lundi 8 mars 2010

Henning Mankell et la Palestine: une analyse lucide et sans compromis

Vous connaissez sans doute Henning Mankell ou Kurt Wallander, le policier qui est le personnage principal de la plupart de ses romans et qui a inspiré un feuilleton télévisé. Je n'ai malheureusement vu aucun épisode du feuilleton, mais j'ai énormément apprécié les livres de Mankell qui brossent un tableau saisissant de la Suède actuelle.
Je savais Mankell épris de justice, hostile notamment au racisme, lui qui vit désormais au Mozambique par choix personnel et non attiré par exemple par une quelconque activité lucrative. J'ignorais par contre sa sympathie pour la cause de la Palestine, sympathie qu'il a exprimé, au retour d'un séjour en Palestine occupée, dans les colonnes du journal suédois Aftonbladet. Oui, ce même journal qui avait sorti l'affaire du trafic d'organes prélevés sur les victimes des tueurs sionistes.
Le texte de Mankell est limpide et se passe donc de commentaires. Et seuls les moins lucides ne partageront pas son analyse.
Merci à Philip Weiss de m'avoir aiguillé sur ce texte traduit du suédois vers l'anglais (je pense que le texte n'est pas disponible en français)


Bloqué par l'apartheid
par Henning Mankell, Palestine Festival of Literature 2 juin 2009 traduit de l'anglais par Djazaïri

Il y a environ une semaine, j'ai visité Israël et la Palestine. Je faisais partie d'une délagation d'écrivains avec des représentants de diverses parties du monde. Nous venions participer au Festival Littéraire Palestinien. La cérémonie d'ouverture devait se tenir au Théâtre National Palestiniens à Jérusalem. Nous venions juste de nous rassembler quand des soldats et des policiers Israéliens lourdement armés sont arrivés et ont annoncé qu'ils allaient interrompre la cérémonie. Quand nous avons demandé pourquoi, ils ont répondu: vous êtes un rique pour la sécurité.

Prétendre que nous posions à ce moment une menace terroriste réelle pour Israël est absolument dépourvu de sens. Mais en même temps, ils avaient raison: nous représentons une menace quand nous venons en Israël et exprimons ouvertement nos points de vue sur l'oppression de la population palestinienne par Israël.  Elle peut se comparer à la menace que moi-même ainsi que des milliers d'autres avaient autrefois représenté pour le système d'apartheid en Afrique du Sud. Les mots sont dangereux.

C'est ce que j'ai dit aussi quand les organisateurs de la conférence se sont débrouillés pour transférer toute la cérémonie d'ouverture au Centre Culturel Français: - Ce que nous vivons en ce moment est une répétition du système honteux d'apartheid qui traitait à une époque les Africains et les gens de couleur comme des citoyens de deuxième classe dans leur propre pays. mais n'oublions pas que ce même système d'apartheid n'existe plus. Ce système a été aboli par l'action des hommes au début des années 1990. Il y a une relation directe entre Soweto, Sharpeville et ce qui s'est passé récemment à Gaza.

Pendant les jours qui ont suivi, nous avons visité Hébron, Bethléem, Jenine et Ramallah. Un jour, nous marchions dans les collines en compagnie de l'écrivain Palestinien Raja Shehadeh qui nous a montré comment les colonies israéliennes s'étendaient, confisquant des terres palestiniennes, détruisant des routes pour en aménager de nouvelles réservées aux colons. Aux différents checkpoints, le harcèlement était monnaie courante. Pour mon épouse Eva et moi, c'était bien sûr plus simple de passer. Les membres de la délégation munis de passeports syriens ou d'origine palestiniennes étaient tous bien plus exposés. Sortez votre sac du bus, videz-le, rangez-le, ressortez-le une fois de plus.

En Cisjordanie, l'aggravation est une affaire de degré. Le pire de tout, c'était à Hébron. Au milieu d'une ville peuplée de 40 000 Palestiniens, 400 colons Juifs ont confiqué une partie du centre de la ville. Les colons sont brutaux et n'hésitent pas à attaquer leurs voisins Palestiniens. Pouquoi ne pas uriner sur eux depuis les fenêtres des étages supérieurs? Nous avons vu des documents où des femmes colons et leurs enfants donnent des coups de pied et frappent une femme Palestinienne. Les soldats Israéliens qui voyaient ce qui se passait ne faisaient rien pour les en empêcher. C'est la raison pour laquelle il y a des gens à Hébron qui, au nom de la solidarité, se portent volontaires pour suivre des enfants Palestiniens sur le chemin de l'école et du retour à la maison. 1500 soldats Israéliens protègent ces 400 colons, nuit et jour! Chaque colon est protégé en permanence par 4 ou 5 gardes du corps.

De plus, les colons ont le droit de porter des armes. Quand nous nous trouvions à un des checkpoints les plus exécrables à l'intérieur d'Hébron, un colon extrêmement agressif nous a filmés. A la vue de quoi que ce soit de palestinien, ce pouvait être chose la plus insignifiante, un bracelet, une broche, il se précipitait directement vers les soldats pour faire un rapport.

Naturellement, rien de ce que nous avons subi ne peut être comparé avec la situation des palestiniens. Nous les avons rencontrés dans des taxis et dans la rue, à des conférences, dans des universités et des théâtres. Nous avons discuté avec eux et écouté leurs récits.

Est-il étrange que certains d'entre eux, par pur désespoir, quand ils ne voient pas d'autre issue, décident de commettre des attentats suicide? Pas vraiment? Il est peut-être étrange qu'ils n'y en aient pas plus. Le mur qui divise actuellement le pays préviendra de nouveaux attentats, dans le court terme. Mais le mur est une manifestation évidente du désarroi du pouvoir militaire israélien. A la fin, il connaîtra le même sort que celui qui a divisé Berlin à une époque.

 Ce que j'ai vu pendant mon voyage était évident: l'Etat d'Israël dans sa forme actuelle n'a pas d'avenir. Qui plus eux, ceux qui plaident pour une solution à deux Etats sont dans l'erreur.

En 1948, l'année de ma naissance, l'Etat d'Israël proclamait son indépendance sur un territoire occupé. Il n'existe aucune raison d'aucune sorte de la qualifier de légitime selon le droit international. Ce qui s'est passé, c'est qu'Israël a tout simplement occupé un territoire palestinien. Et la dimension de ce territoire s'accroît constamment, avec la guerre de 1967 et avec les colonies de plus en plus nombreuses aujourd'hui. Parfois une colonie est démantelée. Mais c'est seulement pour le spectacle. Très vite, il ressurgit quelque part ailleurs. Une solution à deux Etats ne marquera pas la fin de l'occupation historique.

Il arrivera à Israël la même chose que ce qui s'est produit en Afrique du Sud pendant le régime d'apartheid. La question est de savoir s'il est possible de parler le langage de la raison avec les Israéliens afin qu'ils acceptent volontairement la fin de leur propre Etat d'apartheid. Où si cela doit se produire contre leur propre volonté. Personne ne peut nous dire quand cela se produira. L'insurrection finale démarrera bien entendu à l'intérieur [de la Palestine occupée]. Mais des changements politiques se déroulant en Syrie et en Egypte y contribueront. Aussi important est que, probablement plus tôt qu'on ne le pense, les Etats Unis ne se trouveront plus en mesure de financer cette horrible force militaire qui empêche les jeunes lanceurs de pierres de vivre normalement dans la liberté.
Quand ce changement arrivera, chaque Israélien devra décider pour lui (ou elle)-même s'il ou elle est disposé(e) à abandonner ses privilèges et à vivre dans un Etat palestinien. Pendant mon voyage, je n'ai rencontré nul antisémitisme. Ce que j'ai vu était de la haine contre les occupants, ce qui est tout à fait normal et compréhensible. Distinguer entre ces deux choses est crucial.

La dernière nuit de notre séjour était supposée se terminer de la même manière que nous avions essayé de commencer notre voyage à jérusalem. Mais l'armée et la police ont une fois encore bouclé le théâtre. Il nous a fallu nous réunir ailleurs.

L'Etat d'Israël ne peut s'attendre qu'à être vaincu, comme toutes les puissances occupantes. Les Israéliens détruisent les vies. Mais ils ne détruisent pas les rêves. La chute de de ce scandaleux système d'apartheid est le seule chose concevable, car elle est impérative.

La question n'est donc pas si mais quand elle se produira. Et comment.

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