dimanche 31 mars 2013

Retour sur l'assassinat de Patrice Lumumba (ou de l'actualité de l'impérialisme)


Avec le temps, il arrive que certaines vérités se fassent jour et que des énigmes soient progressivement résolues. Hasan Suroor de The Hindu évoque pour nous une récente révélation sur l’assassinat de Patrice Lumumba, ce personnage charismatique dont le nom évoque aujourd’hui encore des espoirs d’indépendance et de démocratie en Afrique et au -delà.
On comprend que le destin de Lumumba a une signification particulière pour l’Inde puisque c’est auprès d’un diplomate de ce pays en poste à Léopoldville (désormais Kinshasa) qu’il avait dans un premier temps trouvé refuge.
L’histoire de Lumumba nous rappelle que, comme la Syrie aujourd’hui, le Congo ex belge avait aussi des amis.
Tiens, ce sont à peu près les mêmes que ceux de la Syrie aujourd’hui !

Un pair du royaume révèle le rôle du MI6 dans l’assassinat de Lumumba

Par Hasan Suroor, The Hindu (Inde) 1er avril 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri
Un des secrets les mieux gardés des services de renseignements britanniques vient peut-être d’être éventé : leur rôle dans l’enlèvement et l’assassinat de Patrice Lumumba, le premier chef de gouvernement démocratiquement élu du Congo dont le panafricanisme et l’inclination vers Moscou avaient alarmé l’Occident.
Pendant plus de cinquante ans, des rumeurs ont circulé par rapport à des allégations sur le rôle de la Grande Bretagne dans le meurtre brutal de Lumumba en 1961, mais rien n’avait été prouvé – laissant la CIA et son homologue belge porter seules le chapeau pour ce qu’un écrivain Belge avait qualifié de «plus important assassinat du 20ème siècle.» Aujourd’hui, dans des révélations spectaculaires, un vétéran de la politique britannique affirme avoir entendu de la bouche même des concernés que c’est le MI6 qui l’avait «fait.»
Dans une lettre à la rédaction passée Presque inaperçue dans le dernier numéro de la London Review of Books (LRB), David Edward Lea réagissait à «Empire of Secrets, British intelligence, the Cold War and the Twilight of Empire,» un nouveau livre sur les services secrets britanniques dans lequel Calder Walton affirme qu’on ne sait toujours presque rien sur le rôle de la Grande Bretagne dans la mort de Lumumba. «La question reste de savoir si les projets britanniques d’assassinat de Lumumba… avaient une quelconque réalité. Pour l’heure, nous n’en savons rien,»  écrit Walton.
Lord Lea a répliqué: «En fait, dans ce cas particulier, je peux dire que nous avons joué un rôle. Il se trouve que je prenais une tasse de thé avec Daphne Park… Elle avait été consul et première secrétaire [d’ambassade] à Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa, de 1959 à 1961, ce qui en pratique (et qui a été par la suite reconnu) signifiait chef du MI6 sur place. J’avais évoqué avec elle l’indignation suscitée par l’enlèvement et l’assassinat de Lumumba, et je lui avais rappelé la théorie selon laquelle le MI6 avait quelque chose à voir avec ça. ‘Nous l’avons fait’, avait-elle répondu, ‘je l’ai organisé.’»
Selon Lord Lea, elle avait soutenu que si l’Occident n’était pas intervenu, Lumumba aurait livré aux Russes les richesses minières du Congo – appelé aujourd’hui République Démocratique du Congo. Contacté par The Hindu, Lord Lea a confirmé la teneur de sa lettre à la LRB et que la conversation autour d’un thé avait eu lieu quelques mois avant le décès de Mlle Park en 2010. «C’est la discussion que j’ai eue avec elle et c’est ce qu’elle m’a dit. Je n’ai rien de plus à ajouter,» a-t-il dit quand nous lui avons demandé s’il disposait éventuellement d’une autre confirmation indépendante de la déclaration de Mlle Park.
Mlle Park qui a fait sa carrière dans  les services de renseignements a servi à Kinshasa (ex Léopoldville) entre 1959 et 1961. A sa retraite, elle a été faite pairesse à vie avec le titre de baronne Park of Monmouth. Ses collègues de la Chambre des Lords parlaient d’elles comme de la porte parole des services secrets. Elle a aussi brièvement doyenne du Somerville College à l’université d’Oxford.
Le MI6 n’a fait aucun commentaire sur les révélations de Lord Lea. «Nous ne nous exprimons pas sur les questions relatives aux renseignements,» a déclaré un officiel.
Lumumba, salué comme étant “le héros de l’indépendance du Congo” de la Belgique en 1960, avait été tué par balles le 17 janvier 1961 après avoir été renversé par un coup d’Etat soutenu par la Belgique et les USA à peine quelques mois après avoir pris ses fonctions. 
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Lumumba prisonnier peu de temps avant son assassinat
Lumumba avait trouvé refuge auprès de Rajeshwar Dayal – le diplomate Indien qui représentait le Secrétaire Général de l’ONU au Congo – pendant plusieurs jours mais avait été capturé et tué peu de temps après qu’il avait fait le choix de quitter les locaux de l’ONU. «Ce crime odieux avait été le point culminant de deux complots d’assassinat liés entre eux par les gouvernements belge et américain qui avaient utilisé des complices Congolais et une peloton d’exécution belge pour faire le coup,» écrit Georges Nzongola-Ntalaja, un spécialiste d’études africaines et afro-américaines qui a écrit The Congo from Leopold to Kabila: A People's History [le Congo de Léopold à Kabila : histoire d’un peuple].
Des documents américains de l’époque déclassifiés ont établi le rôle de Washington dans des tentatives secrètes d’assassinat – la plus connue étant le plan de la CIA pour empoisonner la brosse à dents de Lumumba en introduisant de la pâte dentifrice empoisonné dans sa salle de bains. 
 «La pâte dentifrice n’est jamais arrive dans la sale de bains de Lumumba. Je l’ai jetée dans le fleuve Congo, » dira plus tard Larry Devlin, chef de la station de la CIA à Léopoldville. 
Le public sait peu de choses sur le rôle de la Grande Bretagne. Mais en 2000, la BBC avait rapporté qu’à l’automne 1960 – trois mois avant l’assassinat de Lumumba – un agent du MI5 à l’ambassade britannique à Léopoldville avait proposé «l’élimination de Lumumba de la scène en le tuant.»

L'axe anti-syrien Riyad - Ankara - Tel Aviv


Un bruit circule sur Facebook selon lequel Bachar al-Assad aurait été tué. Ce n’est pas la première fois, mais on verra si c’est vrai et, dans cette dernière hypothèse, on verra si la mort du président Syrien suffira à ramener la paix en Syrie et dans quelles conditions.

En attendant, on peut dire que la crise syrienne agit comme un révélateur du positionnement des uns et des autres vis-à-vis de l’entité sioniste.

La Syrie est en effet, on a trop souvent tendance à l’oublier, le dernier pays du «champ de bataille» contre le régime sioniste avec le Liban.

Parce que ceux qui fustigent (j’ai dû moi-même le faire, mea culpa) ce pays pour son inaction ou sa faiblesse devant les agissements sionistes omettent de rappeler que la Syrie est bien seule et que d’autres pays de la région ont par contre des relations diplomatiques avec l’Etat voyou.

Et que la Syrie a été, et reste, un soutien important du Hezbollah et que, récemment encore, Damas accueillait la direction du Hamas palestinien, une organisation qui lui a tourné le dos, cédant aux dollars agités par le Qatar.

Il y a d’autres aspects à évoquer sur la question de la place de la Syrie dans la résistance au régime sioniste, mais ce n’est pas l’objet de ce post.
Je voudrais plutôt aborder la nouvelle alliance qui s’est formée sur le dos de la Syrie entre l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’entité sioniste.

Cette alliance est clairement présentée, au moins dans ses perspectives, par Ceylan Ozbudak, une commentatrice politique turque qui écrit dans un journal saoudien, The Saudi Gazette, propriété de la famille royale un peu comme tout ce qui respire en Arabie. Ceylan Ozbudak collabore également avec un journal de l’entité sioniste.

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Ceylon Ozbudak: Mon débardeur a fait fureur à Riyad
Le scénario proposé par cette journaliste semble un peu fantastique pour ne pas dire fantasque, mais ce qui importe en réalité c’est que de telles thèses puissent être publiées dans un organe de presse chargé de présenter pour l’étranger la vision saoudienne des évènement politiques dans la région.
J'ai plein d'idées pour démocratiser l'Arabie Saoudite
J'ai plein d'idées pour démocratiser l'Arabie Saoudite
Et que ce journal n’hésite pas à publier un article qui appelle ouvertement à une action militaire du régime sioniste en Syrie.

Israël peut-il aider au renversement d’Assad?

Par Ceylan Ozbudak, The Saoudi Gazette, 31 mars 2013 traduit de l’anglais par Djazaïri

Depuis deux ans, le monde regarde la Syrie saigner et espère que la communauté international puisse s’entendre pour agir et restaurer l’ordre dans ce pays. En mars 2012, Kofi Annan avait proposé un plan en six points qui était tombé à plat. Depuis, une action militaire unifiée est restée un espoir déçu et l’effusion de sang a continué.

Ce mardi 27 mars 2013, les 22 nations de  la Ligue Arabe ont adopté une résolution autorisant la livraison d’armes aux forces rebelles mais il n’existe cependant pas de plan d’action concertée et les divisions internes paralysent la Ligue.

Le même jour, l’OTAN rejetait une requête du dirigeant rebelle Syrien Moaz Al-Khatib pour que les missiles Patriot abattent des avions syriens. Les Etats Unis surcompensent leurs erreurs en Irak et en Afghanistan et,  sans leur consentement, il y a peu de chances que les «lions» de l’Europe arment l’opposition. Si les rebelles n’ont pas assez d’armes, le forces d’Assad continueront à avoir la supériorité militaire, à tuer encore des Syriens et à prolonger la guerre civile.

Et donc les combats continuent: alors qu’un million de Syriens dans leurs abris de fortune cherchent de la nourriture dans tout le Moyen Orient, le Comité International de Secours signale que les camps frontaliers au Liban, en Jordanie, en Turquie et en Irak sont bondés avec plus de 650 000 réfugiés, en majorité des femmes et des enfants. L’ONU estime par ailleurs à 70 000 le nombre de tués depuis le début des hostilités en avril 2011.

Le guerre brutale menée par Assad a destabilize un gouvernement au Liban; provoqué la venue de forces spéciales iraniennes en Syrie, isolé le gouvernement irakien de ses concitoyens Sunnites, oblige Israël à pénétrer en territoire syrien sur les hauteurs du Golan, et envoyé des réfugiés en Turquie, en Jordanie, en Irak et au Liban. L’ensemble de la région est affectée par la guerre menée par Assad, et nous avons tous le devoir moral et politique d’agir pour extirper de parmi nous ce seigneur de la guerre [warlord]. Le message est clair : c’est un problème pour tout le Moyen Orient.

Les excuses présentées récemment au peuple turc par le premier ministre Israélien Benjamin Netanyahou pour l’incident du Mavi Marmara en 2010 sont le signe d’une amélioration des relations entre nos deux pays. Jérusalem va certainement respecter la promesse de Netabyahou d’une indemnisation des familles des victimes turques et il est sûr que si tel est le cas, les relations israélo-turques vont connaître une renaissance. Etant les deux principales puissances économiques et militaires de la région, ces pays devraient œuvrer ensemble pour faire cesser le soutien russe à Assad. Erdogan avait déjà proposé aux Russes une base navale sur la côte turque et cette proposition, associée à des garanties qu’une Syrie post-Assad ne signifierait pas la fin de l’accès et de l’influence russe en Syrie, pourrait bien éloigner la Russie d’Assad. Maintenir les Etats Unis à l’écart de cette opération contribue aussi à garantir à Poutine que la Syrie ne deviendra pas la Libye : un Etat client des USA.

Un engagement conjoint de la Turquie, de la Russie et d’Israël à cette étape du conflit a des avantages politiques évidents : premièrement, étant donné que l’opposition syrienne est basée en Turquie, il est commode pour Ankara de négocier un accord entre les rebelles et la Russie pour faire en sorte que les inquiétudes de Moscou pour les minorités chrétienne et alaouite soient entièrement dissipées. Si cela signifie que les forces armées russes souhaitent mettre en place des « zones sécurisées» pendant une période de transition, cela doit être sérieusement considéré. En bref, les conséquences du renversement d’Assad ne doivent pas être négligées. Mais les craintes pour le lendemain [de la chute d’Assad] ne doivent pas nous empêcher de trouver des réponses créatives pour stopper les massacres d’aujourd’hui.

Deuxièmement, sauf si la Turquie et Israël travaillent ensemble pour arrêter la tuerie en Syrie et s’impliquent plus à ce stade, les djihadistes continueront à se renforcer. Tandis que le monde regarde les Syriens se faire massacrer par les forces d’Assad, les djihadistes viennent en Syrie pour prendre le rôle dominant dans une Syrie nouvelle. La Turquie, Israël et d’autres nations ne peuvent pas le permettre. La Syrie ne doit pas devenir un nouvel Afghanistan.

Les éléments qui s’opposent à Assad affrontent des troupes disciplines disposant de matériel militaire sophistiqué. Deux ans de guérilla ne lui ont pas fait perdre son emprise sur la population syrienne. Si les rebelles Syriens veulent un espoir raisonnable de victoire, il leur faudra des armes sophistiquées et un appui aérien. Si personne ne fournit ces deux éléments, il en résultera une ou deux conséquences : soit les rebelles échoueront et Assad maintiendra son régime assassin, ou les rebelles recevront une aide venue d’ailleurs. Dans cette dernière éventualité, ni la Turquie, ni Israël n’auront le droit de se plaindre si les extrémistes sont présents dans le scénario et tirent avantage des désordres dans le pays.

Les Etats Unis et l’Union Europenne n’agiront pas. Ils ne sont pas menacés aussi directement que nous le sommes dans la région. Malgré ses défauts, Israël dispose de la supériorité aérienne pour neutraliser les forces aériennes d’Assad. A lui seul, ce facteur ferait beaucoup pour faire pencher la balance en faveur des civils Syriens qui sont bombardés par leur propre gouvernement.
Assad et sa  famille doivent avoir une porte de sortie vers l’exil. Après toute la violence dont il a fait preuve, il serait beaucoup plus avantageux de lui offrir un asile sûr plutôt que de l’obliger à choisir entre continuer da campagne de destruction ou risquer de finir comme Kadhafi et Moubarak. Mais une Syrie nouvelle ne pourra pas résoudre ses problèmes toute seule. La Syrie et les Syriens auront besoin de leurs voisins pour aider à mettre fin au conflit et à créer une Syrie pluraliste et démocratique. Combien de vies supplémentaires doivent être perdues avant que nous mettions de côté nos divisions et agissions de manière concertée pour le peuple syrien ?

 — Ceylan Ozbudak est une journaliste politique et présentatrice de télévision turque et elle est directrice de Building Bridges, une ONG sise à Istanbul

vendredi 29 mars 2013

De l'eau dans le gaz entre la Syrie et la Turquie


Les partis d’opposition turcs n’apprécient pas beaucoup le rôle du gouvernement Erdogan dans la crise syrienne. Ils l’ont fait savoir à plusieurs reprises, par des déclarations au parlement ou dans la presse, par l’envoi de délégations à Damas ou encore par la divulgation d’informations sur certains aspects de l’implication de leur pays chez le voisin du sud-est.
Cette fois ci, le Parti Populaire Républicain (CHP),  la principale force d’opposition évoque des accords secrets conclus entre le gouvernement turc et l’opposition syrienne, accords visant notamment à faire transiter le gaz du Qatar destiné au marché européen par les territoires syrien et turc et à approvisionner l’entité sioniste en eau de l’Euphrate à partir d’un barrage turc. Cette eau devrait alors être acheminée via… la Syrie !
Anatolia News Agency, Hürriyet (Turquie) traduit de l’anglais par Djazaïri
Le ministère turc des affaires étrangères a démenti les déclarations faites le 28 mars par l’opposition affirmant que le ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoğlu a signé des accords secrets avec l’opposition syrienne en marge des discussions qui ont eu lieu au Qatar du 8 au 11 novembre 2012. 
«Les allégations formulées par le porte parole du principal parti d’opposition ne reflètent pas la réalité. L’existence d’une réunion tenue à Doha dans le but d’unifier l’opposition sous une seule bannière était signalée dans une déclaration publiée le 12 novembre 2012 par le ministère des affaires étrangères. La réunion [de Doha] n’avait aucune dimension secrète,» lit-on dans la déclaration du ministère. 
Les accords comprenaient des clauses comme la livraison de gaz naturel Qatari à l’Europe par un gazoduc traversant la Syrie et la Turquie, a affirmé le 27 mars le porte parole du Parti Populaire Républicain Haluk Koç. Il a aussi soutenu qu’il avait été prévu de transférer de l’eau du barrage Atatürk en Israël via la Syrie. 
«Ce genre de diffamation de la part du porte parole du principal parti d’opposition, affirmée sans aucune recherche d’informations et visant à nuire à la réputation de la Turquie, est inexcusable. On attend des preuves de la part des personnes et des organisations qui avancent ces affirmations qui n’ont pas de fondement,» lit-on dans la déclaration.
Le ministère des affaires étrangères a aussi démenti des informations rapportées par la presse turque selon lesquelles Davutoğlu s’est rendu en Israël plusieurs mois avant les excuses de Netanyahou pour négocier sur cette question [de l’adduction d’eau].

Le gouvernement turc dément bien entendu, arguant du caractère public de ses rencontres avec l’opposition syrienne.
Et peut-être est-il sincère. 
Il n’a cependant pas convaincu Cezer Skonore, un lecteur de Hürriyet qui écrit ce qui suit en commentaire :
Tout ce qu’a fait le gouvernement turc par rapport à la Syrie est secret. Il n’y a pas une seule chose que le gouvernement a faite, pas une seule décision faite par le gouvernement sur la Syrie qui ait été expliquée à l’opinion. En ce sens, il n’y a pas d’accord secret plus spécialement secret que les autres.

On peut par exemple retrouver dans la presse la trace d’une rencontre secrète entre Ahmet Davutoğlu et Benyamin Ben Eliezer, ministre sioniste du commerce, en juin 2010, un mois seulement après l’assaut sanglant contre le Mavi Marmara. Cette réunion demandée par le gouvernement turc avait été rendue publique par les autorités sionistes.
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Entre Davutoglu et Ben Eliezer, le courant est toujours passé
Cette rencontre montre surtout que le chef de la diplomatie turque a gardé de bonnes relations avec les ministres travaillistes du gouvernement Nétanyahou, Benyamin Ben Eliezer et le ministre de la défense, Ehoud Barak, avec qui s'est préparée cette réunion. Les deux pays ont besoin l'un de l'autre.


mercredi 27 mars 2013

Irak 2003 - Iran 2013?


Nous sommes peut-être encore nombreux à penser que le pétrole était une des principales motivations de la guerre entreprise par les Etats Unis contre l’Irak en 2003.
J'écris «nous» parce que je le pensais encore avant de lire un article de Muhammad Idrees Ahmad dont je vous propose une traduction.
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Muhammad Idrees Ahmad
L’exposé de Muhammad Idrees Ahmad est limpide et on est obligé, après lecture, d’admettre que le pétrole n’était en aucun cas un motif décisif de cette agression. On peut par ailleurs apprendre que  l’exploitation du pétrole irakien est plus aujourd’hui l’affaire des sociétés chinoises que des firmes américaines qui n’ont plus sur place qu’une activité assez marginale (en dehors des société de services pétroliers comme Halliburton).
Si la guerre contre l’Irak s’est soldée par la défaite du régime irakien de l’époque, elle a eu aussi pour conséquence un affaiblissement [relatif] des Etats Unis dont l’économie a été mise à mal par les dépenses de toutes sortes induites par ce conflit qui était venu s’ajouter à l’intervention en Afghanistan. De la même manière, la domination politique des Etats Unis dans le monde commence à être remise en cause par l’émergence de nouveaux acteurs qui cherchent à ajuster leur rang diplomatique à leur force économique.
Une situation qui n’a rien d’inédite, si on veut bien se souvenir que l’Angleterre était sortie affaiblie des deux guerres mondiales qui l’avaient pourtant vue victorieuse.
 Si j’ai bien compris la thèse de l’auteur de l’article, l’entrée en guerre contre l’Irak s’explique en premier lieu par la rencontre d’un homme, George W. Bush, animé d’un esprit messianique qui mêle doctrine religieuse et mysticisme démocratique et d’une bande de penseurs néoconservateurs cherchant avant tout à agir dans ce qu’ils considéraient être l’intérêt de l’entité sioniste.
Pour résumer, l’invasion de l’Irak était une intervention visant à servir des objectifs définis par une tendance particulière du sionisme, le sionisme révisionniste dont le pouvoir en place à Tel Aviv incarne l’évolution contemporaine.
Ces gens là, comme tout fasciste qui se respecte, pensent que seule la force leur permettra d’exister, d’exister au Moyen Orient pour ce qui concerne les fascistes Juifs.
Cette même logique qui a conduit les Etats Unis et leurs alliés à envahir puis à occuper et détruire l’Irak reste à l’œuvre aujourd’hui, s’étant simplement fixée un autre ennemi à abattre d’urgence, à savoir le régime iranien.
Comme en 2003, signale l’auteur, personne n’imagine vraiment que Washington va entrer en guerre contre l’Iran.
Et pourtant… 

Toute une série de personnages et de causes ont conduit les USA à la guerre contre l’Irak

Par Muhammad Idrees Ahmad, The National (EAU) 23 mars 2013 traduit de l'anglais par Djazaïri
           
Dix ans après «choc et effroi», les raisons derrière l'invasion de l'Irak n'ont toujours pas été expliquées de façon satisfaisante. 
Des journalistes, des intellectuels, des soldats et des idéologues se sont tous trituré les méninges pour donner des réponses. Le pétrole, l’impérialisme, le militarisme, la démocratie, Israël et l’économie de marché ont été proposés en guise d’explications.
Certaines d’entre elles s’excluent mutuellement, et elles semblent toutes mettre en lumière plus qu’elles ne satisfont le besoin qu’ont les humains de la simplification. D’un autre côté, entre les mains des universitaires les explications tendent inévitablement vers le «complexe» (le marqueur obligatoire pour séparer l’homme ordinaire du mandarin).
Dire que les causes de la guerre contre l’Irak sont assez simples à expliquer ne veut pas dire qu’elles sont simples. Mais le manque de simplicité ne signifie pas non plus indétermination [du fait d’une trop grande quantité de causes]. La réalité peut être complexe mais est tout à fait dans le domaine de l’explicable.
On n’a pas besoin de souscrire à la notion tolstoïenne de l’histoire – une force insondable, sans agents, prédestinée et avec des causes infinies – pour accepter qu’un phénomène aussi compliqué qu’une guerre puisse avoir des causes multiples. Celle contre l’Irak en avait beaucoup. Chacune de celles mentionnées plus haut ont joué un certain rôle dans les calculs des décideurs politiques ; mais elles n’ont pas toutes la même importance. Les acteurs décisifs n’étaient pas animés par les mêmes motifs, pas plus qu’ils n’avaient forgé leurs décisions simultanément.
George W Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld voulaient la guerre, mais elle fut conçue par les néoconservateurs. Le 11 septembre 2001 en fut le catalyseur, mais ce sont les néoconservateurs qui s’employèrent à l’instrumentaliser.
Le désir des néoconservateurs de renverser le régime irakien préexistait à celui de M. Bush, M. Cheney ou M. Rumsfeld. Le changement de régime était une doctrine officielle aux Etats Unis depuis 1998 et une doctrine officieuse depuis plus longtemps encore. Mais les moyens imaginés étaient la pression diplomatique, l’étranglement économique et l’action secrète – pas l’invasion et l’occupation.
M. Bush commença à recevoir des briefings sur ce sujet seulement dans le cours de sa campagne présidentielle. Les Vulcans – le groupe chargé de réfléchir à la politique étrangère – étaient animés par Condoleeza Rice qui, dans un document de situation pour les affaires étrangères avait soutenu que la puissance militaire irakienne était «considérablement affaiblie» et que les Etats Unis pouvaient vivre même avec un Irak nucléaire.
M. Cheney avait passé les années 1990 à se plaindre de la politique de sanctions [‘’sanctions-happy’’] de l’administration Clinton. Il dirigeait aussi USA*Engage, un consortium d’industriels qui faisait pression pour l’abrogation de l’Iraq Libya Sanctions Act de 1996, un cadeau du lobby israélien.
M. Rumsfeld avait manifesté peu d’intérêt pour l’Irak dans la quinzaine d’années entre sa tristement célèbre poignée de mains avec Saddam Hussein et sa signature d’une lettre rédigée par le Project for the New American Century, un think tank néoconservateur. A l’hiver 2001, M. Bush, M. Cheney et M. Rumsfeld étaient cependant tous convaincus de la nécessité de la guerre.
Le 11 septembre explique partiellement ce changement d’état d’esprit. Mais il n’avait pas pour autant rendu la guerre inévitable. Il fallait encore manipuler l’opinion publique, surmonter les obstacles bureaucratiques. Il fallait mettre l’Irak sur l’agenda en le présentant comme une menace imminente. C’est seulement ainsi qu’une guerre préventive pouvait être justifiée.  A cette fin, la conjonction de liens présumés de l’Irak avec al Qaïda et sa possession d’armes de destruction massive (ADM) était nécessaire. Ensemble, cela constituait une menace qui renvoyait au rang d’exercice d’irresponsabilité pointilleuse toute recherche de preuves supplémentaires. Comme le soulignait l’argumentaire de la Maison Blanche, la preuve décisive risquait fort d’être le champignon d’une explosion atomique.
Un inventaire des articles parus dans le sillage immédiat du 11 septembre et liant l’Irak aux attentats révèle qu’ils provenaient Presque exclusivement des cercles néoconservateurs.
La plupart des articles que j’ai pu lire citent les assertions non étayées d’une seule personne, l’idéologue néoconservatrice Laurie Mylroie. Ses théories étaient promues avec ardeur au sein du gouvernement par Paul Wolfowitz qui avait aussi chargé son protégé, Douglas Feith, de trouver du matériel pour appuyer les assertions de Mlle Myrloie.
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Paul Wolfowitz: "je peux aussi chanter La Marseillaise "
M. Feith avait créé deux groupes à cet effet – le Policy Counterterrorism Evaluation Group et l’Office of Special Plans – pour fabriquer la connexion Irak – al Qaïda et des preuves sur les ADM irakiennes présumées. Il était assisté par des exilés et des escrocs  de l’ Iraqi National Congress et, plus important selon moi, par la correspondante du New York Times Judith Miller, co-auteure avec Mlle Myrloie d’un livre sur l’Irak publié en 1991. 
Pendant ce temps, la cheville ouvrière néoconservatrice Richard Perle s’était arrangée pour que M. Cheney soit briefé personnellement en plusieurs occasions par Bernard Lewis, un doyen de l’orientalisme, qui assurait au vice président revanchard que le seul langage que les Arabes comprenaient était la force. « Choc et effroi » était donc le corollaire obligé.
Quid du pétrole ? Malgré sa plausibilité au premier abord, la thèse de la «guerre pour le pétrole » ne semble résister ni à l’épreuve des faits ni à l’analyse. En 2003, l’Irak ne refusait pas de vendre son pétrole mais était sous embargo. Les sociétés pétrolières avaient passé une dizaine d’années à faire pression non pour la guerre, mais pour une levée des sanctions. Leur état d’esprit a pu changer en 2003, mais il existait beaucoup de moyens moins coûteux et moins aléatoires que la guerre.
A au moins trois reprises dans les six mois qui avaient précédé l’entrée en guerre, Saddam Hussein avait fait des efforts désespérés pour maintenir son pouvoir en offrant aux Etats Unis un accès privilégié au pétrole irakien. Les compagnies pétrolières n’avaient pris le train en marche qu’une fois la guerre devenue inévitable, et encore pas sans appréhension. Elles craignaient toutes la déstabilisation qui pouvait s’ensuivre.
Pour M. Cheney et M. Rumsfeld, la première motivation n’était pas le pétrole, mais l’effet d’exemplarité de la guerre – une affirmation sanglante de la puissance militaire des Etats Unis pour intimider quiconque envisagerait de nuire aux USA en livrant des ADM à des terroristes. Pour Bush, selon des gens très proches de lui, la motivation principale était des plus simplistes, une croyance messianique dans le combat contre un régime «diabolique» - un régime qui avait précédemment tourmenté son père. Il était aussi flatté par des conseillers et des exilés Irakiens qui l’encourageaient à endosser son nouveau rôle de guide de l’humanité, de libérateur des peuples, de diffuseur de la démocratie.
M.Bush, M. Cheney et M. Rumsfeld auraient peut-être pu décider d’entrer en guerre contre l’Irak sans l’encouragement des néoconservateurs. Mais sans leur aide, il est peu probable que le parti de la guerre eut pu surmonter la résistance d’establishments militaires, diplomatiques et du renseignement hésitants. Par leur cohésion sociale, leur cohérence idéologique et leur domination sur l’appareil de la sécurité nationale, et avec les ressources et le soutien institutionnel du lobby israélien, les néoconservateurs avaient des atouts dont ne disposait aucune autre faction.
Dans la longue série de textes produits par les néoconservateurs pendant la décennie qui avait précédé – en particulier les deux documents politiques rédigés par M. Perle, M. Feith et David Wurmser pour le premier gouvernement benjamin Netanyahou – des idées que M. Wurmser avait par la suite développées dans son livre Tyranny’s Ally – ces motivations [pour la guerre] sont affirmées sans équivoque.
Le néoconservatisme s’enracine idéologiquement dans le sionisme révisionniste et c’est pourquoi Israël est sa grande priorité. Pour les néocons, la guerre est désirable parce qu’elle fragmenterait un Etat arabe potentiellement puissant et laisserait l’Iran,  le véritable ennemi juré d’Israël dans une situation plus vulnérable. Elle renforcerait aussi l’isolement des Palestiniens, les rendant plus enclins au compromis. Pour eux, la route de Jérusalem passait par Bagdad.
Près d’un million de morts Irakiens plus tard, avec plus de 3 000 milliard de dollars perdus et 5 000 soldats tués, on ne sait pas toujours vraiment si les Etats Unis en ont tiré une quelconque leçon. La guerre du Vietnam avait été suivie de beaucoup d’introspection ; ce ne fut guère le cas avec l’Irak. La rhétorique reste belliqueuse et l’enthousiasme pour la guerre a à peine faibli.
La guerre contre l’Irak semblait improbable jusqu’à ce qu’elle se produise. Dans ses mémoires, M. Feith regrette que ses démarches pour mettre l’Irak dans le collimateur de l’administration n’aient suscité que dérision aussi tardivement qu’à l’été 2001. Le 11 septembre avait tout changé.
De la même manière, une guerre contre l’Iran semble improbable aujourd’hui ; et c’est ce qui a encouragé les politiciens US à se lancer dans une stratégie de la corde raide avec l’Iran sans avoir peur des conséquences. Tout cela pourrait changer rapidement si un «évènement catalyseur - un nouveau Pearl Harbour» venait à rompre l’équilibre.

Si on doit tirer une leçon de la guerre contre l’Irak, c’est que l’histoire est contingente et que les idées ont des conséquences. Seul ce qui est inerte répond à la volonté humaine. Avec la prépondérance de leur puissance de destruction, les Etats Unis ont le devoir de ne pas être esclaves des circonstances.

Muhammad Idrees Ahmad est un spécialiste de sociologie politique d’origine pakistanaise qui vit en Angleterre. A côté d’activités académiques il collabore avec divers médias tels Le Monde Diplomatique, Asia Times, IPS News, et Political Insight

samedi 23 mars 2013

Le Hezbollah et les enjeux libanais et régionaux de la guerre contre la Syrie


La crise syrienne a sans doute connu un tournant avec l’élection du premier ministre d’un gouvernement provisoire d’opposition.
Cette élection a été le moment d’un bras de fer entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, ce dernier émirat l’ayant emporté, obtenant l’élection de son candidat, le syro-américain Ghassan Hitto (plus Texan que Frère Musulman selon l'ex ambassadeur US en Syrie, Robert Ford).
Cette victoire du Qatar est aussi celle de la Turquie, proche de cette pétromonarchie et sonne peut-être la fin de tout espoir d’une issue négociée du conflit, et même de tout espoir de sortie du conflit à bref ou moyen terme.
Comme vous l’aurez compris, il ne faut pas se laisser abuser par le mot élection : les [grands] électeurs qui ont choisi le premier ministre n’ont eux-mêmes aucune légitimité élective et le résultat du scrutin est avant tout celui des pressions exercées par des puissances étrangères, la «mieux disante» étant la monarchie du Qatar.
Ce qui se passe aujourd’hui en Syrie n’a rien à voir avec une lutte pour la démocratie : dans leurs paroles, comme dans leurs actes les mouvements réunis dans le Conseil National Syrie et la Coalition Nationale des forces de l'opposition et de la révolution, sont en réalité encore mois démocratiques que le régime en place. Ce qui les distingue vraiment du régime est la tonalité sectaire de leur discours et leur agressivité vis-à-vis de ceux qu’ils considèrent comme des hérétiques.
Il y a eu certes une vraie exigence de démocratisation du système politique en Syrie, mais les porteurs de cette revendication ont été contraints au quasi mutisme, pas par la répression des autorités mais par la situation de guerre étrangère imposée au pays.
Alors, si l’objet des affrontements n’est pas la démocratie, de quoi s’agit-il ? 
L’objet du conflit est en réalité d’en finir avec non seulement le régime syrien, mais surtout avec une Syrie qui reste le dernier obstacle avec le Hezbollah libanais à une normalisation avec l’entité sioniste.Ne vient-on pas en effet de voir que, après bien des rodomontades, le gouvernement turc est rentré dans le rang suite aux excuses de Benjamin Netanyahou pour les victimes  turques du Mavi Marmara. Mieux, Recep Tayyip Erdogan, le premier ministre Turc a
souligné son attachement à "l'amitié solide et à la coopération vieilles de plusieurs siècles entre les peuples turc et juif".

N'a-t-on a pas vu qu’un autre «islamiste» fort en paroles, l’Egyptien Mohamed Morsi, membres des Fréres Musulmans de son état, a choisi d’appliquer scrupuleusement ce qui est exigé de lui par Barack Obama et continuer donc à participer au blocus de la bande de Gaza?
Liquider le régime syrien, c’est aussi préparer l’élimination du Hezbollah, une élimination que d’aucuns voudraient précipiter en étendant le conflit syrien au Liban au prétexte de l’implication des miliciens du Hezbollah aux côtés des forces régulières syriennes. 
C’est cet aspect de la crise en Syrie qu’examine Ibrahim al-Amin dans les colonnes d’al Akhbar, un organe de presse libanais.
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Ibrahim al Amin, rédacteur en chef d'Al-Akhbar
Al Akhbar se situe politiquement à gauche et ne peut en aucun cas être considéré comme proche idéologiquement du Hezbollah. 
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Ernest Khoury dans son bureau d'Al Akhbar, sous le regard vigilant de Lénine et Karl Marx
Par Ibrahim al-Amin, Al Akhbar (Liban) 22 mars 2013, traduit de l’anglais par Djazaïri
On parle et on spécule beaucoup depuis un certain temps au Liban, en Syrie et dans le monde arabe et en Occident sur le véritable rôle du Hezbollah dans la crise syrienne. La machine de propagande anti-Hezbollah est, comme d’habitude, particulièrement active, offrant au quotidien un flot d’informations et d’articles sur l’implication supposée de ce parti dans le conflit. 
Cette machine de propagande – avec ses opérateurs Libanais, Syriens et autres – a annoncé la mort de centaines de miliciens du Hezbollah en Syrie et la capture de dizaines d’entre eux par les rebelles Syriens. Un service de sécurité officiel de Beyrouth joue un rôle central sur ce front en assurant la fuite d’informations factuelles sur lesquelles on brode ensuite. Ces gens croient qu’un tel déluge est un moyen efficace de susciter autant de rancœur que possible contre le Hezbollah dans l’opinion publique. 
Le Hezbollah n’a, pour sa part, pas propose plus de précisions que ce qu’a déclaré son secrétaire général Nasrallah sur l’assistance apportée par le parti à ses sympathisants Libanais qui résident dans des villages à l’intérieur de la Syrie, mais a cependant répété que le Hezbollah n’avait pas pour l’instant participé aux combats en Syrie.
Une stratégie délibérée de provocation et d’exagération est employée contre le Hezbollah par des services de renseignements de la région et de l’étranger, y compris ceux d’Israël. Maisl a question centrale était, et demeure, est de comprendre la place du Hezbollah dans une crise syrienne qui entre dans sa troisième année. Ces services savent beaucoup de choses sur ce qui se passe sur le terrain en ce qui concerne les combats entre les forces du régime et celles de l’opposition. Ils connaissent les capacités des deux camps et exercent une surveillance continue de toutes les actions de soutien au régime, y compris par le Hezbollah. 
Mais pour les autres, il est sans doute nécessaire de clarifier la perspective à partir de laquelle le Hezbollah fonde son attitude par rapport à la crise syrienne. Ce qui pourrait en aider beaucoup à comprendre les soubassements idéologiques, politiques et opérationnels de sa position. 
Le Hezbollah continue à voir les choses à partir de la perspective de son rôle central dans la confrontation avec Israël. Il ne donne sans doute pas souvent de détails sur l‘objectif ultime de cette lutte, mais le parti se comporte comme s’il était partie prenante d’une campagne au long cours pour se débarrasser d’Israël, une bataille qui nécessite beaucoup de préparation. Si l’idée d’être débarrassé d’Israël ne dérangerait pas une majorité des peuples arabes et islamiques, seule une minorité est prête à mener ce combat jusqu’au bout. 
Une minorité parmi les réticents pense qu’un tel discours est fou ou illusoire et ne peut en aucun cas influer sur le cours de l’histoire. Cette minorité influente ne voit aucune nécessité pour une lutte de ce genre. Elle perçoit en conséquence le Hezbollah comme une bande de cinglés qui non seulement mettent en danger leur peuple et eux-mêmes mais aussi les intérêts des peuples de la région. Cette minorité se retrouve donc dans une alliance, formalisée ou non, avec les véritables ennemis du Hezbollah, à savoir Israël, les Etats Unis et certaines capitales arabes et occidentales. 
L’engagement du Hezbollah dans la résistance contre l’occupation l’oblige à faire beaucoup de choses comme éviter de se faire d’autres ennemis. Sa position sur la Syrie est cohérente avec son attitude à l’égard des mouvements de contestation dans l’ensemble du monde arabe. 
Dès le début, personne n’aurait pu imaginer voir le Hezbollah prendre position contre le régime syrien. Si le parti n’ignore pas les causes internes de la crise, il n’admet pas les affrontements en cours. Son regard sur la situation d’ensemble l’empêche d’adopter une position de neutralité, tout comme le fait qu’il a un suivi plus clair et fiable de ce qui se passe en Syrie comparativement à beaucoup des organisations impliquées dans les combats.
Le Hezbollah a averti très tôt sur les liens avec l’étranger et les agendas des organisations à la tête de la contestation. Il avait des preuves claires sur les tendances idéologiques de certaines des plus influentes de ces organisations. Il avait observé comment, dès le début de la contestation, des manifestants à Deraa et à Homs avaient brûlé des portraits de Nasrallah et des drapeaux du Hezbollah, et comment la campagne d’incitation à la haine religieuse contre le parti avait été lancée à fond. 
C’était avant que le parti ait dit quoi que ce soit sur les développements en Syrie – en fait, alors même qu’il était en train d’œuvrer avec divers mouvements islamistes arabes, dont le Hamas, à essayer de nouer des contacts dans le but d’éviter d’arriver à la catastrophe actuelle. 
Le point de vue du Hezbollah, pour dire les choses simplement, est que la guerre en Syrie a pour but de faire évoluer politiquement et stratégiquement ce pays vers une position d’opposition à l’existence du Hezbollah. Ce qui lui fait voir le régime actuel dirigé par Bachar al-Assad comme une ligne avancée de défense du mouvement de résistance au Liban et en Palestine. Ce qui, à soi seul, place le parti au cœur de la crise. 
On s’est pose beaucoup de questions et on a dit beaucoup de choses sur le rôle que joue le Hezbollah en Syrie. Ses détracteurs disent qu’il est fortement engagé dans les opérations militaires en cours. Les données du problème n’ont pas besoin de longues explications : 
- le Hezbollah entraîne, arme et apporte un soutien logistique conséquent aux Libanais qui vivent dans les villages frontaliers. 
- Le Hezbollah est chargé de la protection du mausolée de Sayida Zeinab dans le secteur sud de Damas depuis le départ de ses gardiens Irakiens. Sur place, les membres du parti sont déployés selon un plan qui limite leur responsabilité aux abords immédiats du sanctuaire.
- le Hezbollah a reçu des délégations de nombreuses organisations druzes, chrétiennes, chiites et ismaéliennes qui avaient le sentiment que leurs communautés minoritaires étaient gravement menacées. Il n’a pas satisfait à leurs demandes d’armement et de formation militaire, mais leur a donné les moyens d’éviter d’être déplacés.
- Le Hezbollah, qui a des liens sécuritaires et militaires avec le régime, aide les forces syriennes en protégeant les institutions scientifiques et les usines de missiles qui ont été construites ces dix dernières années en grande partie avec l’aide de l’Iran.
- Le Hezbollah a un important programme, peut-être le plus important, d’aide aux réfugiés Syriens au Liban et même à l’intérieur de la Syrie. Ce programme n’a pas pour but de remercier les Syriens pour avoir accueilli des réfugiés du Liban en 2006. Ce programme est exécuté dans la discrétion sur la base de la conviction que les réfugiés et les personnes déplacées ont droit à toute l’aide humanitaire possible quelles que soient leurs opinions politiques.
Les attitudes à l’égard du Hezbollah sont liées à toutes sortes de calculs. Certains font cependant tout ce qu’ils peuvent non seulement pour entraîner le parti dans la crise syrienne mais aussi dans un affrontement semblable au Liban. Le parti en est conscient. Il semble être en train de discuter des modalités d’une action visant à apaiser les tensions sectaires, même si ses dirigeants craignent de nouvelles effusions de sang avant l’aboutissement de ces discussions.

jeudi 21 mars 2013

La France a-t-elle trahi le Mali?


L’armée française devrait commencer à se retirer du Mali dès le mois prochain puisque la souveraineté de ce pays sera très bientôt quasi-rétablie, si on en croit M. François Hollande qui s’est exprimé sur cette question devant ceux à qui il doit rendre compte chaque année.
Au dîner du CRIF: "Alors, j'ai bon ou pas bon?"
"Est-ce que je vais avoir une bonne note?"
C’est que la mission sera alors accomplie.

Reste à savoir de quelle mission il s’agit : restaurer l’intégrité territoriale malienne ou agir dans le sens des «intérêts de la France.»

Parce que, à la différence de ceux dont parlent les Beatles dans une de leurs chansons, ce ne sont pas forcément des mots qui vont très bien ensemble.

Et c’est en tout cas une opinion de plus en plus répandue au Mali où on s’interroge sérieusement sur les manigances de l’ancienne puissance coloniale que d’aucuns accusent d’encourager une partition de facto du pays.

Une telle partition du Mali pourrait être le prélude de bouleversements similaires dans d’autres pays de la région, dont l’Algérie.

Un scénario lourd de dangers que n’hésite pas à envisager Mohamed-Chafik Mesbah, un ancien officier de l’armée algérienne :
La situation actuelle dans le Sud de l’Algérie ne laisse rien présager de bon d’après l’ancien officier, qui craint que cette région ne vienne à bout des forces sécuritaires régionales. Il s’est également inquiété de l’intervention des puissances étrangères dans ces conflits africains, et va imaginer un scénario très pessimiste dans lequel l’Algérie serait soumise aux décisions des autres pays occidentaux et où elle ne pourrait plus exercer sa souveraineté nationale, dans la région du sud, et pourrait avoir comme conséquence la division du nord et du sud du pays. Un dessein de longue date, d’après Mohamed-Chafik Mesbah. « L’idée de diviser le pays et de ne libérer que sa partie nord, tout en continuant à occuper et à exploiter les champs pétrolifères et les autres richesses naturelles, remonte à la période de la guerre d’Indépendance », a-t-il affirmé. 
Si on en lit le portrait que Mohamed Sifaoui, le même qui pense que le régime sioniste est une démocratie, fait de Mohamed-Chafik Mesbah, on peut retirer au moins la certitude que les réflexions de cet ancien du DRS reflètent bien les préoccupations d’une partie des élites politiques et militaires du pays.

Et comme le remarque le blogueur El Erg Echergui (apparemment dans la veine du MAOL) qui réagit aussi à des propos de M. Mesbah, le régime algérien n’est pas pour rien dans les risques de fragmentation de la nation, comme d’ailleurs il n’a pas été pour rien dans le long processus de déstabilisation de la région. 
Qui qu’il en soit, l’écrasement de l’Irak, la partition du Soudan, la pseudo révolution libyenne et l’anarchie qui s’est saisie de ce pays ainsi que la destruction en cours de la Syrie incitent à ne pas écarter d’un revers de main les risques pour l’intégrité et l’unité territoriales de l’Etat algérien. 

Et au Mali, ce sont d'abord les Maliens qui ont trahi. La France est par contre fidèle à ce qu'elle estime être l'intérêt de sa politique africaine et de ses grandes entreprises.

 La montée à nouveau en puissance  du Mouvement National [Targui] de Libération de l’Azawad suscite colère et interrogations chez les maliens quant au rôle de l’Europe et à son engagement à leurs sécurité et unité.
par Peter Tinti, Christian Science Monitor (USA) 20 mars 2013 traduit de l'anglais par Djazaïri

Gao, Mali - Avec la baisse en intensité de la guerre pour éliminer les rebelles islamiques du Mali, un sentiment de frustration se fait jour au sujet d’une armée française perçue le plus souvent maintenant comme ayant pris parti pour une faction ethnique controversée qui avait auparavant coopéré avec al Qaïda. 

Dans les villes de Gao et Tombouctou d’où les Français ont expulsé en janvier des groupes d’extrémistes, la colère monte par rapport au fait que les Français font s’accommodent d’une autre organisation séparatrice, le Mouvement National [Targui] de Libération de l’Azawad, ou MNLA. 

Ces derniers jours, les séparatistes du MNLA, en majorité d’ethnie targuie, et qui il y a un an s’étaient emparés par la force du nord du pays et avaient collaboré récemment avec les extrémistes islamiques, ont commencé à exercer une autorité et revendiquent pouvoir et argent. 

Des documents de type official, par exemple, qui demandent aux véhicules et aux automobilistes qui entrent et sortent de la région nordique de Kidal de payer une taxe, sont un exemple parmi d’autres. Les documents sont cachetés avec un sceau marqué de la mention «Etat de l’Azawad», le logo du MNLA. 

De nouvelles révélations sur la mise en place par le MNLA d’une administration parallèle sous les auspices de la France ont provoqué l’indignation, non seulement localement mais dans tout le Mali. 

“Le MNLA a bénéficié de l’intervention plus que n’importe quelle autre organisation,” affirme Abba Maiga, un habitant de Gao. «Alors maintenant, je demande si la France est intervenue pour sauver le Mali ou si elle est intervenue pour sauver le MNLA ?» 

Beaucoup de Maliens se demandent si la France a vraiment la volonté de restaurer l’intégrité territoriale du Mali. Et tandis que la France et ses alliés africains ont considérablement progressé dans l’expulsion des rebelles islamistes de leurs bastions, le fait demeure que la question du séparatisme targui reste une des graves pommes de discorde qui ont été à la racine de la plongée du Mali dans le chaos. 

M. Maiga, a vécu à Gao au moment où elle avait été occupée pat le MNLA puis quand la ville est passée sous le contrôle d’organisations de rebelles islamistes qui ont été récemment chassées par les forces sous commandement français, explique que l’intervention française l’avait rendu d’abord fou de joie. 

Mais aujourd’hui, il s’interroge sur les motivations derrière l’intervention. «Je ne leur fais plus confiance [aux Français]. Ils nous ont trahis,» dit-il. 

Collaboration, pas confrontation

Le MNLA a fondu sur Kidal le mois dernier après que les rebelles liés à al Qaïda eurent abandonné la ville au lendemain des bombardements français. Depuis lors, le MNLA a mis en place des checkpoints et a averti la France et ses alliés africains que l’armée malienne n’est pas la bienvenue et sera traitée en ennemie.
mali

Pour l’instant, la France semble préférer collaborer avec le MNLA et se concentrer sur l’expulsion des rebelles de leurs bastions montagneux, plutôt qu’aider l’armée malienne à reprendre le territoire initialement tombé entre les mais du MNLA l’année dernière.

Et alors que la France soutient l’armée malienne dans sa volonté de consolider son contrôle sur les régions de Gao et Tombouctou, des indices de plus en plus nombreux indiquent qu’elle fait la même chose avec le MNLA à Kidal.

Des automobilistes qui se sont rendus récemment dans la région affirment que le MNLA  fait payer entre 60 et 80 dollars de taxe pour entrer dans la région et entre 80 et 200 dollars de plus pour accéder à la ville de Kidal. La même taxation s’applique quand on sort de Kidal.
Le formulaire du MNLA remis aux automobilistes montre l’exercice d’une autorité administrative: le document est bilingue arabe-français et porte un entête où on lit, «Etat de l’Azawad : Unité, Liberté, Sécurité,» l’identité du chauffeur, le type du véhicule, le nom propriétaire du véhicule et divers numéros d’immatriculation doivent être renseignés.

Au bas du formulaire, un cachet représente une carte avec les frontières revendiquées pour un Azawad indépendant qui comprend les régions de Gao et Tombouctou.

“Ils les Français] disaient que leur objectif était de combattre les islamistes et de restaurer l’intégrité territorial du Mali, mais maintenant ils aident les séparatistes,” déclare un élu municipal de Gao qui a souhaité garder l’anonymat. «Ils travaillent avec les terroristes !» clame-t-il en montrant le formulaire en question.

Des habitants de Gao craignent que l’argent obtenu avec les taxes de transit serve à financer une autre rébellion séparatiste ; le MNLA prétend qu’après les attentats suicides commis dans la ville et ses alentours, ces papiers et la taxation sont  nécessaires pour le maintien de la sécurité.

«Tous les véhicules à l’intérieur du territoire contrôlé par le MNLA doivent avoir ce document,» a déclaré à Reuters à Paris Moussa Ag Assarid, représentant en Europe du MNLA. «De la sorte, nous pouvons distinguer les terroristes et les trafiquants de droguer des chauffeurs ordinaires.»

Les liens antérieurs avec les islamistes

Le MNLA avait une première fois pris le contrôle du Nord Mali alors qu’il combattait aux côtés des rebelles islamistes – dont certains sont liés à al Qaïda – pour chasser l’armée malienne d’une immense étendue désertique à peu près de la taille du Texas.

Mais les séparatistes [Touareg] avaient vite été dominés – militairement et politiquement – par leurs allies de circonstance et avaient été chasses de grandes villes et agglomérations de la région.

 Mais pour la plupart des habitants de Gao – la plus grande ville du Nord Mali avec environ 85 000 habitants – la brève domination du MNLA était associée aux pillages systématiques, aux violations des droits de l’homme et perçue comme ayant permis la prise de contrôle par les islamistes.

Le MNLA prétend qu’on ne peut pas faire confiance à l’armée malienne à Kidal, évoquant l’histoire d’abus par le passé ainsi que des allégations sur de plus récentes exécutions extrajudiciaires de Touareg et d’Arabes par les forces maliennes.

Le président par intérim du Mali, Dioncounda Traoré a annoncé être ouvert à des négociations avec le MNLA pour peu qu’il renonce à ses appels à l’indépendance. De son côté, le MNLA a indiqué être prêt à accepter une forme négociée d’autonomie, mais a refusé de déposer les armes avant de discuter.