lundi 28 décembre 2009

'Footnotes in Gaza' un reportage en bandes dessinées de Joe Sacco

Le dessinateur Maltais, établi aux Etats Unis, Joe Sacco a inventé il y a quelques années une nouvelle façon d'envisager le métier de dessinateur de presse pour le transformer en véritable méthode journalistique. C'est-à-dire que ses dessins ne se contentent pas de restituer de manière synthétique, éventuellement drôle, la caractéristique marquante d'un événement mais deviennent un élément constitutif de la narration des résultats d'enquêtes journalistiques approfondies.
Vous trouverez ici plus d'informations sur la biographie et le parcours professionnel de Joe Sacco. Et là, une interview intéressante de ce journaliste. Le site de Philip Weiss vous propose lui plusieurs planches extraites de ce nouvel ouvrage de Joe Sacco.
Le travail de Sacco a déjà eu un impact substantiel sur la perception du conflit palestino-sioniste aux Etats Unis puisqu'un précédent ouvrage sur la question avait déjà rencontré un grand succès dans ce pays. Son nouveau livre sur Gaza semble destiné à prendre le même chemin et l'article de Patrick Cockburn que je vous propose nous dit pourquoi. Cockburn explique aussi pourquoi un tel travail peut rarement trouver sa place dans les grands médiats alors même qu'il est effectué par des personnes qui collaborent habituellement avec la grande presse.
Mais la principale leçon à retenir, c'est qu'à la hasbara (pédagogie de propagande sioniste), il suffit le plus souvent d'exposer les faits dans leur dimension historique. Exactement ce qu'a fait Joe Sacco.
Important: ce livre a été traduit en français et sera bientôt disponible sous le titre: 'Gaza 1956, en marge de l'histoire'




par PATRICK COCKBURN, New York Times (USA) traduit de l'anglais par Djazaïri


Ce livre important et saisissant sur deux massacres longtemps oubliés de Palestiniens à Gaza se signale comme un des rares ouvrages contemporains sue l'affrontement israélo-palestinien  susceptibles de résister à l'épreuve du temps.
Sacco aura des lecteurs pour "Footnotes in Gaza" pendant de nombreuses années en raison du format et du style unique de son récit en bandes dessinées. Il a une place à part comme dessinateur de presse parce que son aptitude à raconter une histoire à travers son art se combine à un journalisme d'investigation de la plus haute qualité.

Dans le cas présent, son thème se rapporte à deux massacres qui se sont produits il y a plus de cinquante ans, qui avaient peu éveillé l'attention internationale et ont été oubliés en dehors des proches immédiats des victimes. Les tueries avaient eu lieu pendant la crise de Suez de 1956, quand l'armée israélienne avait investi la bande de Gaza, peuplée en grande majorité de réfugiés palestiniens. D'après les chiffres de l'ONU, 275 Palestiniens avaient été tués dans la ville de Khan Younes à l'extrême sud de la bande de Gaza le 3 novembre et 111 avaient péri le 12 novembre  à Rafah, à quelques kilomètres de la frontière avec l'Egypte pendant une opération de l'armée israélienne. Israël avait insisté sur le fait que les palestiniens avaient été tués alors que les forces israéliennes rencontraient encore une résistance armée. Les Palestiniens avaient affirmé que toute résistance avait cessé à ce moment là.

Sacco fait l'excellente remarque que ce genre d'épisodes fait partie des véritables éléments constitutifs de l'histoire. Dans cette affaire, les récits des événements ont transpiré lentement et ont été éclipsés par des développements ultérieurs de la crise de Suez. Sacco dont la réputation de dessinateur de presse  a été assise avec "palestine" et "Safe Area Goradze," les a sauvés de l'oublis parce qu'ils sont "comme ces innombrables tragédies historiques à travers les âges qui ont à peine le statut de notes de pied de page dans le grand mouvement de l'histoire - même s'ils... renferment souvent les germes de la souffrance et de la colère qui modèlent les événements actuels."

Les gouvernements comme les médiats oublient que les atrocités restent vivantes dans la mémoire de ceux qui ont été les plus directement touchés. Sacco montre Abdel Aziz El-Rantissi - un dirigeant du Hamas (qui sera plus tard tué par un missile israélien) qui avait 9 ans en 1956 et vivait à Khan Younes - en train de décrire comment son oncle a été tué: "J'en ai gardé une plaie qui ne pourra jamais dans mon cœur," dit-il. "Je vous raconte cette histoire et je suis au bord des larmes... Ils ont planté la haine dans nos cœurs."

La vivacité et le rythme des dessins de Sacco, combinés à une narration très informée et intelligente, racontent extrêmement bien cette histoire. En fait, ils est difficile d'imaginer comment une autre forme de journalisme aurait pu rendre ces événements aussi intéressants. De nombreux journalistes de la presse écrite ou audiovisuelle comprennent que les racines de la crise actuelle plongent dans des événements obscurs, peu connus. Mais ils reconnaissent aussi que leurs rédacteurs en chef sont plus intéressés par ce qui est nouveau et ont tendance à écarter les détours par l'histoire comme de l'auto-satisfaction journalistique susceptible d'ennuyer et d'embrouiller le public.

En fait, "Footnotes in gaza" prend sa source dans de préjugé éditorial contre l'histoire. Au printemps 2001, Sacco et Chris Hedges (enciennement correspondant à l'étranger pour le New York Times) faisaient un reportage pour Harper's Magazine sur les Palestiniens de Khan Younes pendant les premiers mois de la seconde Intifada palestinienne. Ils pensaient que les tueries de 1956 participaient à l'explication de la violence survenue près de 50 ans plus tard. C'était peut-être prévisible, mais les paragraphes sur cet ancien massacre fut coupé [avant publication].

Les rédacteurs en chef Américains n'étaient pas les seules personnes à trouver hors de propos leurs recherches historiques. Quand Sacco revint à Gaza en 2002 et en 2003 pour rechercher des survivants et des témoins, alors que les forces israéliennes occupaient encore ce territoire, de jeunes palestiniens ne parvenaient pas à comprendre son intérêt pour ces événements passés alors qu'il y avait tant de violence à l'époque présente.

La recherche tenace par Sacco de témoins oculaires Israéliens et palestiniens ainsi que de documents israéliens et de l'ONU est impressionnante. Il donne des détails sur la vie de ceux qui l'ont aidé, notamment Abed, son traducteur-interprète, et ramène à la vie deux époques de la bande de Gaza, ses villes pleines de réfugiés au début des années 1950 comme elles le sont encore aujourd'hui.

L'atmosphère était emplie de haine. Peu de dirigeants Israéliens on marqué une quelconque empathie pour la tragédie palestinienne. Mais début 1956, Moshe Dayan, le chef d'Etat Major israélien prononça un discours célèbre aux funérailles d'un commandant Israélien tué à la frontière avec Gaza. Qu'est-ce qui, demandait Dayan, expliquait la "terrible haine contre nous" des palestiniens? Puis il répondit à sa propre question: "Depuis huit ans maintenant ils se trouvent dans des camps de réfugiés à Gaza et ont vu comment, sous leurs propres yeux, nous nous sommes appropriés leurs terres et leurs villages, où eux et leurs ancêtres habitaient auparavant." Il ajouta que les Israéliens devaient être "prêts et en armes, agressifs et durs."

La signification concrète de ces propos deviendra claire lorsque les troupes israéliennes investiront Gaza six mois après. Les tueries de Khan Younes furent assez sommaires, selon des témoins oculaires et de quelques survivants. On ordonna aux hommes de la ville de s'aligner sur la place principale et on leur tira dessus jusqu'à ce que leurs corps gisent dans une longue rangée. Certains restés à leur domicile furent tués chez eux.

L'épisode de Rafah fut plus compliqué et se déroula dans le courant de la journée, quand des gens furent amenés dans une école pour que les Israéliens puissent déterminer s'ils étaient des guérilleros ou des soldats [de l'armée égyptienne]. Ici il y eut bien plus de survivants qu'à Khan Younes; ces derniers décrivent comment certains ont été abattus sur le trajet vers l'école et d'autres battus à mort avec des bâtons au moment où ils entraient dans la cour. L'armée israélienne avait nommé deux officiers pour mener une enquête sur "lincident de Rafah," ainsi que le qualifiait un communiqué top secret 'Le même communiqué disait que 40 à 60 personnes avaient été tuées et 20 blessées). Le chercheur mandaté par Sacco n'a trouvé aucun rapport d'enquête dans les archives de l'armée.

Gaza a changé radicalement depuis l'enquête de Sacco. En 2005, Israël a unilatéralement démantelé les colonies juives et retiré ses soldats tout en maintenant un contrôle strict des frontières de Gaza. En 2007, le Hamas a pris le contrôle de gaza et en 2008 - 2009 l'enclave a été soumise à une attaque israélienne dévastatrice. Dans ce flot déconcertant d'événements, l'enquête de Sacco sur ces massacres vieux d'une cinquantaine d'années est un des guides les plus sûrs pour comprendre la haine avec laquelle Palestiniens et israéliens s'affrontent.

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