J’aime bien Jerry Haber: c’est un sioniste qui s’efforce d’être humain. Une véritable gageure ! Signe qui ne trompe pas, il est un des rares commentateurs à s’intéresser aux victimes civiles et au désastre écologique que causeraient des bombardements sionistes contre des sites nucléaires iraniens (tous vos journalistes s’en tamponnent et ne s’intéressent qu’à l’ampleur des dégâts occasionnés par une riposte éventuelle de l’Iran).
Mais il faut dire que Jerry Haber arrive si bien à être humain qu’à mon avis il n’est pas réellement sioniste. Sa référence politique et morale est Judah Magnes, c’est tout dire.
Après le papier de Tariq Ali, celui de Jerry Haber me donne à nouveau l’occasion de faire le point sur les réactions insensées qui ont accueilli le poème de Günter Grass dans la communauté sioniste internationale et leurs nombreuses groupies chez les politiciens Occidentaux.
Jerry Haber aborde le cas de Jeffrey Goldberg, commentateur sioniste très en vue aux Etats Unis, et accessoirement ancien gardien de prison pour le compte de l’Etat juif.
Une lecture serrée du texte de l’écrivain Allemand et un démontage rigoureux d’une argumentation qui, si elle est portée par un des sionistes les plus médiatiques des USA, n’en reste pas moins un acte de propagande correspondant aux canons habituels de la propagande sioniste : partiel, mensonger et bourré de présupposés et de préjugés.
Goldberg glisse sur Grass [jeu de mot avec le patronyme Grass qui signifie herbe)
Par Jerry Haber, The Magnes Zionist (Sionistan) 10 avril 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri
Le poème de Gunter Grass, Ce qui doit être dit, a été défendu et attaqué à travers le monde. Le poème proteste contre la vente par l’Allemagne à Israël d’un sous-marin apte à l’emport de charges atomiques ; il appelle à un contrôle international des programmes nucléaires iranien et israélien par une autorité acceptée par les deux gouvernements ; et, quoique rédigé par un écrivain Allemand, il refuse de rester silencieux sur la puissance nucléaire israélienne, en dépit des crimes commis dans le passé par l’Allemagne contre le peuple juif (et l’humanité). Grass s’exprime en tant qu’Allemand qui ne veut pas être indirectement responsable d’une catastrophe horrible mais veut au contraire, ainsi qu’il le dit, apporter une aide aux Israéliens, aux palestiniens et à d’autres populations de la région – « et en définitive également à nous-mêmes. Cette partie du poème de Grass, la principale, est éminemment raisonnable. Seul un esprit tordu pourrait la considérer comme antisémite ou même antisioniste.
Le poème emploie cependant un vocabulaire qui est choquant aussi bien pour les Iraniens que pour les Israéliens. Il qualifie le président Iranien de grande gueule qui tient son peuple sous sa coupe et l’oblige à faire ses louanges. Il impute aux dirigeants israéliens la prétention d’avoir le droit de réaliser la première frappe qui pourrait éliminer» ou «annihiler» le peuple iranien en se servant des sous-marins vendus par l’Allemagne. Ces deux affirmations relèvent plus de l’exagération et de la grandiloquence des salons (et des blogs) que d’un cri du cœur [en français dans le texte] sérieux. Elles rabaissent le poète et permettent au poème d’être facilement rejeté par les esprits partisans.
Mais supposons que Grass ait été plus précis dans sa description des conséquences d’une attaque israélienne? Supposons que, au lieu d’écrire « une frappe pour éliminer le peuple iranien » il eut écrit «une frappe qui pourrait tuer ou mutiler des centaines de milliers de personnes ?»
Selon le Center for the Strategic and International Studies, , un bombardement du réacteur de la central nucléaire de Bushehr “causerait à lui seul la mort instantanée de milliers de personnes qui vivent dans ou a proximité du site, et aurait pour conséquence des milliers de morts par cancer voire même de centaines de milliers de personnes en fonction de la densité de population des zones situées sur l’axe de contamination.»
La critique d’Israël sur ce point ne serait non seulement pas antisémite; elle pourrait même être avancée par des qui sont «sensibles au dilemme israélien. » Ou comme le dit Jeffrey Goldberg pour Bloomberg :
La moralité d’une frappe [préventive par Israël], qui pourrait provoquer des pertes iraniennes substantielles, serait mise en question même par ceux qui ont de la sympathie pour le dilemme d’Israël.
Goldberg est stupéfait par la ligne fixée au poème par Grass et considère que le texte est antisémite. Mais si le poème de Grass avait parlé de l’évaluation plus « modeste » des pertes à la possibilité de centaines de milliers de victimes, plutôt que de l’annihilation possible du peuple iranien, Goldberg aurait-il abandonné l’accusation d’antisémitisme ? Dans un post où il accuse Grass d’antisémitisme, Goldberg explique qu’Israël « envisage de cibler entre six et huit sites nucléaires iraniens » pour effectuer des bombardements conventionnels,», ce qui est peut être exact, quoique un général Américain en retraite pense autrement. Il y a, c’est certain, une différence claire entre le bombardement nucléaire de sites conventionnels, et le bombardement conventionnel de sites nucléaires. Mais ce qu’ils ont en commun, c’est de pouvoir infliger des « pertes iraniennes substantielles, » pour reprendre la phrase de Goldberg. Alors pourquoi Grass est-il antisémite quand il critique en termes moraux les conséquences d’une attaque israélienne, tandis que Goldberg ne l’est pas ?
Si je comprends Goldberg correctement, il y a deux différences entre la position de Grass vis-à-vis de la critique morale d’Israël et la sienne. Premièrement, Grass est un Allemand et un ancien membre de la SS. Alors il doit la fermer – sauf peut-être s’il démontre qu’il est un de ces allemands «sensibles au dilemme d’Israël.»
Deuxièmement, Goldberg interprète mal Grass en lui faisant dire qu’Israël veut annihiler les Iraniens. Ce n’est nulle part écrit ou sous-entendu fans le poème de Grass. Il dit en fait qu’Israël veut avoir droit à une frappe le premier à titre préventif qui pourrait anéantir le peuple iranien. Quelle est la différence entre les deux ? Eh bien, c’est la différence entre dire qu’Israël a attaqué Gaza avec l’opération « Plomb Durci » d’une manière qui pouvait (et a réellement tué) tuer 1400 Palestiniens et dire qu’Israël voulait tuer 1400 habitants de Gaza.
Pourquoi Goldberg lit-il Grass de la sorte? Il écrit :
Pour vous laisser aller à croire qu’Israël veut massacrer 74 millions d’Iraniens, il faut vous auto-suggérer que les dirigeants de l’Etat juif surpassent Hitler en intentions génocidaires.
Goldberg lit Grass comme si ce dernier accusait Israël de dépasser les criminelles «intentions génocidaires » d’Hitler – une lecture qui est intéressante par ce qu’elle nous dit de la propre tournure d’esprit de Goldberg, mais est encore plus intéressante par ce qu’elle nous dit ce que certains partisans d’Israël pensent au sujet des critiques qui portent sur la puissance militaire israélienne, pour reprendre un des propos heureux de Goldberg. Qu’est-ce qui pourrait être plus antisémite que d’accuser Israël d’être plus génocidaire qu’Hitler ? Après tout, appeler à un embargo sur Israël revient à sous-entendre qu’on ne peut pas avoir confiance dans les Israéliens pour agir de façon responsable dans l’usage de l’arme atomique, ou dans le bombardement d’installations nucléaires iraniennes. Cela revient à rabaisser les Israéliens pour les amener au même niveau, voire plus bas, que le régime islamiste iranien. C’est affirmer qu’en matière d’armes nucléaires, on ne peut pas faire plus confiance aux Israéliens qu’aux Iraniens parce que nous les soupçonnons d’intentions génocidaires.
Goldberg écrit:
Sur les menaces par l’Iran de détruire l’Etat juif – qui a été bâti sur les cendres de l’holocauste allemand – le silence de Grass est révélateur.
Si par “bâti sur les ruines de l’holocauste allemande,” Goldberg se réfère au passage de Benny Morris selon lequel certains soldats Juifs en Palestine, récemment sortis des camps de concentration, considéraient les Arabes qu’ils avaient en face d’eux comme si c’étaient des soldats Nazis, c’est effectivement bien vu.
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Mais qu’on me permette de relever qu’un seul pays, Israël, en a menacé un autre de le frapper en premier.
Le président d’un seul pays, Shimon Peres, a implicitement menacé d’une frappe militaire qui pourrait rayer l’autre pays de la face de l’histoire.
Le président Ahmadinejad, comme Khroutchev et Reagan, peut être critiqué pour sa rhétorique incendiaire. Mais pas pour des menaces d’attaquer le premier.
Et n’oublions pas qu’Israël avait menacé l’Iran d’une attaque préventive en 2003, avant l’élection à la présidence d’Ahmadinejad.
Peut-être M. Goldberg nous donnera-t-il un lien [internet] cers les menaces iraniennes d’action militaire iranienne pour détruire l’Etat juif en l’attaquant le premier. Sur ce point, son silence est éloquent.
(Coups de chapeau à Marsha B. Cohen dont le post indispensable sur le coût humain d’une attaque israélienne sur les sites nucléaires iraniens devrait être lu par quiconque s’intéresse à l’Iran, à Israël – ou à l’humanité).
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