L'Iran dans un nouveau voyage de découvertepar Kaveh L Afrasiabi, Asia Times (Hong Kong) 25 février 2011 traduit de l'anglais par Djazaïri
"Les Américains s'efforcent de ne pas être pris pour cibles par ces grands soulèvements populaires, mais ils échoueront parce que les gens ont réalisé que les politiques des Etats Unis et de leurs acolytes sont la cause de leur humiliation et de la division dans leurs nations. Par conséquent, la clef pour résoudre les problèmes des peuples se trouve dans la fin de l'irdre américain dans la région." - Ali Khamenei, guide suprême Iranien.
Ce lundi, alors que deux navires de guerre iraniens se préparant à traverser le canal de Suez - au grand dam d'Israël qui a perçu ce mouvement naval "avec la plus extrême gravité" - le guide suprême Iranien Ali Khamenei s'est adressé à un groupe de diplomates du monde musulman et leur a parlé avec confiance d'une nouvelle àre au Moyen Orient, reflet d'un "renouveau musulman."
Avec la chute de deux dictateurs pro occidentaux en Egypte et en Tunisie et l'évolution rapide de la contestation dans Bahrein qui est majoritairement chiite et est le port d'attache de la Vème Flotte US, les dirigeants Iraniens ont d'amples motifs pour justifier leur affirmation confiante d'un "nouveau Moyen Orient" qui sera de moins en moins soumis devant les intérêts occidentaux en s'affirmant et en étant plus indépendant..
Une frégate et un navire logistique iraniens ont franchi le canal de Suez, en route vers la Syrie après avoir obtenu l'accord des autorités égyptiennes - c'est la première fois que de tels bateaux empruntent cette voie d'eau depuis la déposition du chah d'Iran en 1979. Le premier ministre Israélien Benyamin Netanyahou a déclaré ce dimanche que l'Iran essayait d'exploiter l'instabilité dans la région.
Selon le droit international, seuls les bateaux des pays en guerre avec l'Egypte sont interdits de franchissement du canal de Suez. Mais les navires militaires doivent obtenir l'autorisation préalable des ministères égyptiens de la défense et des affaires étrangères.
"Je pense qu'aujourd'hui, nous pouvons voir dans quelle région instable nous vivons, une région dans laquelle l'Iran tente d'exploiter la situation nouvellement créée afin d'élargir son influence en faisant passer des navires de guerre par le canal de Suez," a déclaré Netanyahou selon la presse. Le ministre israélien des affaires étrangères a qualifié les bateaux de "provocation" qui devrait être "traitée par la communauté internationale."
Il y a consensus chez les spécialistes de la politique étrangère iranienne pour dire que la décision de l'armée égyptienne de permettre le passage de l'Alvand et du Kharg est une ouverture significative qui crée un climat favorable pour une amélioration bien nécessaire des relations entre l'Iran et l'Egypte.
Accusés par la presse israélienne de "connivence" avec l'Iran au sujet du passage des bateaux, les commandants de l'armée égyptienne - qui dirigent le pays depuis le renversement du président Hosni Moubarak en janvier - pourraient maintenant accélérer le processus de normalisation des relations avec l'Iran avant les élections prévues pour septembre. En quoi ils dérogent à leur affirmation selon laquelle le gouvernement s'en tiendrait à ses obligations en matière internationale, dont l'accord de paix de Camp David signé avec Israël.
D'après le journal israélien Haaretz, Israêl ne peut plus avoir la certitude que l'Egypte restera son alliée contre l'Iran. Une lecture plus précise pourrait être qu'Israël craint la formation d'une alliance entre l'Egypte et l'Iran, entraînant une modification du rapport de forces au détriment du bloc conservateur soutenu par Israël et les Etats Unis pour isoler l'Iran.
En ces temps tumultueux au Moyen Orient et en Afrique du Nord, ce sont maintenant des régimes pro USA qui sont soit renversés soit sérieusement contestés par leurs propres populations, donant au bloc emmené par l'Iran, qui comprend la Syrie, le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban, une opportunité unique de récolter d'importants gains (géo) politiques. Ce serait tout particulièrement le cas si l'actuel "effet domino" donnait lieu à une transformation significative du système politique archaïque en vigueur à Bahrein.
Même si l'amiral Mike Mullen, patron de l'état-major interarmes de l'armée des Etats Unis, a accusé implicitement dans sa dernière interview, l'Iran d'attiser les troubles au Bahrein, le fait est que de nombreux chiites Bahreinis se tournent plutôt vers la ville sainte irakienne de Najaf et la direction spitituelle de l'ayatollah Ali Sistani, tandis que seule une minorité se réfère aux orientations de Khamenei.
Quoi qu'il en soit, l'inévitable autonomisation politique des chiites Bahreinis - qui dépassent en nombre les dirigeants sunnites - sous une forme ou sous une autre (comme par une révolution ou par le "dialogue national" proposé par le gouvernement), sera largement interprétée comme un succès important pour l'Iran. Elle amènera Bahrein ainsi que d'autres membres du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) à montrer plus de référence à la rapide montée en puissance de l'Iran dans la région. Créé en 1981, le CCG réunit les Etats du Golfe Persique: Bahrein, Qatar, l'Arabie Séoudite, Oman et les Emirats Arabes Unis.
Cette reconnaissance de l'évolution de la tendance politique en faveur de l'Iran, la bête noire des Etats Unis dans la région, peut déjà être perçue dans la décision sans précédent de l'Arabie séoudite d'autoriser une escale dans un de ses ports de navires de guerre iraniens (ceux qui ont traversé la mer Rouge et le canal de Suez, en route pour le port syrien de
Lattaquié). Cependant, ce geste de paix de l'Arabie envers l'Iran a pu être motivé par la crainte d'un soulèvement de ses propres sujets chiites mécontents (environ 2 millions sur un total de 26 millions d'habitants).
Ce qui soulève de nouvelles questions sur l'avenir des relations entre les Etats Unis et l'Iran à la lumière d'une coexistence difficile et conflictuelle tout autant que d'intérêts communs entre ces deux pays dans le chaudron moyen oriental et ailleurs.
Les Etats Unis pourraient devoir revoir leur approche coercitive envers l'Iran par rapport à son programme nucléaire et s'abstenir de nouvelles sanctions ainsi que de la politique vaine jusqu'à présent consistant à isoler l'Iran, afin que Téhéran prenne confiance dans la faisabilité d'une coopération basée sur des intérêts communs, comme l'endiguement de la triple menace des Talibans, de l'extrémisme wahabbite et du trafic de drogue, sans parler de la stabilité régionale.
En ce qui concerne la crise du nucléaire, une avancée prudente des Etats Unis serait un consentement à un échange de combustible nucléaire pour le réacteur médical de Téhéran, et qu'ils pèsent politiquement dans le sens des efforts actuels de l'ONU pour un Moyen Orient dénucléarisé.
Les Etats Unis pourraient aussi accepter de ne plus objecter à la participation de l'Inde à un pipeline reliant l'Iran, l'Inde et le Pakistan, la modération politique favorisée par la logique de l'interdépendance économique ne peut pas, et ne devrait pas, être ignorée.
Il est cependant peu probable que Washington reconnaisse jamais la place éminente de Téhéran dans l'ensemble des affaires du Moyen Orient. Au lieu de quoi, ainsi qu'on l'a vu avec Mullen, les Etats Unis continuent à orienter leur politique à travers un regard iranophobe, en conséquence de quoi la zone grise des "intérêts communs" restera largement inexplorée et inexploitée.
La 'lancinante' question des droits des PalestiniensComme on s'y attendait, la presse iranienne a fustigé le veto de l'administration de Barack Obama la semaine dernière contre la résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU qui critiquait les colonies israéliennes illégales. Un veto qui renforce l'idée très répandue en Iran et dans d'autres parties du monde arabe et musulman que le gouvernement US est entre les mains du lobby pro israélien et fondamentalement incapable de se démarquer, et encore moins de s'opposer aux plans israéliens pour la région.
Sauf démonstration du contraire par la Maison Blanche, en ajustant on approche du "processus de paix" en exerçant de véritables pressions sur Israël; le soupçon subsistera que la politique des Etats Unis pour le Moyen Orient est façonnée à un degré significatif par Tel Aviv.
L'intérêt de l'Iran pour le "problème" palestinien est à la fois idéologique et issu de la volonté de développer la zone d'influence de l'Iran, ce qui veut d'abord dire que la politique des Etats Unis consistant à exclure l'Iran du dialogue multilatéral sur le processus de paix est à la fois contreproductive et dysfonctionnelle.
"Les politiques expansionnistes d'Israël ont nui aux intérêts des Etats Unis et contribué sans aucun doute à l'impopularité du chah de l'Amérique, Hosni Moubarak," affirme un politologue de l'université de Téhéran spécialisé dans la politique étrangère iranienne; il ajoute que "les politiciens Israéliens sont naturellement aveugles sur ce point, mais devrait-il en être de même pour les Américains?"
Considérant l'ordre récent de l'armée égyptienne d'ouvrir le point de passage vers Gaza pour plusieurs jours comme l'indication d'une nouvelle approche égyptienne qui n'adhère plus au siège de Gaza, aussi bien ce professeur de Téhéran qu'un certain nombre d'experts Iraniens sont optimistes sur le brillant avenir des relations entre l'Iran et l'Egypte. Cet avenir sera basé, disent-ils, sur une "commune solidarité avec les Palestinens." A tout le moins, Le Caire peut maintenant en meilleure posture pour obtenir des concessions de la part des USA et d'Israël, en agitant le spectre d'un compagnonnage avec l'Iran, ce qui serait un développement inquiétant vu sous le prisme des intérêts d'Israël et des Etats Unis.
Conscient de la nécessité de creuser un fossé ente les Etats Unis et Israël, la stratégie iranienne consiste à combiner son bâton anti-américain d'un "Moyen Orient sans les USA", pour paraphraser le discours du président Mahmoud Ahmadinejad à l'occasion du 32ème anniversaire de la révolution de 1979 et la carotte de la coopération sur des "préoccupations communes," comme la menace des Talibans.
Le fait que l'Iran puisse constituer un corridor d'accès direct dans le contexte des attaques constantes contre les routes d'approvisionnement de l'OTAN en Afghanistan via le Pakistan, ou encore avoir une influence modératrice que les coreligionnaires chiites dans le Golfe Persique a été souligné par certains experts à Téhéran. Ils conditionnent un tel rôle de Téhéran à la volonté des Etats Unis de revenir sur leur politique de sanctions, de menaces et de tentatives de changement du régime.
L'ironie du sort veut que le résultat de la politique US a été à l'exact opposé de ce qu'elle cherchait: ses alliés tombent tandis que l'Iran ne subit qu'un minimum de conséquences de la "fièvre démocratique" qui touche la région, en conséquence de quoi, Téhéran se considère comme étant en capacité de dicter les termes de tout dialogue Iran - Etats Unis. C'est parce que les Etats Unis sont perçus comme affaiblis, sur la défensive et en "mode panique devant la chute des dominos," pour citer l'éditorial d'un journal conservateur de Téhéran.
L'empire peut réussir à riposter et à restaurer son ordre en ruines, mais l'avantage est pour le moment à l'Iran et à ses alliés.
Kaveh L Afrasiabi, PhD, is the author of After Khomeini: New Directions in Iran's Foreign Policy (Westview Press) . For his Wikipedia entry, click here. He is author of Reading In Iran Foreign Policy After September 11 (BookSurge Publishing , October 23, 2008) and his latest book, Looking for rights at Harvard, is now available.