dimanche 5 décembre 2010

La guerre sunnites- chiites n'aura pas lieu

Un bon article encore d'Antiwar cette fois sur le prétendu désir de guerre arabe contre l'Iran, d'après les fuites diplomatiques révélées par WikiLeaks. Si nous savons en effet depuis longtemps que les régimes arabes corrompus souhaitent intimement que les occidentaux et les sionistes agressent militairement l'Iran, tout un chacun sait que ce n'est pas ce que veulent les peuples arabes dans leur majorité. Parce que le chef d'Etat le plus populaire chez les Arabes en ce moment est sans doute Mahmoud Ahmadinejad (ou alors le premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogan). Et que l'aura du Hezbollah, pourtant chiite, est à son summum dans tous les pays arabes dits sunnites.
 
par Arshin Adib-Moghaddam, Antiwar (USA) 30 novembre 2010 traduit de l'anglais par Djazaïri

Existe-t-il un axe chiite menaçant la stabilité de l'ouest de l'Asie et de l'Afrique du Nord? Existe-t-il une animosité arabo-perse ancrée dans l'histoire et sous-tendant les relations internationales dans la région? Est-elle multiséculaire et est-elle aujourd'hui perçue comme une lutte pour la suprématie régionale? Si on en croit les commentaires des médiats sur la dernière vague de documents publiés par WikiLeaks, alors tel est le cas. "Israël voit les informations de WikiLeaks sur l'Iran comme une aubaine pour sa propagande," lit-on sur un titre de Reuters. "Coupez la tête du serpent: comment les dirigeants Arabes exhortent les Etats Unis à attaquer l'Iran", affirme le Daily Mail. "Israël affirme que WikiLeaks montre la 'cohésion' sur l'Iran," proclame l'Agence France Presse (AFP). "Les Etats Arabes stigmatisent l'Iran," titre le Guardian. Un thème est commun à tous ces gros titres: il existe apparemment un consensus "arabe" ou "sunnite" en faveur d'une guerre contre l'Iran.
Il est très simple de démentir ce mythe selon lequel il existe une fracture chiites-sunnites ou une sorte d'éternel affrontement préparant à une future guerre avec l'Iran.
A priori, la Syrie "arabe sunnite" a des relations très cordiales avec l'Iran "perse et chiite.". De son côté, l'Iran "chiite et perse" est accusé de soutenir le Hamas "arabe et sunnite". Apparemment, le Hezbollah "arabe et chiite" est un fidèle allié de l'Iran non arabe mais chiite." La Turquie "sunnite" et non arabe est à la pointe des efforts pour une solution diplomatique au dossier nucléaire iranien. L'Egyptien Hosni Moubarak, un dirigeant laïque [secular] selon les normes en vigueur et à aucun titre "sunnite", accuse l'Iran de soutenir les "Frères Musulmans", une organisation créée plus de 70 ans avant la révolution de 1979 en Iran, par des nationalistes "arabes" et des islamistes "sunnites." Sayyid Qotb un des dirigeants des Frères musulmans et référence centrale pour de nombreux mouvements "islamistes" contemporains a été très lu par les Iraniens et ses livres ont été traduits par l'ayatollah Ali Khamenei, l'actuel chef suprême de l'entité à priori "chiite perse" d'Iran.

Le problème pour les Etats qui veulent la guerre avec l'Iran n'est pas un quelconque renouveau chiite, mais leur propre déficit de légitimité. Cette situation est aggravée par le fait que la popularité de Hassan Nasrallah surpasse celle des dirigeants actuels de la région, notamment de ceux qui sont perçus comme trop dépendants des Etats Unis ou trop asservis à Israël. Ce qui n'a rien à voir avec l'alliance de l'Iran avec le Hezbollah, bien entendu, ni avec la philosophie démocratique ou non de Nasrallah; mais avec le fait que Nasrallah est perçu comme quelqu'un qui tient tête à Israël. C'est la même raison qui sous tend la relative popularité des dirigeants Iraniens et du Hamas. Leurs politiques populistes entrent en résonance avec les aspirations de beaucoup de monde dans la région. Ceci est très bien rendu dans un livre récent d'Elaleh Rostami-Povey intitulé Iran's Influence (Zed, 2010). Le livre s'appuie sur une recherche de terrain approfondie et toute une série d'entretiens réalisés en Asie occidentale et en Afrique du Nord. Il montre clairement que la popularité des dirigeants politiques de la région est liée à leur opposition à la politique israélienne en Palestine et aux guerres conduites par les Etats Unis en Irak et en Afghanistan. En bref, tenir tête à la politique étrangère américaine et à Israël est la manière la plus sûre d'accéder à la popularité politique.
Un sondage effectué en juin 2010 par Zogby International et l'université du Maryland et couvrant l'Egypte, l'Arabie saoudite, la Jordanie, le Maroc, le Liban et les Emirats Arabes Unis conforte cette observation. Le sondage révèle un fort soutien au programme nucléaire iranien, chez les Egyptiens tout particulièrement, Il suggère aussi qu'Israël et les Etats Unis sont perçus par respectivement 88 % et 77 % des sondés comme les plus fortes menaces pour la sécurité de leurs pays. A l'inverse, seulement 10 % considèrent l'Iran comme une menace. Ce qui a beaucoup à voir avec la perception de l'Iran comme poursuivant une politique étrangère indépendante et s'en tenant à des principes sur la Palestine, et que plus généralement, ce pays tient tête à l'hégémonie israélienne.

L'analyse des politiques dans le monde ne doit pas commencer ou s'arrêter avec les proclamations des gouvernements, notamment parce que les "guerres" à grande échelle ne sont plus le monopole des Etats. Bien plus de personnes ont été tuées en Irak après la fin des combats importants entre armées nationales que pendant la guerre proprement dite. La plupart d'entre elles ont été tuées par des acteurs non étatiques, toute une série d'entreprises privées, d'affiliés à al Qaïda et de milices sectaires. Et plus de personnes ont péri le 11 septembre que dans l'attaque contre Pearl Harbour. En outre, les guerres actuellement en cours en Irak et en Afghanistan ont débordé de leur contexte régional, des bombes ont explosé dans des capitales ailleurs dans le monde. Les Etats ne peuvent plus contenir les guerres [sur le champ de bataille] et il y aura toujours un effet "boomerang." Cette nouvelle réalité de la politique internationale implique une nouvelle logique centrale: la prévention de toute nouvelle confrontation militaire doit devenir une question de principe, pas seulement de stratégie. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle où les guerres entre deux pays engendrent facilement de multiples confrontations régionales ou même globales, avec des victimes un peu partout. De sorte qu'aujourd'hui "notre" sécurité est de plus en plus entremêlée à celle des Irakiens, des Afghans, des Palestiniens, des Israéliens, des Coréens et des Iraniens. Leur sort est devenu le nôtre t il est temps que cela se reflète dans la diplomatie internationale. C'est pourquoi il est inutile de déformer et de simplifier à l'excès la complexité des mondes "islamiques" dans des catégories comme chiites, sunnites, Perses ou Arabes. N'oublions pas que c'étaient Saddam Hussein et le Shah d'Iran qui croyaient aussi à une confrontation atavique entre "Arabes" et "Perses". L'idéologie officielle du premier reposait sur une haine viscérale de la menace "perse" contre le "monde arabe". D'un autre côté, le Shah d'Iran s'était auto-intronisé "Lumière des Aryens" et célébrait le patrimoine iranien non musulman (i.e. préislamique) de façon mégalomane. A coup sûr, leurs idéologies appartiennent à ce vieux "Moyen Orient" dont plus personne ne veut le retour parmi ceux qui s'intéressent à cette région.

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