriens des villages de l’est ? Les soldats haussent les épaules. Ils disent avoir aussi entendu des voix parler en arabe avec des accents libyen et yéménite. Et vu que le gratin de l’OTAN est en ce moment obsédé par les «djihadistes étrangers» en Syrie, il se pourrait bien que ces soldats Syriens disent la vérité.

Les sentiers de cette magnifique champagne du nord syrien cachent la brutalité des combats. Des buissons de roses rouges et blanches recouvrent les murs des maisons abandonnées. Quelques hommes s’occupent  de la masse d’orangers qui luisent autour de nous, une femme peigne ses longs cheveux sur un toit. Le lac de Balloran scintille sous le soleil printanier entre des montagnes encore coiffées d’une couche de neige.Ce paysage me rappelle tristement la Bosnie. Les villages sur ces quelques kilomètres restent encore habités, un hameau chrétien grec orthodoxe peuplé de 10 familles avec une église dédiée à l’apparition de la Vierge à une femme nommée Salma ; un village musulman alaouite, puis un village musulman sunnite proches de la ligne de front mais qui continuent à coexister ; un fantôme de l’ancienne Syrie sécularisée, non sectaire dont les deux camps promettent – de manière de moins en moins crédible – le retour une fois la guerre terminée.
Lac de Balloran
Lac de Balloran
Me voici maintenant dans un village détruit appelé Beit Fares où on peut voir des centaines de soldats Syriens patrouiller les forêts environnantes, et un autre général sort de sa poche un téléphone mobile et me montre une vidéo de combattants morts. «Ce sont tous des étrangers,» dit-il. Je m’approche pour regarder : la caméra s’attarde sur des visages barbus, certains déformés par la peur, d’autres dans le sommeil sans rêve de la mort. Ils ont été entassés les uns contre les autres. Le plus sinistre de tout est de voir une botte militaire qui se pose par deux fois sur les têtes de hommes morts. Sur la paroi de la fosse, quelqu’un a écrit : «Nous sommes les soldats d’Assad – allez au diable chiens des bandes armées de Jabel al-Aswad et de Beit Shrouk.»

Ce sont les noms d’une série de petits villages encore entre les mains des rebelles – on peut voir les toits de leurs maisons depuis le Point 45 – et le colonel Mohamed, 45 ans, qui a combattu eu Liban entre 1993 et 1995, énumère les autres : Jebel Saouda, Zahiyeh, al-Kabir, Rabia… Leur destin les attend. Quand je demande aux soldats combien ils ont fait de prisonniers suite à leurs batailles, ils répondent en s’exclamant  «aucun ». Quand je leur demande si c’est aussi le cas quand ils affirment avoir tué 700 «terroristes» en un seul engagement ? «Aucune», répondent-ils à nouveau.  

A l’opposé d’une école criblée d’impacts de balles, se trouve une maison pulvérisée. «Un chef terroriste local est mort ici avec ses hommes,» déclare le colonel. «Ils ne se sont pas rendus.»

Je doute qu’on leur ait laissé le choix. Mais à Beit Fares, quelques rebelles se sont enfuis au début de cette année – selon le général Wasif de Lattaquié – avec leur chef local, un entrepreneur Syrien. Nous nous rassemblons dans la villa en ruinbes de cet homme sur la colline de ce village turkmène abandonné – les habitants sont maintenant dans des camps de réfugiés en Turquie, me dit le général – et il semble que l’entrepreneur était aisé. La villa est entourée de vergers irrigués avec des citronniers, des figuiers et des pistachiers. Il y a un terrain de basketball et une piscine vide, des balançoires pour les enfants, une fontaine de marbre brisée – sur laquelle on voit encore des boîtes de feuilles de vigne farcies avec des inscriptions en turc – et une salles de séjour et une cuisine avec des murs en marbre et une plaque délicate au-dessus de la porte d’entrée avec l’inscription en arabe : «Dieu bénisse cette maison» Ce n’a pas été le cas, semble-t-il. 

Je cueille quelques figues dans le verger de l’homme d’affaires. Les soldats en font de même. Mais leur goût est trop acide et les soldats les recrachent, leur préférant les oranges qui pendent au bord de la route. Le général Fawaz parle avec un de ses collègues et il soulève une fusée non explosée pour inspection. Elle est de fabrication locale, la soudure n’est pas professionnelle – mais semblable aux fusées Qassam que le mouvement palestinien Hamas tire sur Israël depuis la bande de Gaza. «Quelqu’un parmi les Palestiniens a expliqué aux terroristes comment les fabriquer,» déclare le général Fawaz. Le colonel Mohamed observe en passant que quand ils ont investi le village, ils ont trouvé des camions et des voitures avec des plaques militaires turques – mais pas de soldats Turcs. 

Il y a une relation étrange ici avec la Turquie. Recep Tayyip Erdogan condamne peut-être Assad, mais le plus proche poste frontalier turc à deux kilomètres d’ici reste ouvert, seul poste frontière qui relie encore la Turquie au territoire syrien contrôlé par le gouvernement. Un des officiers  raconte une vieille histoire sur le calife Moawiya qui disait garder une fine mèche de ses cheveux pour «avoir un lien avec mes ennemis.» «Les Turcs ont laissé ce poste frontalier ouvert avec nous,» explique l’officier, «pour ne pas couper la mèche de cheveux de Moawiya.» Il ne rit pas et je comprends ce qu’il veut dire. Les Turcs veulent garder un contact matériel avec le régime Assad. Erdogan n’a pas de certitude que Bachar al-Assad perdra cette guerre. 

Beaucoup de soldats montrent leurs blessures dont je soupçonne qu’ils sont bien plus fiers que de leurs médailles ou de leurs grades. De leur côté, les officiers sur les lignes de front ont déjà retiré leurs insignes dorés – à la différence de l’amiral Nelson, ils n’ont pas envie d’être fauchés au petit matin par les tireurs d’élite rebelles. L’aube semble être le bon moment pour tuer. Sur la route, un sous-lieutenant me montre ses propres blessures. Il a la marque d’une  balle entrée sous son oreille gauche. Sur le côté gauche de sa tête, une vilaine cicatrice violacée s’étire vers le haut jusqu’à son oreille droite. Une balle a traversé son cou de part en part et il a survécu. Il a eu de la chance. 

Tout comme les soldats des forces spéciales dont le chemin de patrouille allait vers une mine dissimulée, un IED dans le vocabulaire occidental. A Qastal Maaf, un jeune artificier de l’armée syrienne me montre les deux coques de métal qui étaient enterrées sous la route. L’une des deux est presque trop lourde pour que je puisse la soulever. Le détonateur porte une inscription en turc. Une antenne reliée aux explosifs pendait du haut d’un poteau électrique pour qu’un rebelle puisse actionner la bombe à distance en mode visuel. Un système de détection de mines – «tout notre matériel est russe,» se vantent les soldats – a prévenu la patrouille de la présence d’explosifs avant que les soldats marchent dessus.

Mais la mort plane sur l’armée syrienne, tout comme elle hante ses ennemis. L’aéroport de Lattaquié est désormais un lieu permanent de lamentations. A peine suis-je arrivé que je trouve des familles déchirées et en larmes devant le terminal, en attente des corps de leurs soldats de maris, frères et fils, des Chrétiens pour la plupart, mais aussi des Musulmans parce que la côte méditerranéenne est le fief des Alaouites et des Chrétiens ainsi que d’une minorité de Musulmans sunnites. Une femme Chrétienne est retenue par un home âgé alors qu’elle va s’affaler sur la route, le visage ruisselant de larmes. Un camion sur la voie des départs est orné de guirlandes.

Un général en charge des familles endeuillées me dit que l’aéroport est trop petit pour ces deuils de masse. «Des hélicoptères ramènent ici nos morts de toute la Syrie du nord,» dit-il. «Nous devons nous occuper de toutes ces familles et leur trouver un hébergement, mais parfois je vais à domicile pour leur annoncer la mort d’un fils et je découvre que deux ou trois de leurs enfants sont déjà tombés en martyrs. C’est trop». Oubliez le soldat Ryan. Je vois à côté de la tour de contrôle un soldat blessé qui clopine sur un pied, un bandage recouvre en partie son visage, le bras passé autour d’un camarade alors qu’il boîte en direction du terminal. 

Les statistiques de l’armée qu’on m’a montrées suggèrent que 1 900 soldats de Lattaquié ont été tués dans cette guerre terrible, et 1 500 autres de Tartous. Mais il faut mettre en regard ces chiffres avec ceux de la population des villages à peuplement mixte chrétien et alaouite dans les monts qui surplombent Lattaquié pour comprendre le coût pour chacun. A Hayalin, par exemple, ce village de 2 000 âmes a perdu 22 soldats tandis que 16 autres sont portés disparus. Ce qui fait 38 morts en réalité. Beaucoup ont été tués à Jisr al-Shughur en juin 2011 quand l’armée syrienne avait perdu 80 hommes dans une embuscade rebelle. Un villageois nomme Fouad explique qu’il y avait eu un seul survivant originaire d’un village voisin. «Je lui ai téléphoné pour demander ce qui était arrivé aux autres hommes, » dit-il. «Il m’a répondu : ‘Je ne sais pas parce qu’ils m’ont arraché les yeux.’ Il a dit que quelqu’un l’avait emmené et qu’il avait pensé qu’on allait l’exécuter mais il s’est retrouvé dans une ambulance et avait été conduit à l’hôpital de Lattaquié.» Le corps d’un des tués de Jisr al-Shugur a été ramené à Hayalin, mais ses proches avaient découvert que le cercueil ne contenait que ses jambes. «Le dernier martyr de Hayalin a été tué il y a seulement deux jours,» me dit Fouad. «C’était un soldat nommé Ali Hassan. Il venait de se marier. Ils n’ont même pas pu rendre son corps.»

Les 24 hélicoptères de combat syriens qui tournent sur le tarmac après le terminal sont une manifestation de la puissance matérielle du gouvernement.  Mais les soldats ont leurs propres histoires de peur et d’intimidation. Le fait que les forces rebelles menacent les familles des soldats gouvernementaux est un fait établi depuis longtemps. Mais un simple soldat  m’a raconté avec tristesse comment son propre frère aîné avait reçu l’ordre de le persuader de déserter l’armée. «Quand j’ai refusé, ils ont cassé la jambe de mon frère,» dit-il. Quand j’ai demandé si d’autres avaient eu la même expérience, on m’a présenté un jeune soldat de 18 ans. Les officiers ont proposé de quitter la pièce au moment où je parlais avec lui.

C’était un jeune homme intelligent, mais il a raconté son histoire simplement et sans fioritures. Son discours ne relevait pas de la propagande. «Je viens de la province d’Idlib et ils sont venus voir mon père et lui ont dit qu’ils avaient besoin que je sois là,» dit-il. «Mais mon père a refusé et a dit, ‘Si vous voulez mon fils, allez et amenz-le ici – et si vous le faites, vous ne me trouverez pas ici pour le saler.’ Puis mon père a envoyé la plus grande partie de sa famille au Liban.  Ma mère et mon père sont encore là-bas et ils sont encore sous la menace.»

J’ai signifié par la suite aux officiers que je ne croyais pas que tous les Syriens passés à la rébellion l’ont fait parce que leurs familles étaient menacées, que certains soldats devaient avoir des divergences profondes avec le régime. Ils en conviennent mais soulignent le fait que l’armée reste forte.

Le colonel Mohamed, qui mélange stratégie militaire et politique, explique considérer le «complot» étranger contre la Syrie comme une nouvelle version des accords Sykes-Picot de la première guerre mondiale, quand la Grande Bretagne et la France avaient secrètement décidé de se partager le Moyen Orient, Syrie incluse. «Ils veulent faire la même chose aujourd’hui,» dit-il. «La France et la Grande Bretagne donnent des armes aux terroristes pour nous diviser, mais nous voulons une Syrie unie où tout notre peuple pourra vivre ensemble, démocratiquement, sans se soucier de la religion de son prochain mais vivant pacifiquement…» Et puis est arrivée la crise. «…sous la direction de notre champion, le Dr Bachar al-Assad.»

Mais ce n’est pas si simple. Le mot «démocratie» et le nom Assad ne s’accordent pas vraiment dans une bonne partie de la Syrie. Et je pense plutôt que les soldats de ce qui s’appelle officiellement l’Armée Arabe Syrienne combattent plus pour la Syrie que pour Assad. Mais en tout cas, ils combattent et sont peut-être en train de gagner, pour l’instant, une guerre ingagnable. A Beit Fares, je me penche une fois de plus sur le parapet, la brume se lève sur les montagnes. Ce pourrait être la Bosnie. Le paysage est à couper le souffle, des collines gris-vert qui se lovent dans des montagnes d’un bleu de velours. Un petit paradis. Mais les fruits qui poussent le long de cette ligne de front sont amers en réalité.

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