dimanche 16 novembre 2008

La propagande dans l'information

Hier comme aujourd’hui, la lecture des media reste un exercice délicat. Nous croyons souvent que dans les démocraties dites avancées, la liberté de la presse nous protège contre la désinformation et la propagande.
Ce n’est malheureusement pas le cas et, entre autres, le traitement médiatique des deux guerres du Golfe nous en a administré la preuve. La presse dite libre et indépendante se garde cependant généralement d’asséner des contre vérités trop flagrantes quoique ses campagnes menée à chaud donnent parfois l’exacte mesure de sa capacité de nuisance et de décervelage
.
L’action propagandiste de la presse s’effectue habituellement cependant de manière plus discrète. Vous vous demandez : comment ?
L’article ci-dessous en donne un bon exemple. Rédigé par Sharif Nashashibi, directeur d’Arab Media Watch, un observatoire de la presse sur les questions qui touchent au monde arabe, il démonte un mécanisme simple qui permet, subrepticement il est vrai, d’inoculer une idée au lecteur.

Comment les assertions américaines sur la Syrie sont devenues des faits pour les media
Des journalistes négligents qui répètent les assertions US sur la Syrie et l’Irak deviennent les instruments d’une guerre de propagande.
Par Sharif Nashashibi, The Guardian (UK) 14 novembre 2008 traduit de l’anglais par Djazaïri

Dans tout conflit, les parties belligérantes s’efforcent de convaincre l’opinion que la justice est de leur côté. La façon la plus efficace d’y parvenir passe par les media. Il est impératif que les journalistes portent un regard critique sur l’information qu’ils reçoivent afin d’éviter de devenir les instruments inconscients de la guerre de la propagande de guerre. En particulier, ils ne devraient pas rapporter des assertions comme des faits.
De erreurs fondamentales ont caractérisé la couverture journalistique par la presse britannique des récents raids US en Syrie. Par exemple, Richard White du Sun et Patrick Cockburn, correspondant de The Independent, ont tous deux rapportés comme un fait la mort au cours du raid d’Abu Ghadiya, un présumé cadre d’Al Qaïda qui faisait entrer des combattants en Irak,
De même, Catherine Philp, correspondante diplomatique du Times, avait rapporté comme un fait que les commandos américains avaient pénétré en Syrie et s’étaient affronté dans « une courte bataille à l’arme légère à Abu Ghadiya et aux membres de son groupe.»
Pour les lecteurs, de telles informations justifient le raid car la cible était suffisamment importante pour amener à violer la souveraineté d’un autre pays. Cependant, la mort d’Abu Ghadiya et les combats contre lui sont des assertions américaines non corroborées. Les informations n’ont pas été présentées par les journalistes comme émanant des sources américaines.
De plus, The Independent et le Sun n’ont pas publié les lettres concises er polies que je leur ai adressées et soulignant ce point. Cependant, le chef de la rubrique diplomatique du Daily Telegraph, David Blair, a répondu rapidement et de manière louable à mon courriel demandant pourquoi il avait rapporté la mort d’Abu Ghadiya comme un fait :
« Merci beaucoup pour votre courriel. Le point que vous soulevez est tout à fait valide et j’ai amendé la version web de mon article en conséquence. Vous avez dû constater que la version papier est complètement différente et ne pose pas l’assertion sur laquelle vous avez attiré notre attention. Ce qui s’est passé, c’est que la version web avait été mise à jour par une personne inconnue de mou, qui l’a insérée tard dans la nuit, nous avons donc corrigé cette erreur… Merci d’avoir porté ceci à mon attention. »
Les articles sur le raid américain comprenaient des rappels du bombardement israélien de l’année dernière de ce qu’elle présentait comme un site nucléaire (une affirmation que la Syrie dément avec véhémence). Malgré l’absence de preuves des assertions israéliennes, elles étaient rapportées par certains comme factuelles. Là encore, les lecteurs étaient encouragés à voir ce bombardement comme une mesure nécessaire pour stopper la prolifération nucléaire dans une région agitée. Se trouvait ainsi en faute un article non signé du Daily Mail et un éditorial du Guardian. Simon Tisdall, l’analyste du Guardian prend des précautions en qualifiant la cible de « supposée installation nucléaire, » même si, lui non plus, ne fait pas état du démenti syrien. Le Guardian a publié ma lettre signalant ce fait. Le Mail ne l’a pas fait.
Pire, l’article du tabloïd [Daily Mail] disait :
« On pense que la Syrie a poursuivi son programme nucléaire en suivant la voie montrée par l’Iran et en dispersant son programme de développement nucléaire autour de plusieurs sites de sorte à rendre plus difficile son interruption par une seule frappe. »
L’article ne précise pas qui pense cela, ce qui aurait pu être fort utile car non seulement il n’offre aucune preuve mais, depuis huit ans que je suis la couverture par la presse britannique du monde arabe, dont la Syrie, je ne me souviens pas d’avoir rencontré une telle affirmation. Elle n’était apparue absolument nulle par dans la couverture britannique du raid américain pas plus qu’après le bombardement israélien.
Une autre assertion rapportée comme un fait, par Catherine Philp, correspondante diplomatique du Times, était que la frontière syrienne est « la route empruntée par 90 % des djihadistes étrangers. » A ma question sur la source de ses statistiques, elle a répondu en citant un rapport du Combating Terrorism Center, qui a analysé des documents saisis par les forces américaines chez les soi-disant cellules Sinjar d’al Qaïda en Irak. Pourtant ce rapport avertit que : « Le CTC ne peut garantir l’authenticité ou l’exactitude de ces documents, » qui sont par «nature imparfaits. » Et d’ajouter :
« Le lecteur doit être conscient que l’analyse de données saisies sur le champ de bataille comporte de gros risques. Certains des documents sur les personnels étaient renseignés incomplètement et certains peuvent avoir été perdus accidentellement ou détruits par les forces US… Les lecteurs et les chercheurs devraient accueillir avec circonspection les conclusions tirées seulement sur la base de ces documents. »
Philp a elle-même copié collé au bas de son courriel [de réponse] cet extrait du document du CTC : « La plupart des combattants des documents saisis sur Sinjar n’expliquent pas l’itinéraire qu’ils ont pris pour venir en Irak. » Elle m’a expliqué ne pas avoir cité sa source « parce que ce chiffre [90 %] est très généralement le chiffre accepté. » Pourtant, les autres articles des media grand public qui avaient fait état de cette statistique (The Independent et le New York Times) avaient cité cette source.
Philp m’a expliqué que « les documents d’al Qaïda indiquent que 603 combattants étaient venus par la Syrie, un chiffre qui correspond à 90 % de l’ensemble des combattants étrangers estimés se trouver en Irak. » Cependant, cette estimation provient, ainsi qu’elle m’en a fait part, de l’armée des Etats-Unis. Philp n’a pas répondu à mon courriel sur la première partie de mes remarques.

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