Mouammar Kadhafi est [un chien] fou, Bernard-Henri Lévy est un penseur de la philosophie. Aucune de ces deux affirmations n'est conforme à la vérité.
Le colonel Kadhafi n'est certes pas fou comme l'a montré sa façon de gérer les menaces intérieures et extérieures dont il faisait l'objet. Ce n'est pas pour rien que ses ennemis (et ex amis) n'ont rien trouvé d'autre que la force brute et les menaces de meurtre pour en finir avec lui.
Et dictateur ou pas, le colonel Kadhafi est loin de disposer de capacités de destruction et de mort comparables à celles dont disposent et se servent les nations démocratiques comme la France ou la grande Bretagne.
Un des arguments qui plaidait en faveur de la folie du dirigeant Libyen était son invocation de la menace d'al Qaïda. Là, il avait commis une petite faute, car al Qaïda c'est seulement où et quand ça arrange les Etats Unis.
Sinon, nous avons toujours affaire à des combattants de la liberté, comme ceux qui avaient lutté contre la présence soviétique en Afghanistan. Le présumé philosophe Bernard-Henri Lévy est tout particulièrement chargé par les néoconservateurs américano-sionistes de délivrer des certificats de démocratie en bonne et due forme.
Personnellement, je pense que Ben Laden est décédé et je ne crois pas qu'al Qaïda existe au sens ou on l'entend d'organisation autonome, calquée sur le SPECTRE, l'organisation criminelle sans base territoriale définie qu'affronte James Bond. Ce qu'on appelle al Qaïda n'est sans doute que la désignation d'un réseau dont les ficelles sont tirées par le régime saoudien et qui s'en prend tout spécialement aux Etats qui gênent les monarques du Nedjd.
Qui qu'il en soit, l'article que je vous propose semble indiquer que Kadhafi n'est peut-être pas si fou et que Bernard-Henri Lévy devrait peut-être relire les philosophes, les vrais.
Deux documents donnent à penser que le nord est libyen, centre de la rébellion, est une zone d'activités d'al Qaïda
Par Alexander Cockburn, The First Post (UK) 24 mars 2011 traduit de l'anglais par Djazaïri
La guerre contre la Libye menée en ce moment par les Etats Unis, la Grande Bretagne et la France figure certainement par mi les entreprises guerrières les plus stupides, à une échelle plus réduite, c'est certain, depuis qua Napoléon s'était mis en tête d'envahir la Russie en 1812.
Ca commence avec le bras de fer entre les membres de la coalition qui disputent des objectifs fondamentaux de l'opération. Comment s'accorde « prendre toutes les mesures nécessaires » avec l'exclusion de toute « force d'occupation étrangère sous n'importe quelle forme et sur un point quelconque du territoire libyen. » La coalition peut-elle tuer Kadhafi et reconnaître un gouvernement provisoire à Benghazi ? Qui sont exactement les révolutionnaires et libérateurs de la nation dans l'est libyen ?
Aux Etats Unis, l'offensive s'est faite à l'instigation des interventionnistes libéraux [une notion approchant de celle de "gauche" institutionnelle dans le vocabulaire américain] : notamment trois femmes, à commencer par Samantha Power qui dirige le bureau des affaires multilatérales et des droits de l'homme au Conseil de Sécurité Nationale d'Obama. C'est une Américano-irlandaise de 41 ans qui s'est fait un nom pendant les années Bush avec son livre « A Problem From Hell, une étude de la réponse de la diplomatie des Etats-Unis au génocide et de l'incapacité de l'administration Clinton à réagir avec force aux massacres au Rwanda.
Elle avait dû démissionner de sa fonction de conseillère pour la campagne d'Obama en avril 2008, pour avoir qualifiée Hillary Clinton de "monstre" dans un entretien accordé au Scotsman, mais était rentrée dans les bonnes grâces après l'élection d'Obama, et le monstre qu'elle a maintenant dans son viseur est Kadhafi.
Susan Rice, ambassadrice des Etats Unis à l'ONU, est la première femme Afro-Américaine nommé à ce poste. Elle a longtemps été une ardente interventionniste. En 1996, en qualité de membre de l'administration Clinton, elle avait soutenu la force multinationale qui avait envahi le Zaïre à partir du Rwanda en 1996 et déposé le dictateur Mobutu Sese Seko, affirmant en privé « Tout sauf Mobutu. »
Mais le 23 février, elle a fait l'objet d'une attaque virulente dans le Huffington Post de la part de Richard Grenell, un ancien membre de la mission diplomatique des Etats-Unis à l'ONU pendant les années Bush. Grenell s'attardait avec sévérité sur des exemples où, selon lui, Rice et son dernier patron, Obama, jetaient l'éponge et faisaient montre d'un manque de leadership devant le tumulte qui s'emparait du Moyen orient et tout particulièrement en renonçant à soutenir le soulèvement contre Kadhafi.
Susan Rice comme Hillary Clinton ont été piquées à vif par l'attaque de Grenell. Stimulées par l'ardeur de Power, elles ont brusquement durci leur position et Clinton a lancé ses furieuses diatribes contre Kadhafi, « le chien enragé. » Pour Clinton, c'était une réédition à l'identique de ses tentatives de 2008 pour présenter Barack Obama comme une lavette pacifiste, du genre à ne pas interrompre sa sieste si le téléphone rouge sonne à trois heures de l'après-midi.
De son côté, Obama ne tenait pas trop à une intervention, la percevant comme un bourbier coûteux, une guerre de plus à laquelle étaient farouchement opposés son secrétaire à la défense Robert Gates son état-major interarmes. Mais à ce moment, les interventionnistes libéraux et les néo conservateurs s'égosillaient à pleins poumons et Obama, dans sa crainte perpétuelle d'être débordé, a succombé, s'empressant de formuler la moins convaincante des déclarations de buts de guerre de toute l'histoire de la nation.
Il a déjà récolté une menace d'impeachment de la part du député de gauche Dennis Kucinih pour s'être arrogé des pouvoirs de déclaration de guerre réservés au Congrès des Etats-Unis, même s'il faut bien dire que les protestations venues de gauche ont été assez faibles. Comme toujours, beaucoup à gauche attendent l'intervention qu'ils pourront finalement soutenir, et dès le début nombre d'entre eux ont murmuré avec délice, « C'est la bonne. » Bien entendu, le bon sens (le mien) dit simplement que rien de bon n'est jamais sorti d'une intervention des grandes puissances occidentales, que leurs buts affichés soient ou non humanitaires.
Voilà pour les instigateurs de l'intervention aux Etats Unis. En France, l'initiateur de l'intervention est le dandy intellectuel et « nouveau philosophe » Bernard-Henri Lévy, que ses admirateurs comme ses détracteurs appellent BHL. Comme l'a relaté Larry Portis dans notre newsletter sur CounterPunch, BHL est arrivé à Benghazi le 3 mars. Deux jours après, BHH était interviewé par diverses chaînes de télévision. Il apparaissait devant la caméra dans son uniforme habituel – une chemise blanche immaculée, col relevé, veste de costume noire et cheveux en bataille.
Son message était urgent mais rassurant. « Non », disait-il, « Kadhafi n'est pas capable de lancer une offensive contre l'opposition. Il n'a pas les moyens de le faire. Il a cependant des avions. C'est le vrai danger. »
BHL appelait au brouillage des communications radio, à la destruction des pistes d'atterrissage dans toutes les régions de Libye et au bombardement du bunker personnel de Kadhafi. En bref, ce serait une intervention humanitaire dont il n'avait pas spécifié les modalités [juridiques].
Par la suite, comme BHL l'a expliqué: "Je l'ai appelé [Sarkozy] depuis Benghazi. Et quand je suis rentré, je suis allé au Palais de l'Elysée pour le voir et je lui au dit que les gens du Conseil National de Transition étaient des types biens. »
De fait, le 6 mars, BHL est renter en France et a rencontré Sarkozy. Quatre jours après, le 10 mars, il a vu à nouveau Sarkozy, cette fois avec trois Libyens qu'avec de proches conseillers de Sarkozy, il avait encouragés à venir en France
Le 11 mars, Sarkozy a déclaré que le Conseil National de Transition était le seul représentant légitime du peuple libyen. A Benghazi, les gens appelaient à l'aide et applaudissaient au nom de Sarkozy. Sarko est enfin populaire, lui dont les taux d'approbation en France oscillent autour de 20 %.
Autant pour les circonstances dans lesquelles a été conçue l'intervention. Elles n'ont rien à voir avec le pétrole, tout avec le narcissisme et le calcul politicien. Mais à qui exactement ceux qui interviennent prêtent-ils secours ? C'est le grand flou de ce côté, mises à part les références enthousiastes aux révolutionnaires romantiques de Benghazi, et la ridiculisation de la façon dont Kadhafi a qualifié ses opposants de l'est du pays.
Pourtant, deux documents appuient fortement les arguments de Kadhafi sur ce point.
Le premier est un câble secret envoyé en 2008 par l'ambassade US à Tripoli au Département d'Etat US et qui figure dans la mine qu'est WikiLeaks. Intitulé « L'extrémisme en Libye orientale, » ce câble révélait que cette région était en proie à sentiment djihadiste anti-américain.
Selon ce câble de 2008, l'aspect le plus troublant ' est la fierté de nombreux Libyens de l'est, particulièrement ceux de Dernah et ses alentours, semblent ressentir pour la participation de leurs jeunes à l'insurrection en Irak… [et le] don des imams extrémistes pour propager des messages appelant au soutien et à la participation au djihad. »
Le second document, ou plutôt ensemble de documents, est ce qu'on appelle le rapport Sinjar, des documents d'al Qaïda qui sont tombés aux mains des Américains en 2007. Ils ont été analysés comme il se doit par le Combatting Terrorism Center de l'académie militaire US de West Point. Al Qaïda est une organisation bureaucratique et ces dossiers contiennent des détails précis sur ses membres, dont ceux qui sont venus en Irak pour combattre les forces américaines et coalisées et, si nécessaire, se suicider.
L'étude statistique par les spécialistes de West Point des informations sur les membres d'al Qaïda conclut qu'un pays a fourni « beaucoup plus » que n'importe quel autre de combattants étrangers proportionnellement à sa population : son nom est la Libye.
Les dossiers montrent que la "grande majorité" des combattants Libyens pour lesquels la résidence d'origine était mentionnées habitaient au nord-est du pays." Benghazi a fourni de nombreux volontaires. Tout comme Dernah, une ville à 200 kilomètres à l'est de Benghazi et dans laquelle un émirat islamique a été proclamé quand la rébellion contre Kadhafi a commencé.
Anthony Shadid, journaliste au New York Times, a même parlé avec Abdul-Hakim al-Hasadi, celui qui a promulgué l'émirat islamique. Al-Hasadi fait l'éloge des 'bons côtés' d'Oussama Ben Laden, avait rapporté Shadid, quoique il dénonce prudemment les attentats du 11 septembre contre les Etats Unis. D'autres sources ont signalé que cet admirateur fervent d'Oussama aurait une influence des plus grandes dans la formation d'un éventuel gouvernement provisoire.
L'étude par West Point du dossier Sinjar a calculé que sur les 440 recrues étrangères d'al Qaïda dont les villes d'origine sont connues, 21 venaient de Benghazi, ce qui place cette cille au 4ème rang de toutes les villes citées dans le dossier. 53 des recrues d'al Qaïda venaient de Dernah, l'effectif le plus important de toutes les villes citées dans le dossier, devant Riad en Arabie Saoudite avec 51 recrues. Mais Dernah (80 000 habitants) représente moins de 2 % de la population de Riad. Donc, Dernah apporte de très loin la plus importante contribution en matière de combattants par habitant.
Comme l'écrit Brian Fairchild, un ancien des opérations spéciales de la CIA, avec « l'absence apparente d'un quelconque plan pour une gouvernance post-Kadhafi, une ignorance de la nature tribale de la Libye et notre bilan médiocre dans la négociation avec des tribus, les documents du gouvernement américain établissent de manière concluante que dans l'épicentre de la révolte, sévit un sentiment anti-américain et pro-djihad, et avec le soutien explicite d'al Qaïda à la révolte, il est justifié de demander à nos décideurs politiques en quoi une intervention militaire américaine en soutien à cette révolte sert d'une manière quelconque les intérêts stratégiques vitaux des Etats unis. »
Comme je l'avais écrit ici il y a quelques semaines, "C'est vraiment comme si Oussama Ben Laden était en train de gagner la Grande Guerre contre le terrorisme. » Mais j'étais très loin d'imaginer qu'il [Ben Laden] verrait une alliance des Etats Unis, de la France et de la Grande Bretagne se saignant aux quatre veines pour l'aider dans son entreprise.
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