Dans leur majorité, les sionistes, comme beaucoup de délinquants, vivent en paix avec leur conscience: voler, assassiner ne sont des problèmes moraux pour eux que dans la mesure où quelqu'un, c'est-à-dire leur victime, les "oblige" à le faire. C'est tout le drame de la "conscience" sioniste que rend l'expression "Tuer et pleurer." Golda Meir avait formulé ce pseudo-drame de conscience de manière moins elliptique en accusant les Arabes de les obliger, eux sionistes, à tuer leurs enfants tant il est "vrai" que les Palestiniens sont allés chercher les colons sionistes en Roumanie, en France ou en Pologne pour les soumettre à ce cruel dilemme.
Il est cependant arrivé que des sionistes éprouvent de réelles difficultés avec leur concience et cela semble avir été le cas d'un certain Haim Margaliot Kalvarisky, agronome de son état, qui était missionné pour acheter des terres aux Arabes en vue de les livrer à la colonisation.
Dans le texte que je vous propose, on nous montre une personne qui semble réellement souffrir de participer à ce qu'elle-même appelle la dépossession (qu'on peut traduire aussi par spoliation) des paysans Palestiniens.
Vous me direz que ces terres sont légalement achetées, en quoi peut-il être question de "dépossession"? Simplement parce que ces terres ne sont pas achetées aux payasans considérés qui n'en sont souvent que les métayers ou les fermiers, parfois depuis plusieurs générations, mais à de gros propriétaires absentéistes. Et que non seulement la cession de la terre entraîne l'exclusion des paysans indigènes, mais une terre devenue "juive" ne pourra ultérieurement être cédée à un non Juif.
On remarquera aussi qu'acheter une parcelle de terre ne signifie pas normalement qu'elle en vienne à acquérir un statut d'extra-territorialité: ainsi si demain vous achetez un lopin de terre dans le Cantal, vous auriez quelques problèmes avec les pouvoirs publics si vous le proclamiez en tant que partie d'un territoire désormais non soumis aux lois de la république française (c'est la principale différence entre immigration et colonisation).
Kalvarisky n'a rencontré, dans sa tentative désespérée de trouver une issue satisfaisante pour tous, qu'indifférence et méfiance auprès de l'establishment sioniste. On comprend pourquoi.
par Abigail Jacobson, Haaretz (Sionistan) 31 déc. 2009 traduit de l'anglais par Djazaïri
Malheureusement pour la mémoire d'Haim Margaliot Kalvarisky (1868 – 1947) – qui achetait des terres en Galilée pendant l'époque pré-étatique pour le compte de la Jewish Colonization Association – la discussion sur sa vie s'est récemment passé de la rubrique culturelle des journaux au tribunal. La famille de Kalvarisky a décidé de poursuivre en justice l'écrivain Alon Hilu pour avoir, selon elle, rendu compte de manière déformée de la personnalité de son proche dans son roman « Ahuzat Dajani » ('LaMaison Dajani'). La dispute entre les Kalvariskys et Hilu soulève naturellement certaines questions fondamentales sur le degré de liberté qu'un auteur peut prendre dans une fiction historique;elle offre aussi, cependant, une opportunité de sauver de l'oubli une figure historique qui a été quelque peu oubliée, et pas par accident.
Kalvarisky est né en Pologne en 1867 et est venu en Eretz Israël en 1895. Agronome de formation, il a passé de nombreuses années à manager des communautés agricoles en Galilée. Une partie de son travail consistait à acheter des terres aux habitants Arabes de la région pour y développer la colonisation juive,mais diverses sources, dont de nombreuses trouvées dans les Archives Centrales Sionistes – indiquent clairement qu'il a sincèrement et profondément ambivalent au sujet de la relation du mouvement sioniste avec les Arabes. En 1919, il devint le principal agent de liaison du mouvement avec les dirigeants Arabes et fonda même « l'Arab National Society, » qui était financée par le mouvement sioniste dans le but de contrebalancer les activités des dites organisations islamo-chrétiennes qui s'opposaient au sionisme dans les premières années du mandat britannique sur la Palestine.
Finalement, Kalvarisky devint un des principaux militants de l'organisation Brit Shalom qui plaidait pour la promotion de la compréhension mutuelle entre Juifs et Arabes en Palestine.
Dans la mémoire collective palestinienne, Kalvarisky est perçu comme un agent sioniste qui a persuadé, parfois par la corruption, des Arabes de vendre leurs terres aux Juifs. En revanche, sa personnalité a pratiquement disparu de la mémoire collective sioniste, peut-être à cause de son engagement ultérieur dans Brit Shalom. Mais la distinction binaire entre le « collaborateur sioniste » et un homme qui refuse de se conformer à l'idéologie sioniste est trop simpliste, et elle ne rend pas justice à la personnalité complexe de Kalvarisky qui, encore jeune, était conscient de l'accroissement des tensions entre Juifs et Arabes en Palestine.
En 1919, à l'invitation du prince Hachémite Fayçal, Kalvarisky présenta au Congrès Général Syrien un plan pour un accord judéo-arabe. Le plan contenait ses points à première vue contradictoires. Dans sa première partie, Kalvarisky déclare que « La Palestine est la patrie de tous ses citoyens:Musulmans, Chrétiens et Juifs sont tous citoyens avec des droits égaux. »
La seconde partie reprend l'esprit de la Déclaration Balfour et reconnaît la Palestine comme le foyer national du peuplejuif qui a besoin d'un territoire afin de réaliser ses aspirations nationales et culturelles. Cependant, poursuit Kalvarisky, aucune religion ne doit avoir de prééminence en Palestine, et les membres de toutes les confessions doivent avoir un statut égal et ne pas faire l'objet de discrimination. Selon ce concept, l'immigration juive en Palestine ne devait pas être soumise à restriction parce qu'aussi bien le capital que la main d'oeuvre juifs étaient profitables au territoire – et à ses habitants (Central Zionist Archives document A113/1).
Adopté dans son principe par le Congrès Syrien, le plan de Kalvarisky reflète les contradictions internes auxquelles il a été confronté. D'un côté, il acceptait l'esprit de la Déclaration Balfour; de l'autre, il appelait à l'égalité pour tous les habitants de la Palestine. Pourtant Kalvarisky lui-même ne semble pas avoir pensé que son plan était contradictoire en soi. Quand il le présenta au comité intérimaire sioniste [la représentation politique provisoire de la communauté juive pré-étatique] en juin 1919, il soutint que « l'accord judéo-arabe n'exigeait pas de nous d'abandonner quoi que ce soit de notre programme fondamental. Eretz Israël devra être notre foyer national, l'hébreu devra être reconnu comme langue de ce territoire à côté de l'arabe..? L'immigration juive et la colonisation devront être complètement libres... Et en même temps, nous ne devons pas ignorer les besoins de nos voisins. Parce que nous ne devons pas construire notre foyer national sur la destruction de celui des autres. Si nous suivons cette règle – que nous ne devrions pas faire aux Arabes ici ce que nous ne voulons pas que les Gentils nous fassent dans la diaspora – je suis sûr que cet accord avec les Arabes peut entrer dans les faits et sera une bénédiction pour nous. » (CZA 8777/J1, pgs. 108-109).
La 'question arabe'
L'expression la plus claire de l'ambivalence de Kalvarisky quant à son rôle dans le mouvement sioniste peut s'observer dans les tout premiers moments de la session de ce même comité. Débutant avec une touche personnelle, Kalvarisky expliqua comment sa propre histoire personnelle avait contribué à sa prise de conscience de la « question arabe: » « La question des Arabes m'est apparue dans toute sa gravité dès le premier achat de terre que j'ai effectué ici, quand j'ai eu pour la première fois à me confronter au fait de déposséder des habitants Arabes de leur terre pour permettre à nos frères de s'y établir... J'ai alors vu à quel point le bédouin est attaché à sa terre. Pendant mes 25 ans de travail de colonisation, j'ai dépossédé de nombreux Arabes de leurs terres et vous comprenez que ce travail – déposséder des gens de la terre où ils, et peut-être leurs ancêtres, sont nés – n'est pas du tout quelque chose de facile, spécialement quand le spoliateur ne considère pas les spoliés comme un troupeau de moutons mais plutôt comme des personnes avec un coeur et une âme.
« Je devais pratiquer ces dépossessions parce que le Yishouv [la communauté juive pré-étatique] l' exigeait de moi,maisj'ai toujours essayé de les faire en douceur de sorte à ce que le dépossédé ne le ressente pas trop durement...J'ai aussi essayé de faire en sorte que le dépossédé ne quitte pas sa terre les mains vides et de m'assurer que les effendis – qui étaient toujours les pourvoyeurs, les intermédiaires entre acheteurs et vendeurs – ne les volent pas... Dès le début de mon travail ici, je suis entré en contact avec les Arabes et la question arabe » (CZA 8777/J1, pgs. 104-105).
Ces lignes pourraient avoir valeur d'exemple de la fameuse maxime israélienne « tuer et pleurer, » et pourtant, personne ne peut ignorer le courage de Kalvarisky quand il utilise le mot « dépossession » : un terme fort et sans ambigüité dans le contexte du débat sur les achats de terres par les sionistes.
En opposition à l'état d'esprit des dirigeants sionistes des débuts de la colonisation juive en Palestine, la personnalité de Kalvarisky apparaît particulièrement fascinante. Elle rejoint celles d'autres, comme les journalistes et militants de Jaffa Nissim Malul et Shimon Moyal qui ont oeuvré pour le mouvement sioniste mais se sont exprimés avec force contre son traitement des Arabes et son refus de reconnaître la « question arabe. » Les écrits, les lettres et les discours de Kalvarisky témoignent de façon répétée de son ambivalence devant sa propre entreprise – des actes immoraux vis-à-vis des Arabes mais aussi une mission à caractère national. Sa vision du problème, aussi naïve qu'elle puisse sembler, reste hautement pertinente par rapport à nombre de dilemmes auxquels la société israélienne doit aujourd'hui faire face.
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