Je vais commencer par un mea culpa : j'ai titré mon précédent post sur l'assassinat de six villageois Libyens par les forces US alors qu'ils n'ont en réalité été que blessés par les tirs américains. Le texte n'en reste pas moins valable car si les Américains leur ont tiré dessus, c'était bel et bien pour leur faire des boutonnières dans la peau.
Je passe maintenant à ce texte d'un commentateur politique qui collabore avec le magazine Time et qui cherche à expliquer la démarche d'Obama par rapport à la Libye et son évolution.
Si on comprend bien, ce qui différencie Obama de Bush père et fils, c'est qu'il prétend agir pour des raisons humanitaires et qu'il a besoin de l'approbation de la « communauté internationale » pour intervenir.
Sauf que comme on le comprend à la lecture du texte, Obama, comme tant d'autres responsables ou commentateurs aux Etats Unis, se comporte comme quelqu'un qui penserait que le permis de conduire qui lui a été délivré lui permettait de faire ce qu'il veut avec sa voiture, rouler sur la bande d'arrêt d'urgence, griller les feux rouges et envoyer valdinguer les cyclistes.
Dans ses grands projets pour l'humanité, Obama a l'aide d''une certaine Samantha Power, un genre de Bernard Kouchner au féminin.
En matière d'intervention humanitaire, si Obama s'empresse de ne rien faire pour Gaza, le Yémen ou le Qatar, et s'il donne l'exemple en Irak et en Afghanistan, il a trouvé par contre avec la Libye un terrain d'expérimentation de prédilection. Pourtant, comme l'admet Massimo Calabresi, qui a plutôt la fibre interventionniste, rien dans le comportement des forces fidèles au colonel Kadhafi ne permet d'attester la réalité de crimes de guerre. Pourtant toute la justification de l'intervention repose sur ces allégations. (or, il existe d'amples preuves des crimes commis par Barack Obama en Afghanistan par exemple).
Bref, il s'agit comme le dit l'auteur de remettre au goût du jour l'idée kouchnérienne pour faire la guerre en toute bonne conscience. Et que ceux qui croient que le procédé va rester confiné à la Libye ou rester d'application très exceptionnelle, qu'ils se détrompent puisqu'Obama a dit lui-même qu'il s'agissait de créer un précédent.
Et la guerre « humanitaire », ce n'est pas seulement pour les Etats Unis la guerre avec bonne conscience, c'est aussi une guerre relativement bon marché puisqu'elle mobilise en guise de supplétifs la communauté internationale, pardon les fameux « alliés ». En ces temps de déficits budgétaires et commerciaux monstrueux Outre Atlantique, c'est quand même intéressant de faire payer aux autres la réalisation de ses objectifs stratégiques.
par Massimo Calabresi, Swampland (Time, USA) 20 mars 2011 traduit de l'anglais par Djazaïri
Le président Barack Obama dit qu'il intervient pour empêcher des atrocités en Libye. Mais des détails sur les débats en coulisses à la Maison Blanche montrent qu'il va à la guerre en partie pour réhabiliter une idée.
Il y a trois semaines, j'avais publié un article intitulé "Obama ordonnera-t-il une intervention en Libye?" Il commençait ainsi : Il semble absurde de supposer qu'après l'Irak, les Etats-Unis pourraient intervenir militairement pour aider à faire tomber un autre régime arabe. Mais le risque croissant de l création par Kadhafi d'une catastrophe humanitaire, combiné à une large convergence d'intérêts, ont amené les observateurs de la crise à l'intérieur et hors de l'administration à repérer les signes avant-coureurs d'un conflit susceptible de contraindre Obama à agir. »
Mon principal argument était que si Kadhafi commettait des violations à grande échelle des droits humains contre son propre peuple, il donnerait une ouverture à ceux qui, dans l'administration, veulent réhabiliter la doctrine de l'intervention humanitaire huit années après le discrédit jeté sur les actions militaires à l'étranger conduites par les Etats-Unis. Il se trouve que Kadhafi n'en a pas fait assez pour justifier une intervention humanitaire – en dépit de leur rhétorique affirmant le contraire, l'administration et les organisations des droits de l'homme admettent que les informations sur des crimes de guerre potentiels restent non confirmées. Par contre, les interviews de hauts responsables de l'administration montrent que les réhabilitateurs [de l'interventionnisme militaire] ont convaincu Obama d'aller à la guerre pas seulement pour prévenir les atrocités que Kadhafi pourrait [ou pas] commettre mais aussi pour renforcer la capacité des Etats-Unis d'intervenir ailleurs à l'avenir.
Ce n'est pas forcément une mauvaise chose. La capacité des Etats-Unis à mobiliser une force internationale pour empêcher des voyous de tuer des innocents. Mais le président et certains de ses conseillers sont si impatients de réhabiliter l'idée d'interventions préventives qu'ils exagèrent la violence qu'ils disent vouloir prévenir par leur intervention en Libye. « L'effort pour la faire entrer dans le moule du modèle d'un génocide imminent est tiré par les cheveux, » déclare un cadre supérieur de l'administration. C'est dangereux. Les Américains méritent une explication honnête quand leurs dirigeants les conduisent à la guerre. De plu, la centration du discours sur les choses folles que Kadhafi pourrait faire obscurcissent les termes du débat que l'Amérique devrait avoir avant intervenir : empêcher d'éventuels crimes de guerre contre les Libyens a-t-il plus de valeur que les risques pour la sécurité nationale des Etats-Unis entraînés par une intervention ?
Obama et ses collaborateurs savent qu'ils prennent un grand risque. « C'est un énorme pari, » affirme ce haut responsable de l'administration. L'administration sait, par exemple, que al Qaïda qui est actif en Libye, tentera d'exploiter le vide du pouvoir qui résultera de l'affaiblissement ou de l'éviction de Kadhafi. Elle sait aussi que les Etats-Unis devront s'appuyer sur d'autres pays pour la tâche essentielle de reconstruction de la Libye et que la région pourrait en fait être encore plus déstabilisée par l'intervention. Pour Ben Rhodes, du Conseil de Sécurité Nationale, ces risques sont compensés par les avantages à long terme que constituent le fait de sauver des vies, de protéger la possibilité de changements démocratiques dans la région et – c'est révélateur – de s'assurer que la « capacité à agir collectivement soit un outil dans des circonstances telles que celle-ci. »
Une des voix les plus fortes aux Etats Unis pour l'idée d'une action collective pour prévenir des crimes de guerre est Samantha Power, membre de la direction du Conseil de Sécurité Nationale. Fin 2006, Mme Power m'avait dit que les interventions humanitaires internationales avaient été « tuées pour une génération » par l'invasion de l'Irak par les Etats Unis. Alors professeur à Harvard, mieux connue pour son livre lauréat du prix Pulitzer avec l'histoire de la réponse de l'Amérique au génocide (un livre qu'elle avait écrit après avoir couvert les guerres en Bosnie et en Croatie et avoir étudié le génocide au Rwanda), Power était fermement convaincue du bien fondé d'interventions internationales pour empêcher les crimes de guerre. Comme tant d'autres, elle avait été déçue de voir la cause de la prévention des génocides affaiblie par l'intervention unilatérale de George W. Bush en Irak , qui avait discrédité l'action militaire des Etats Unis à l'étranger et rendu apparemment impossible la formation de coalitions pour faire cesser des crimes de guerre.
Mais le soulèvement libyen a donné à l'interventionnisme humanitaire un sursis inattendu. L'hostilité généralisée à Kadhafi dans le monde arabe, les intérêts énergétiques européens, la crainte d'une instabilité régionale et l'arrière-fond des soulèvements arabes pour la démocratie ont fourni aux interventionnistes à Washington des alliés improbables au niveau national et à l'étranger. Power a soutenu dès le début du soulèvement libyen que les Etats Unis devaient se tenir prêts à intervenir pour empêcher des atrocités. Elle a été rejointe dans son propos par Susan Rice, l'ambassadrice d'Obama aux Nations Unies qui était dans l'administration Clinton au moment du génocide rwandais. Début février déjà, un haut fonctionnaire m'avait dit que les partisans d'une intervention jetaient les bases pour la force militaire.
Obama a adopté la posture interventionniste par le passé. Dans son discours d'acceptation du prix Nobel, il avait dit, « Nous sommes de plus en plus confrontés à des questions difficiles sur la manière de prévenir le massacre de civils par leur propre gouvernement, ou de stopper une guerre civile dont la violence et les souffrances peuvent s'emparer de toute une région. Ma conviction est que la force peut être justifiée sur des bases humanitaires, comme c'était le cas dans les Balkans, ou dans d'autres lieux qui ont été déchirés par la guerre. L'inaction pèse sur notre conscience et peut conduire à une intervention plus coûteuse par la suite. C'est pourquoi toutes les nations responsables doivent adhérer au rôle que des armées avec un mandat clair peuvent jouer pour maintenir la paix.
Mais sur des questions comme la fermeture de Guantanamo Bay et du jugement des présumés terroristes par des tribunaux civils Obama a abandonné les principes qu'il avait affichés auparavant quant il s'est retrouvé devant l'opposition du Département d la Défense, des services de renseignements et de faucons parmi ses proches conseillers. Dans le cas présent, le pentagone s'est aussi positionné contre les principes d'Obama. Du côté militaire, le scepticisme régnait les premiers jours quant à la possibilité d'obtenir par une zone d'exclusion aérienne ce qu'on voulait militairement, » explique un haut responsable de l'administration. Un autre cadre de l'administration est plus direct : [Le secrétaire à la défense] Gates avait essayé de l'empêcher. »
Cette fois, Obama s'est servi des arguments des militaires contre eux. Mardi dernier, à 16h, Obama tenu une réunion avec ses hauts conseillers pour décider si les Etats Unis devaient soutenir une résolution de l'ONU présentée par le Liban proposant une zone d'exclusion aérienne en Libye. Power et la secrétaire d'Etat Hillary Clinton ont soutenu la résolution. Le président a écouté les préoccupations du pentagone et de ses hauts conseillers sur l'insuffisance d'une zone d'exclusion aérienne pour empêcher les violences contre les civils. Mais il n'a pas abandonné cette idée.
Après cette réunion, Obama a dîné avec le commandement opérationnel et a discuté d'une intervention. Plus tard dans la soirée, à 21h, il a réuni à nouveau le Conseil national de Sécurité et après deux heures de réunion, a chargé Rice d'essayer d'obtenir l'approbation de l'ONU pour une action plus ferme. Jeudi, elle a proposé une résolution soutenant largement « toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils. »
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