dimanche 30 décembre 2007

Les fausses promesses de tante Benazir Bhutto

Ce n'est pas moi qui vais vous l'apprendre, Benazir Bhutto a été assassinée au Pakistan. Mais qui était vraiment cette personne qualifiée souvent de glamour et quel rôle lui était assigné dans l'évolution d'un Pakistan qui vit une phase critique de son histoire, phase qui n'a pas commencé, tant s'en faut, avec son assassinat?
Quelques éléments de réponse fournis par une nièce fort peu affectueuse.
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Les fausses promesses de tante Benazir
Le retour de Benazir Bhutto n'est pas de très bon augure pour le Pakistan – et pour la démocratie dans ce pays.
par Fatima Bhutto, 13 décembre 2007 "LA Times" (USA) traduit de l'anglais par Djazaïri
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KARACHI -- Nous Pakistanais vivons des temps incertains. L'état d'urgence a été imposé pour la 13ème fois dans nos 60 années seulement d'histoire. Des milliers d'avocats ont été arrêtés, certains accusés de sédition et de trahison; le responsable de la justice a été limogé et une réglementation de la presse draconienne – fermant tous les media privés – a été mise en place.
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Le plus bizarre peut-être dans tout ce cirque a été le détournement de la cause démocratique par ma tante Benazir Bhutto, ex premier ministre tombé par deux fois en disgrâce. Tout en concoctant un pacte pour partager le pouvoir avec le général Pervez Musharraf le mois dernier, elle insistait avec constance sur le fait que sans elle la démocratie au Pakistan serait une cause perdue.
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La réalité cependant c'est que personne n'est mieux placé qu'elle pour bénéficier de l'état d'urgence. Elle et les responsables des partis islamistes les plus importants ont été épargnés des conséquences les plus violentes de l'état d'urgence. Certes, il semble qu'elle subisse sept jours d'assignation à résidence, mais qu'est-ce-que cela veut vraiment dire? Alors qu'elle était supposée être assignée à résidence, 50 membres de son parti ont été tranquillement autorisés à la rejoindre. Elle s'est adressée à la presse par deux fois depuis son jardin, sous protection policière fournie par l'Etat, et n'a pas été sanctionnée pour avoir tenu une conférence de presse. (en comparaison, la simple suggestion qu'ils pourraient tenir une conférence de presse a conduit des centaines d'autres militants politiques en véritable état d'arrestation dans de vraies prisons.)
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Le positionnement politique de Mme Bhutto n'est qu'une simple comédie. Ses négociations avec l'armée et son empressement indécent jusqu'à ces derniers jours à prendre part au régime de Musharraf ont signifié une fois pour toutes aux légions de plus en plus nombreuses de fondamentalistes à travers l'Asie du sud que la démocratie n'est qu'un paravent pour la dictature.
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On considère communément que Mme Bhutto a perdu par deux fois le gouvernement en raison d'une corruption massive. Elle et son époux, un homme qu'on en était venu à connaître au Pakistan comme « monsieur 10 %, » ont été accusés d'avoir dérobé plus d'un milliard de dollars au trésor pakistanais. Elle a fait appel d'une condamnation en Suisse pour le blanchiment d'environ 11 millions de dollars. Des procédures pour corruption sont en cours en Espagne et en Grande Bretagne.
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Il a été particulièrement peu séant de la part de Mme Bhutto de demander à Musharraf de contourner les tribunaux et d'abandonner les nombreux dossiers pour corruption qui l'attendent toujours au Pakistan. Musharraf a accepté, créant une ordonnance intitulée odieusement Ordonnance de Réconciliation Nationale dans ce but. Sa collaboration avec lui a été si peu subtile que dans la rue, les gens appellent son parti, le Parti du Peuple Pakistanais, le Parti du Peuple Pervez. Elle veut peut être prendre ses distances avec lui aujourd'hui, mais il est trop tard.
Pourquoi Mme Bhutto et ses amis du PPP ont-ils exigé l'abandon de leurs dossiers pour corruption mais pas la cassation des dossiers des militants arrêtés pendant le régime brutal du dictateur Zia ul-Haq entre 1977 et 1988? Quand son frère Mir Murtaza Bhutto – mon père – est rentré au Pakistan en 1993, il s'est retrouvé devant 99 procédures judiciaires lancées contre lui par le pouvoir militaire de Zia. Ces procédures pouvaient toutes se solder par la peine capitale. Pourtant, en dépit du fait que sa sœur occupait le poste de premier ministre, il ne lui demanda pas la cessation des poursuites. Il revint au pays, fut arrêté à l'aéroport et passa le reste de sa vie à laver son nom, légalement et avec confiance, devant les tribunaux pakistanais.
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Les promesses répétées de Mme Bhutto de mettre un terme au fondamentalisme et au terrorisme au Pakistan provoquent l’incrédulité car, après tout, le gouvernement taliban qui dirigeait l’Afghanistan avait été reconnu par le Pakistan sous son deuxième gouvernement – le Pakistan étant un des trois seuls gouvernements au monde à l’avoir fait.
Et je me méfie de son discours de garantie de la paix [civile]. Mon père était membre du Parlement et un critique résolu de la politique de sa sœur. Il fut tué à l’extérieur de notre maison en 1996 au cours d’une opération d’assassinat soigneusement préparée par la police alors qu’elle était premier ministre. Entre 70 et 100 policiers se trouvaient dans la zone du crime, l’éclairage des rues avait été éteint et tous les accès bouclés. Six hommes furent tués avec mon père. Ils furent tués à bout portant, touchés de plusieurs balles et laissés se vider de leur sang dans la rue.
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Mon père était le plus jeune frère de Benazir. A ce jour, son rôle dans son assassinat n’a jamais été clairement établi même si, saisie après sa mort, la justice en la personne de trois juges respectés, a conclu que le meurtre n’aurait pu avoir eu lieu sans l’approbation d’une « très haute » autorité politique.
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J’ai des raisons personnelles pour craindre les dangers apportés par la présence de Mme Bhutto apporte au Pakistan, mais je ne suis pas la seule. Les islamistes guettent au coin du bois. Ils attendaient la confirmation que les réformes pour lesquelles le peuple pakistanais a lutté étaient une farce ayant l’aval de la Maison Blanche. Depuis la prise de pouvoir par Musharraf en 1999 un profond mouvement populaire pour des réformes démocratiques s’est développé. La dernière chose dont nous ayons besoin, c’est d’être liés à un agenda néoconservateur à travers une « démocrate » fantoche telle que Mme Bhutto.
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En soutenant Bhutto qui parle de démocratie tout en demandant à être portée au pouvoir par un dictateur militaire, la seule chose à laquelle on aboutira sera à la mort d’un mouvement démocratique séculier dans mon pays. La démocratisation sera délégitimée pour toujours et notre marche vers l’adoption de véritables réformes sera stoppée. Nous, Pakistanais, en sommes certains.
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Fatima Bhutto est une écrivain et poétesse pakistanaise. Elle est la fille de Mir Murtaza Bhutto qui a été tué en 1996 à Karachi alors que sa sœur Benazir était premier ministre.

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