Jonathan Steele est un grand reporter Britannique spécialiste des affaires étrangères qui écrit pour le Guardian. Ce journal offre, aussi bien à ses journalistes qu’à d’autres rédacteurs, la possibilité d’écrire dans une rubrique de commentaires libres qui ne reflètent donc pas nécessairement sa ligne éditoriale. Jonathan Steele ne s’en prive pas et c’est de cette façn qu’il nous livre son analyse sur ce qui se passe en Syrie.
Son analyse (argumentée) est que la Syrie ne fera sans doute pas l’objet d’une agression comme celle dont a été victime récemment la Libye mais qu’elles est dores et déjà sous le coup d’une agression ç visée déstabilisatrice sur le mode dont les Américains étaient coutumiers en Amérique latine au temps de la guerre froide : aider des bandes rebelles à s’organiser et à s’armer dans un territoire limitrophe, leur donner des renseignements sur l’état et les mouvements des forces gouvernementales ainsi qu’un appui propagandiste dans la presse dite libre.
Le but est au minimum d’user et d’affaiblir le pouvoir en place et, si les circonstances le permettent, d’aboutir à son renversement.
La popularité d’Assad, les observateurs de la Ligue Arabe, l’implication militaire des Etats Unis: tout cela est distordu par la propagande de guerre occidentale.
Par Jonathan Steele, The Guardian (UK) 17 janvier 2012
Supposez qu’une enquête d’opinion digne de confiance constate que la plupart des Syriens sont en faveur du maintien au pouvoir de Bachar al-Assad, ne serait-ce pas une information majeure ? Tout particulièrement du fait que cette conclusion irait à l’encontre du discours dominant sur la crise syrienne, et que les media considèrent ce qui est inattendu comme plus intéressant à rapporter que ce qui est évident ?
Pas toujours, hélas. Quand la couverture d’un drame en cours cesse d’être juste et se transforme en arme de propagande, les faits gênants doivent être occultés. Il en a été ainsi pour les résultats d’un récent sondage YouGov Siraj sur la Syrie commandé par The Doha Debates, financé par la Qatar Foundation. La famille royale du Qatar a adopté une des lignes les plus dures contre Assad – l’émir vient juste d’appeler à une intervention de troupes arabes – ça a donc été une bonne chose que Doha Debates ait publié le sondage sur son site web. Ce qui est dommage, c’est qu’il a été ignoré par presque tous les organes de presse de chaque pays occidental dont le gouvernement a appelé Assad à s’en aller.
La conclusion principale était que, alors que la plupart des Arabes ailleurs qu’en Syrie, pensent que le président devrait démissionner, les attitudes à l’intérieur du pays sont différentes. Quelque 55 % des Syriens veulent qu’Assad reste, par crainte d’une guerre civile – un spectre qui n’a pas le même caractère théorique que pour les Syriens qui résident à l’étranger. La moins bonne nouvelle pour le régime d’Assad est que le sondage a aussi observé que la moitié des Syriens qui acceptent son maintien au pouvoir considèrent qu’il doit organiser des élections libres dans un futur proche. Assad prétend qu’il est sur le point de le faire, une promesse qu’il a répétée dans ses derniers discours. Mais il est d’une importance vitale qu’il promulgue la loi électorale le plus vite possible, autorise les partis politiques et s’engage à permettre à des observateurs indépendants de contrôler le scrutin.
Le biais dans la couverture médiatique continue avec la distorsion de la mission d’observation de la Ligue Arabe en Syrie. Quand la Ligue avait soutenu une zone d’exclusion aérienne en Libye au printemps dernier, elle avait eu droit aux éloges de l’Occident pour son action. Sa décision de faire médiation en Syrie a été moins bien accueillie par les gouvernements occidentaux et par les organisations d’opposition syriennes les plus en vue qui sont de plus en plus en faveur d’une solution militaire plutôt que politique. La démarche de la Ligue a donc été rapidement mise en doute par les dirigeants Occidentaux, et la majorité des média occidentaux s’est faite l’écho de cette position. La crédibilité du président Soudanais de la mission a été attaquée. Des critiques du fonctionnement de la mission formulées par un de ses 165 membres ont fait les gros titres. Des demandes ont été faites pour que la mission se retire en faveur d’une intervention de l’ONU.
Les détracteurs semblaient craindre de voir la mission d’observateurs Arabes rapporter que la violence armée n’est plus l’apanage des forces du régime, et que l’image de manifestants pacifiques brutalement réprimés par l’armée et la police est fausse. Homs et quelques autres villes syriennes sont en train de devenir comme Beyrouth dans les années 1980 ou Sarajevo dans les années 1990, avec des affrontements entre milices qui font rage le long de lignes de faille ethniques et sectaires.
Il en va de même pour l’intervention militaire étrangère qui a déjà commence. Elle ne suit pas le modèle libyen car la Russie et la Chine sont furieuses d’avoir été bernées par l’occident au Conseil de Sécurité l’an dernier. Elles n’accepteront pas une résolution de l’ONU qui permettrait un quelconque recours à la force. Le modèle pour la Syrie est d’un type plus ancien, qui remonte à l’époque de la guerre froide, avant que les « interventions humanitaires » et la « responsabilité de protéger » soit développée et souvent utilisée à mauvais escient. Souvenez-vous du soutien de Ronald Reagan aux contras qu’il armait et entraînait pour essayer de renverser le gouvernement sandiniste du Nicaragua à partir de bases au Honduras ? Remplacez le Honduras par la Turquie, la base arrière où la soi-disant Armée Syrienne Libre s’est installée.
Là aussi, le silence des media occidentaux est remarquable. Aucun journaliste n’a rendu compte d’un article important de Philip Giradi, un ancien officier de la CIA qui écrit maintenant pour American Conservative – un magazine qui critique le complexe militaro-industriel d’un point de vue néoconservateur dans la ligné de Ron Paul, qui s’est classé deuxième dans la primaire républicaine du New Hampshire la semaine dernière. Giraldi affirme que la Turquie, un pays membre de l’OTAN, est devenue l’agent exécutant de Washington et que des avions militaires de l’OTAN dont les marques d’identification ont été retirées se sont posés à Iskenderun près de la frontière syrienne pour débarquer des volontaires Libyens et des armes saisies dans l’arsenal de feu Mouammar Kadhafi. « Des formateurs appartenant aux forces spéciales françaises et britanniques sont sur place, » écrit-il, « prêtant assistance aux rebelles tandis que la CIA et les Special Ops US fournissent du matériel de télécommunications et des informations pour aider la cause rebelle, rendant les combattants capables d’éviter les concentrations de troupes syriennes… »
Alors que le risque d’une guerre totale augmente, les ministres des affaires étrangères de la Ligue Arabe s’apprêtent à se rencontrer au Caire ce weekend pour discuter de l’avenir de leur mission en Syrie. Il y aura à coup sûr des informations des media occidentaux pour souligner les propos de ces ministres qui ont le sentiment que la mission a « perdu sa crédibilité, » « a été dupée par le régime » ou « a échoué à faire cesser la violence. » Les arguments contraires seront minimisés ou occultés.
Malgré les provocations venues de tous côtés, la Ligue devrait s’en tenir à ses constatations. Sa mission en Syrie a vu des manifestations pacifiques aussi bien pour que contre le régime. Elle a vu, et dans certains cas souffert, de la violence exercée par des forces d’opposition. Mais elle n’a pas encore eu assez de temps ni de personnel suffisamment nombreux pour parler avec un large échantillon d’acteurs en Syrie et donc pour pouvoir faire un ensemble de recommandations claires. Par-dessus tout, elle n’a même pas commencé à accomplir cette partie de son mandat qui lui demande de contribuer au lancement d’un dialogue entre le régime et ses détracteurs. La mission doit rester en Syrie et non être brusquement révoquée.
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