Dans sa récente tribune parue dans le journal Le Monde, le président Nicolas Sarkozy reconnaît explicitement ce qui auparavant n'était qu'implicite: le débat sur l'identité nationale a pour thème central la situation de l'Islam en France.
Selon M. Sarkozy, "dans notre pays, où la civilisation chrétienne a laissé une trace aussi profonde, où les valeurs de la République sont partie intégrante de notre identité nationale, tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage et à ces valeurs condamnerait à l'échec l'instauration si nécessaire d'un islam de France qui, sans rien renier de ce qui le fonde, aura su trouver en lui-même les voies par lesquelles il s'inclura sans heurt dans notre pacte social et notre pacte civique".
Ce discours aurait été bien accueilli par les dirigeants musulmans hexagonaux.
Ce que ces dirigeants ne semblent pas comprendre, c'est que la notion de "défi" évoquée par M. Sarkozy est purement subjective et que son interprétation dépendra des circonstances. Là où untel passe devant un minaret en lui jetant un regard indifférent, l'autre ressent une vision insupportable etc.
M. Sarkozy écrit que "Chrétien, juif ou musulman, homme de foi, quelle que soit sa foi, croyant, quelle que soit sa croyance, chacun doit savoir se garder de toute ostentation."
Mais dans la réalité qu'en est-il vraiment alors que seule la supposée ostentation musulmane est en réalité pointée du doigt, exactement comme dans la fameuse loi dite du foulard sur les signes religieux à l'école.
Ce que les responsables musulmans n'ont pas noté, peut-on les en blâmer, est que ce texte de M. Sarkozy, marque une véritable rupture avec toute l'histoire de la république française et donc avec l'identité française contemporaine.
Certes la tournure est habile, la civilisation chrétienne n'est apparemment pas placée sur le même plan que la république puisque dans la phrase nous avons d'abord "civilisation chrétienne" puis, séparés par une virgule "les valeurs de la république."
Apparemment pas d'identité, c'est le cas de le dire, entre les deux. Sauf que le reste de la phrase les reprend dans un même segment, les plaçant en réalité à égalité.
En quoi est-ce une rupture?
Tout simplement parce que la république française s'est constituée et s'est affermie contre l'église catholique. Restaurations monarchiques et épisode de la Commune de 1871 avaient convaincu Thiers ou Jules Ferry d'asseoir définitivement la république en combattant le plus efficacement possible l'église catholique, alliée des monarchistes. La IIIème république inaugurée en 1871 s'achèvera avec l'arrivée au pouvoir de Philippe Pétain...
La consolidation de la république passait par une prise de contrôle de la société pour la soustraire à l'influence de l'église. Une étape marquante de cette prise de contrôle de la société fut l'instauration d'une école publique gratuite puis obligatoire et laïque et enfin la loi de séparation de l'église et de l'Etat. Cette mise au pas de l'église fut d'ailleurs bien reçue par les autres confessions qui avaient à l'époque droit de cité en France: le judaïsme et le protestantisme. Les Musulmans colonisés n'avaient eux pas voix au chapitre.
Cette construction contre le religieux, ici le catholicisme, n'est pas un paradigme qu'on pourrait généraliser à d'autres vielles démocraties parlementaires européennes. Il s'agit d'un processus propre à l'histoire de la France, et donc constitutif de son identité.
Comment raccrocher cette identité là à la civilisation chrétienne? Disons qu'il faut faire confiance au sorcier Sarkozy.
Attention, il n'est pas dans mon intention de nier l'extrême importance de l'héritage chrétien de la France (ou de l'Angleterre, de l'Irlande, de la Tchéquie etc.) mais simplement se souligner l'incongruité de le raccrocher d'une manière ou d'une autre à la république qui s'est construite contre l'église.
M. Sarkozy vient peut-être de briser une digue et Dieu sait si la république y résistera car une brèche est ouverte dans laquelle les clercs ne tarderont sans doute pas à s'engouffrer.
Et ces clercs ne sont pas et ne seront pas musulmans car, en dépit de leur nombre, le poids politique des musulmans dans la société française est proche de zéro.
Et la question de l'Islam en France est, avant d'être une question religieuse ou culturelle, d'abord une question éminemment politique qui tient au droit de cité des adeptes réels ou supposés de cette religion.
Une question "d'intégration" comme on aime à le dire dans les cercles néo-coloniaux .(Sauf que ces cercles mettent en question l'intégré putatif et non l'intégrateur récalcitrant).
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