Anouar Malek est un des derniers exemples des pratiques de désinformation relatives à la Syrie. Un exemple particulièrement grossier mais qui a quand même rencontré un large écho dans la presse. Il serait même drôle si ce qu’il raconte n’allait pas alimenter le registre de tout ce qui pourrait éventuellement justifier une intervention militaire étrangère contre la Syrie.
Le journaliste Irlandais Patrick Cockburn nous parle justement de cette machinerie de propagande à l’œuvre en Syrie et il nous rappelle que si les media modernes, depuis internet jusqu’au téléphone mobile, sont un défi redoutable posé aux monopoles des Etats autoritaires sur l’information, ils sont aussi de formidables outils pour les spécialistes de la manipulation de l’information.
Cockburn a sans doute une vision un peu angélique des patrons, publics ou privés, de la presse en occident. Il le dit certes à demi-mot, mais cette presse est intégrée dans les stratégies des puissances qui mettent la pression sur le gouvernement syrien, comme elles l’ont fait hier avec le régime libyen avant de lui porter l’estocade et d’éliminer physiquement son dirigeant.
Pour ceux que ces questions de propagande intéressent et qui veulent les apporcher d’une manière agréable, je ne saurais trop recommander un très beau roman de l’écrivain Anglais William Boyd : «La vie aux aguets» qui expose cette activité « professionnelle » dans le contexte de la deuxième guerre mondiale où elle a joué un rôle considérable dans les deux camps.
La désinformation et la sombre propagande sont aussi vieilles que la guerre elle-même, et internet n’a fait qu’augmenter les possibilités de répandre le brouillard de guerre.
Par Patrick Cockburn, The Independent (UK) 15 janvier 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri
La “rumeur” avait autrefois mauvaise réputation. Dans les pièces de Shakespeare, le postulat est que les « rumeurs » sont des mensonges de niveau artistique et la diffusion de récits détaillés mais faux de victoire ou de défaite. Aucun journaliste ne pourrait parler de manière crédible de massacre, de torture ou d’arrestations massives sur la base de « rumeurs insistantes » comme seule preuve de ce qu’il écrit. Les rédacteurs en chef de n’importe quel journal, chaîne télévisée ou station de radio où travaillerait ce journaliste secouerait la tête en signe d’incrédulité devant une source aussi vague et douteuse et refuserait certainement de la publier.
Mais supposons que notre journaliste écarte le mot “rumeur” et lui substitute comme sources “YouTube” ou “blogueur”. Alors, si on en croit l’expérience récente, les rédacteurs en chef feront un clin d’œil, félicitant éventuellement leur journaliste pour s’être servi judicieusement d’internet. La BBC et d’autres chaînes de télévision diffusent des images nocturnes de chaos en provenance de Syrie, en déclinant froidement toute responsabilité quant à leur authenticité. Ces réserves sont débitées à une telle fréquence qu’elles ont maintenant autant d’impact sur les téléspectateurs que les avertissements selon lesquels un reportage filmé contient des photos au flash. Les gens croient, c’est compréhensible, que si la BBC et d’autres chaînes de télévision n’étaient pas convaincues de l’authenticité des images de YouTube, elles ne s’en serviraient pas comme source principale d’informations sur la Syrie.
Les images sur YouTube ont sans doute joué un rôle positif dans les soulèvements du printemps arabe, mais la presse internationale est généralement muette sur la facilité avec laquelle on peut les manipuler. Prise sous le bon angle, on peut faire ressembler une petite manifestation à un rassemblement de dizaines de milliers de personnes. Des tirs dans une rue d’une seule ville peuvent servir à fabriquer des « preuves » de tirs dans une dizaine de villes. Les manifestations n’ont pas besoin d’être des évènements authentiques photographiés par chance au moyen de téléphones mobiles par les citoyens concernés ; souvent la seule raison de la manifestation est de fournir du matériel pour YouTube. Les chaînes de télévision ne vont pas rejeter ou souligner la manipulation d’un film qui est gratuit, spectaculaire, en plein dans l’actualité - et avec lesquels elles ne sauraient rivaliser avec des correspondants réguliers et des équipes de tournage même si elles dépensaient beaucoup d’argent.
Dans la presse écrite, les blogueurs ont aussi la partie facile, même en l’absence de preuves qu’ils sachent quoi que ce soit à propos des évènements. D’où la facilité avec laquelle un homme, étudiant Américain en Ecosse, a pu se faire passer pour une lesbienne persécutée à Damas. Depuis la guerre en Irak, même les blogueurs les plus ardemment partisans ont pu être présentés comme des sources d’informations objectives. Aussi ternie que puisse être désormais leur réputation, ils ont encore un certain cachet et de la crédibilité.
Les gouvernements qui excluent la presse étrangère en temps de crise, comme l’Iran et (jusqu’à la semaine dernière) la Syrie, créent un vide de l’information aisément comblé par leurs ennemis. Ces derniers sont beaucoup mieux équipés pour donner leur propre version des évènements que ce n’était le cas avant le développement des téléphones mobiles, de la télévision satellitaire et de l’internet. Les monopoles étatiques sur l’information ne peuvent plus être maintenus. Mais le simple fait que les oppositions aux gouvernements syrien et iranien ont pris le dessus dans l’agenda médiatique ne signifie pas que ce qu’elles disent est vrai.
Au début de l’année dernière, j’avais rencontré des Iraniens , pigistes à Téhéran pour des publications occidentales dont les accréditations avaient été temporairement suspendues par les autorités. Je leur avais dit que c’était certainement une frustration pour eux, mais ils m’avaient répondu que même s’ils avaient pu transmettre des articles – disant que rien d’important ne se passait – leurs rédactions ne les auraient pas crus. Ces dernières avaient été persuadées par des organisations d’exilés, se servant de blogs et de séquences YouTube soigneusement sélectionnées, que Téhéran bouillonnait visiblement de mécontentement. Si les journalistes locaux disaient que c’était une grossière exagération, leurs employeurs auraient soupçonné qu’ils étaient victimes d’intimidation ou à la solde des services de sécurité iraniens.
Il n’y a rien d'anormal ou de surprenant dans le fait que des mouvements révolutionnaire se livrent à de la manipulation propagandiste n’est ni un mal en soi, ni quelque chose de surprenant. Ils l’ont toujours fait dans le passé et il aurait été étonnant qu’il en aille autrement aujourd’hui. Mon père, Claud Cockburn, qui luttait au côté des forces gouvernementales [républicaines, NdT] pendant le guerre civile espagnole avait une fois fabriqué une histoire sur une révolte contre les partisans du général Franco à Tétouan au Maroc espagnol. Il était resté perplexe quand, des années après, on l’a critiqué rageusement pour ce qu’il considérait comme un joli coup de propagande, comme si la désinformation n’avait pas été une arme politique utilisée par tous les mouvements politiques depuis Périclès.
De tels stratagèmes n’ont pas été rendus obsolètes par les progrès de la technologie de l’information de ces vingt dernières années. On décrit généralement ces derniers comme étant une évolution absolument salutaire et démocratique qui a inspiré les soulèvements du printemps arabe. Et ce fut le cas à un certain point. La poigne de fer des Etats policiers sur la presse et les autres sources d’informations a été brisée dans tout le Moyen Orient. Les gouvernements ont découvert que la répression brutale du passé pouvait être contre productive. A Hama, dans le centre de la Syrie en 1982, les forces du président Hafez Al-Assad avaient tué 10 000 personnes selon les estimations beaucoup plus selon certaines autres estimations, NdT] et détruit la rébellion sunnite, mais il n’y avait pas eu une seule photo de cadavre. Des scènes d’un tel massacre seraient aujourd’hui sur chaque écran e télévision dans le monde entier.
Les avancées technologiques ont donc rendu plus difficile la dissimulation de la répression par les gouvernements. Mais ces évolutions ont aussi rendu plus facile la tâche des propagandistes. Certes, les gens qui dirigent les journaux, les stations de radio et les chaînes de télévision ne sont pas des imbéciles. Ils connaissent la nature douteuse de bon nombre d’informations qu’ils répercutent. L’élite politique à Washington et en Europe était divisée entre les pour et les contre une attaque américaine contre l’Irak, rendant plus facile l’expression individuelle de désaccords par des journalistes. Mais il existe aujourd’hui un consensus écrasant dans les media étrangers pour dire que les rebelles sont des gens bien et que les gouvernements sont mauvais. Pour des institutions telles que la BBC, une couverture informationnelle complètement déséquilibrée devient acceptable.
Tristement, al Jazeera qui a tant fait pour briser le contrôle étatique sur l’information au Moyen Orient depuis sa création en 1996 est devenue l’arme de propagande complaisante des rebelles Libyens et Syriens.
L’opposition syrienne a besoin de donner l’impression que son insurrection est plus proche de réussir qu’elle ne l’est en réalité. Le gouvernement syrien n’a pas réussi à écraser les contestataires, mais ces derniers sont par contre très loin de pouvoir le renverser. Les dirigeants de l’opposition en exil veulent une intervention militaire en leur faveur comme ce fut le cas en Libye, bien que les situations soient très différentes.
Le but de la manipulation de la couverture médiatique est de persuader l’occident et ses allies arabes que la situation en Syrie va approcher du point qui leur permettra de reproduire leur succès libyen. D’où le nuage épais de désinformation déversé sur internet.
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