Un bon article de Robert Fisk qui, même si c'est peut être un peu en jouant sur les mots, nous fait toucher du doigt les liens entre des faits et des événements qui peuvent sembler parfois disparates au premier abord. Son article est avant tout centré sur sa lecture critique du dernier film d'Elie Chouraqui, O Jérusalem, avec Patrick Bruel et Saïd Taghmaoui. Quelque chose me dit que Fisk a du gerber après avoir visionné la chose. Chouraqui avait auparavant, on s'en souvient, fait vivement réagir Jean-Pierre Brard, le maire communiste de Montreuil au sujet d'un "documentaire" sur l'hostilité dont auraient été victimes des élèves d'écoles juives de la part d'élèves d'un établissement public. J. P. Brard avait alors accusé le cinéaste "d'avoir tout scénarisé et les enfants ont été les acteurs bénévoles d'un film dont ils ne connaissaient pas le scénario. Il (Elie Chouraqui) leur a fait dire un texte qu'il avait déjà conçu lui-même, c'est une manipulation." Accusation qui correspond probablement à la réalité mais qui, énoncée brut de décoffrage et en compagnie de Fillon, alors ministre de l'éducation, a valu à Brard d'être condamné pour diffamation à 500 € d'amende avec sursis et 1€ de dommages et intérêts. Le fait vraiment intéressant de ce jugement est que le tribunal n'a pas souhaité, contrairement à la demande du requérant, ordonner la publication du jugement et ça, c'est quelque chose de rare dans les affaires de diffamation (très) publiques et en dit long sur ce qui a du s'agiter dans la cervelle des magistrats.
Robert Fisk: le voile qui nous cache la vérité
La pitoyable fiction du "succès" irakien est la tentative de Blair pour nous faire porter le voile
par Robert Fisk, The Independant (UK), 21 octobre 2006. Traduit de l'anglais par Djazaïri
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"The Independent" - Oui, le film O Jérusalem - adapté très librement de l'épopée de la naissance d'Israël relatée par Dominique Lapierre et Larry Collins a atteint les rives européennes (pas encore le Royaume-Uni, heureusement) et c'est tout ce qu'on peut attendre de l'hollywoodisation de l'Europe. C'est théâtral; le chanteur Français Patrick Bruel interprète un commandant israélien, on a un David ben Gourion flamboyant - cheveux blancs en bataille - et Saïd Taghmaoui et JJ Feild pour jouer le duo indispensable dans ce genre de films, le bon Arabe, modéré et au grand coeur (Saïd Chahine) et le Juif (Bobby Goldman) dont l'amitié survivra à la guerre qui les sépare.
Certes, nous avons l'habitude de ce genre de duos. Exodus, basé sur le récit par Léon Uris des mêmes événements de 1948, comportait un "bon" Arabe qui se liait d'amitié avec Paul Newman, le héros Juif, exactement comme Ben Hur nous avait présenté un "bon" Arabe qui prêtait ses chevaux à Charlton Heston alias Jehuda Ben Hur pour la course de chars contre le plus ignoble centurion de l'Empire Romain. Une fois que nous avons bien compris qu'il y a de "bons" Arabes au coeur sur la main, nous sommes bien entendu entièrement disponibles pour nous concentrer sur les méchants. Ils assassinent une jeune femme dans Exodus et ils tuent une courageuse jeune femme pendant la bataille de Latroun dans O Jérusalem (on la voit partiellement déshabillée par son agresseur avant d'être tuée par un obus). C'est d'ailleurs un signe des temps que pour des raisons de "sécurité;" O Jérusalem ait été tourné à Rhodes, exactement comme les scènes de Beyrouth du bien meilleur film Munich ont du être tournées à Malte où le Kingdom of Heaven, le film sur l'épopée des Croisades a été entièrement réalisé au Maroc avec des Arabes à l'accent maghrébin. Exodus avait été filmé sur les lieux du drame dans l'Israël des débuts, bien plus sûr.
Mais ce n'est pas la bestialisation habituelle des Arabes et des Musulmans qui me pose problème. Il suffit de regarder le marchand arabe d'esclaves dans le film Ashanti, une fois encore tourné en Israël avec Roger Moore et (entre autres) Omar Sharif, pour voir des Arabes dépeints, dans le style nazi, comme des assassins, des voleurs et des bourreaux d'enfants. L'antisémitisme anti-arabe, les Arabes sont bien sûr aussi des sémites, va de soi dans les films. Et je dois admettre que le comportement intrigant et déroutant des dirigeants Arabes - seul le roi Jordanien Abdallah est un homme respectable - est plus vrai que nature, tout comme l'arrogance de Haj Amin al-Husseini, le Grand Mufti de Jérusalem (celui qui avait serré la main d'Hitler).
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Non, mes objections portent sur la distorsion délibérée de l'histoire, l'arrangement du récit des événements pour présenter d'un côté les Juifs comme les victimes de la guerre d'indépendance d'Israël (6000 morts) alors qu'ils en ont en réalité été les vainqueurs et de l'autre les Arabes de Palestine - ou du moins de la partie de la Palestine devenue Israël en 1948 - comme les responsables de cette guerre et ses apparents vainqueurs (parce que les Juifs de Jérusalem Est avaient été obligés à quitter leurs maisons après le cessez-le-feu) plutôt que comme les victimes principales. Prenez par exemple le massacre de Deir Yacine en 1948 où le groupe Stern a assassiné les habitants arabes du village connu aujourd'hui comme le faubourg jérusalémite Givat Shaul, éventré des femmes et lancé des grenades dans des locaux remplis de civils. Dans O Jérusalem, le groupe Stern est représenté comme une bande d'affreux, un genre d'al Qaida juif, n'ayant strictement rien de commun avec une armée israélienne constituée de jeunes combattants dotés de hauts principes.Dans le film, on voit des cadavres d'Arabes - et une femme blessée qui sera soignée par un israélien - mais à aucun moment on ne donne à comprendre que Deir Yacine n'était qu'un village parmi d'autres dont la population a été massacrée - ce fut notamment le cas en Galilée - et les femmes violées par les combattants Juifs. Ave courage, les "nouveaux" historiens Israéliens ont déja révélé ces faits ainsi que les preuves irréfutables de leur rôle dans l'objectif israélien de déposséder 750 000 Palestiniens de leurs maisons dans ce qui devait devenir Israël. L'historien israélien Avi Shlaim a, courageusement, parlé de cette période comme d'une phase de "nettoyage ethnique." Rien de tout cela ne vient éclairer la scène du massacre de Deir yacine dans O Jérusalem.On nous coupe de la réalité. Ainsi un massacre qui faisait partie d'une politique devient dans le film une aberration, oeuvre de quelques extrémistes armés.Et même mieux, en fin de film, une série de textes à l'écran présentent de manière sinistre la dépossession des Palestiniens comme le résultat de la "propagande arabe." Il s'agit d'un mythe. Là encore, les historiens israéliens ont apporté la preuve du caractère mensonger de l'assertion selon laquelle les régimes arabes auraient demandé à la radio aux Arabes Palestiniens de quitter leurs maisons "jusqu'à ce que les Juifs aient été jetés à la mer." Aucu message de ce genre n'a jamais été radiodiffusé. La plupart des Palestiniens ont fui par peur de finir comme les habitants de Deir Yacine. La propagande sur la radio était israélienne et non arabe.C'est comme si un drap, un rideau ou un voile avaient été jetés sur l'histoire - de sorte à ce que seule l'ombre de la réalité reste visible, mais son sens déformé au point d'être inintelligible. "Alors c'est pour ça que vous vouliez des fusils," crie Bobby Goldman à l'adresse du chef du groupe Stern au milieu des victimes de deir yacine. Et il a tort. Les armes ont permis au groupe Stern d'assassiner les Arabes de Deir Yacine pour provoquer la panique qui a jeté 750 000 Palestiniens sur les routes d'un exil permanent.
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Mais n'est-ce pas dans ce monde que nous vivons? Ne portons nous pas tous un voile face à la vérité. Je ne parle pas des remarques de Jack "le Voile" Straw mais de do maître es politique, Lord Blair de Kut al-Amara. Un jour après avoir vu O Jérusalem, j'ai ouvert mon journal pour constater que notre premier ministre qualifiait de "marque de séparation" le niqab des femmes musulmanes.Pourtant peut-il exister un homme plus coupable de "séparation", séparation du peuple britannique d'avec son propre gouvernement élu démocratiquement, que Blair?
Quelqu'un peut-il avoir été plus habile - quelqu'un peut-il avoir plus menti au peuple Britannique - à dissimuler, travestir, distordre et maquillé les faits historiques que Blair?Les armes de destruction massive, les 45 minutes d'alerte, les liens entre Saddam et al Qaida, toute la pitoyable fiction de la réussite dans l'Irak occupé et dans l'Afghanistan post-Talibans sont des tentatives de Blair pour nous faire porter le voile, une arme bien plus dangereuse que le vêtement des musulmanes.
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Nous sommes supposés voir à travers le voile que lord Blair a placé devant nos yeux de sorte à ce que les mensonges deviennent la vérité at que la vérité devienne mensonge. Ainsi serons-nous coupés de la réalité. C'est pourquoi Blair lui-même représente maintenant cette "marque de séparation." O tempora! O mores! © 2006 Independent News and Media Limited
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Le texte complet en anglais peut être consulté ici (sur le site de The Independent il faut être enregistré moyennant finances je crois).
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