dimanche 13 novembre 2011

Syrie: la Ligue Arabe a déjà échoué au test. La Turquie le réussira-t-elle?


Un article qui date un peu tant les événements semblent s’emballer aussi bien au Moyen Orient qu’ailleurs dans le monde. En Europe par exemple, ce continent qui vient de connaître en un laps de temps très bref deux coups d’Etat financiers, en Grèce et en Italie.
La démocratie ? Kézaco ?
Sous d’autres cieux, le prétendu printemps arabe a vu, dans le cas libyen mais surtout syrien, la diplomatie turque à se détourner d’un régime duquel elle s’était considérablement rapprochée pour en venir à participer à l’orchestration des troubles au pays de Cham.
Cette réorientation n’est certainement pas facile à comprendre sans doute parce qu’elle traduit avant tout des contradictions fondamentales qui sont au cœur de la stratégie turque.
L’article que je vous propose apporte sans doute un éclairage utile pour comprendre l’évolution de la position d’Ankara : la promesse (ou la réalité ?) d’un partenariat inédit, en quelque sorte d’égal à égal, entre la Turquie et les Etats Unis, sur fond de développement des échanges économiques entre les deux pays.
L’article nous donne surtout un aperçu de la densité des relations entre ces deux membres fondateurs de l’OTAN, autant d’aspects que le gouvernement turc n’avait ni les moyens ni l’intérêt d’ignorer. Et ce gouvernement turc est parfaitement résumé par le mot « mercantiliste » car c’est bien cet aspect qui permet de faire consensus dans des élites turques dont une partie, sinon, dirait ouvertement qu’elle se passerait volontiers de Recep Tayyip Erdogan ou de n’importe quel chef de gouvernement qui n’assurerait pas l’expansion de leurs affaires.
La situation en Syrie est un test majeur pour le nouveau partenariat américano-turc nous dit l’article. Son auteur, Ilhan Tanir, semble cependant craindre une aventure militaire aux conséquences imprévisibles, pas seulement pour la Syrie, et il pointe notamment les divergences irréconciliables dans l’opposition syrienne.
Il reprend les propos de James Zogby, un sondeur spécialisé sur le monde arabe bien connu aux Etats Unis; selon qui la Turquie et la Ligue Arabe pourraient entreprendre une médiation en Syrie.
Force est de constater que cette médiation non seulement n’a jamais été tentée, mais n’est plus d’actualité. La Ligue Arabe s’est une fois de plus discréditée en forçant la main à un gouvernement syrien acculé qui a accepté une démarche qui ne pouvait qu’échouer : faire rentrer sans conditions les soldats dans les casernes  tout en laissant la rue à ceux qui veulent la fin du régime.
Une Ligue Arabe sérieuse aurait prié instamment les «deux» parties, c’est-à-dire le gouvernement et l’opposition d’engager des négociations en terrain neutre, que ce terrain s’appelle Genève, Nouakchott ou New Delhi. La Ligue Arabe aurait dû, bien évidemment, organiser ces discussions et en fixer clairement le calendrier après accord des parties. Le problème est qu’il y a l’opposition que chouchoutent les monarques, souvent violente et armée, et les autres oppositions, entre les dictateurs de rechange, ceux qui ne représentent qu’eux-mêmes et, aussi, les patriotes sincères. Ces derniers n’intéressent d’ailleurs pas grand monde dans les chancelleries étrangères.
Tel n’a pas été le cas, et ne sera jamais le cas car la Ligue Arabe vient de renoncer officiellement à toute volonté de médiation en procédant à la suspension de la Syrie. Une suspension que même le gouvernement algérien a votée, ce qui atteste à la fois du degré d’abaissement de l’Etat algérien et des pressions qui sont exercées aussi bien par les monarchies arabes que par les puissances occidentales. Ces dernières, comme en Libye, veillent à ce que toutes les portes susceptibles d’ouvrir vers une issue pacifique soient hermétiquement fermées. Le but étant de constituer comme en Libye un gouvernement alternatif chargé de mener la guerre civile.
Cette Ligue Arabe qui a déjà servi d’instrument pour l’agression contre la Libye alors qu’elle se montre d’une grande mollesse sur le dossier palestinien.
J’ignore personnellement comment tout cela va finir, mais espérons que le désastre sera évité. Ce désastre a pour nom une terrible guerre civile avec aux premières loges les extrémistes stipendiés par l’Arabie Saoudite et les émirs d’un côté et les Chrétiens de l’autre.
Ces derniers qui vivent dans leur pays depuis des millénaires, et qui n’ont pas été pour rien dans l’éclosion d’une modernité arabe (ce que les monarques ne leur pardonneront jamais) pourraient en effet connaître un sort encore plus terrible que leurs coreligionnaires d’Irak

Par Ilhan Tanir, Hurriyet Daily News (Turquie) 28 octobre 2011 traduit de l’anglais par Djazaïri
“Je viens aux Etats Unis depuis 1981,” explique Soli Özel, une universitaire Turque qui séjournait à Washington D.C. cette semaine avec une délégation de TÜSIAD, « mais je n’ai jamais senti des relations américano-turques aussi proches et amicales comme elles le sont en ce moment.»
Le directeur de TÜSIAD, Ümit Boyner est restée deux jours à Washington pour des contacts avec des responsables de la politiqué étrangère US et avec des chefs d’entreprises. Pendant une table ronde avec des journalistes après une conférence de presse sur Capitol Hill, elle a déclaré : « La structure des relations entre les Etats Unis et la Turquie est en train de changer. » Un changement qu’elle qualifie de «normalisation.»
La visite de TÜSİAD à Washington et l’approfondissement de ses relations avec l’ United States Chamber of Commerce (USCC) sont des signes de ce climat positif. La Turquie est un des neuf marchés étrangers considérés comme dignes d’être développés par l’USCC. En ce moment, deux groupes d’affaires préparent une étude pour identifier les obstacles qui entravent les échanges commerciaux.
Tandis que les deux pays se concentrent de plus en plus sur le renforcement des liens économiques, les discussions politiques au plus haut niveau se sont accélérées à la lumière de la transition arabe, a expliqué Richard Armitage, ancien sous-secrétaire d’Etat dans une interview donnée cette semaine.
Toute une série d’événements survenus ces dernières années nous ont amené à cette étape. Özel explique que tout a commencé quand la Turquie avait rejeté une demande des Etats Unis pour ouvrir un front nord au début de la guerre conte l’Irak. Depuis, la Turquie a donné de nombreux exemples de rejet de demandes importantes. « La Turquie n’est plus dans l’ombre de l’Oncle Sam, » considère l’ambassadeur James Holmes, président de l’American-Turkish Council (ATC).
Avec la fin de la guerre en Irak, Washington veut  pouvoir compter sur son allié turc pour contrer l’influence redoutée de l’Iran dans l’Irak post-occupation américaine. Pour prouver leur bonne volonté, les Etats Unis ont développé leur coopération avec la Turquie dans les domaines militaires et du renseignement, parfois par des pratiques « inhabituelles » de transfert d’armes pour combattre le terrorisme du PKK (Kurde).
Alors que le gouvernement mercantiliste de la Turquie explore des moyens de maximiser son commerce au niveau mondial, l’administration Obama a aussi dès ses débuts défendu avec force et encouragé une économie basée sur les exportations. Il n’est pas difficile de voir que les Etats Unis ont progressivement placé leurs intérêts économiques à l’épicentre de leur politique étrangère.
Lincoln McCurdy, président de la Turkish Coalition of America, une organisation de lobbying qui a récemment acquis des bureau à proximité de la Maison Blanche, présente les nouvelles relations comme étant «plus un partenariat qu’une relation clientélistes comme c’était le cas.»
Le printemps arabe est cependant le défi politique majeur qui a contraint les deux pays à réexaminer leurs agendas politiques pour la région. Avec la fin brutale de Kadhafi et son entrée dans l’histoire, les deux pays doivent maintenant s’occuper de l’épisode le plus sensible de la transition : la Syrie. Les fortes dissensions internes à son opposition, un régime implacable et les complications régionales en cas de guerre civile sont autant de facteurs d’extrême dangerosité.
Le dernier sondage d’opinion de l’Arab American Institute pratiqué auprès de 4 000 Arabes dans six pays arabes montre que le rôle de lé Turquie en Syrie est massivement perçu comme positif, tandis que le rôle de l’Iran et celui des Etats Unis sont désapprouvés à une majorité écrasante.
“Ceux qui plaident sérieusement pour une option militaire, y compris une zone tampon à l’intérieur de la Syrie devraient se faire soigner,” explique James Zogby, président de l’AAI, parlant des propos récents du sénateur McCain selon lesquels l’OTAN pouvait être utile maintenant que l’opération libyenne est achevée. Zogby lui-même n’était pas très optimiste sur une acceptation de négociations par une transition pacifique aussi bien par le régime que par l’opposition, parce que des négociations exigeraient de sérieux compromis.
Compte tenu des résultats de l’enquête, Zogby appelle la Turquie et la Ligue Arabe à assurer une médiation entre les parties en Syrie car tous deux sont des acteurs régionaux qui ont encore de l’influence sur la Syrie.
C’est aux Etats Unis d’organiser les pressions internationales avec leurs alliés européens, et d’aller vers des sanctions complètes si nécessaire. La Syrie promet d’être le test le plus difficile pour ce nouveau partenariat turco-américain qu’on nous a tant vanté.

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