lundi 24 mai 2010

Sanctions contre Iran, la lecture stratégique de Pepe Escobar

Mme Clinton vient d'exiger l'adoption par l'ONU de nouvelles sanctions en lien avec le programme nucléaire iranien. Et ce, en dépit de l'accord sur un échange de combustible nucléaire obtenu par le Brésil et la Turquie.
Mme Clinton va sans doute obtenir l'adoption de ces nouvelles sanctions même si comme le laisse entendre Pepe Escobar, elles seront sans doute fortement édulcorées après être passées à la moulinette des autres membres permanents (Russie, Chine) et non permanents (Liban, Turquie, Brésil).
Quelle que soit la teneur des sanctions, elles auront d'abord un prix pour Washington, celui que les Etats Unis devront payer à la Russie et surtout à la Chine, deux pays qui n'ont aucun intérêt ni à un embargo sur l'Iran ni dans une guerre à leurs portes.
En effet, il suffit de regarder une carte pour voir que l'Iran est limitrophe d'anciennes républiques soviétiques, de l'Afghanistan et du Pakistan. Les répercussions sur ce dernier pays d'un conflit militaire en Iran sont d'une importance essentielle pour les autorités de Pékin.
La Turquie non plus n'a aucun intérêt au déclenchement d'un conflit à ses portes.
Pepe Escobar considère que ce qui vient de se passer à Téhéran, ce fameux accord irano-turco-brésilien, est symptomatique de l'avènement d'un monde multipolaire avec l'apparition de nouvelles puissances moyennes, comme la Turquie, ou très importantes comme la Chine, sans parler du renouveau russe. En fait, plus que d'apparition de puissances, Escobar parle d'éveil à la dimension internationale de ces pays qui, par ailleurs, sont souvent en phase avec cette communauté internationale qui n'est pas exactement celle dont parlent Mme Clinton ou M. Sarkozy. Car le monde, nous rappelle Pepe Escobar, ne se résume pas aux Etats Unis, au Canada et à quelques Etats européens.
En appelant à un nouveau train de sanctions juste après l'annonce de l'accord conclu par le président Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva et le premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogan, Mme Clinton a adressé un camouflet à ces derniers, où un coup de cravache pour rester dans le ton de Pepe Escobar.
Ceci ne restera pas sans conséquences. Mme Clinton est peut-être satisfaite de son coup, plier apparemment à sa volonté la fameuse "communauté internationale," le coût politique en sera sans doute exorbitant pour les Etats Unis. Car si des pays comme le Brésil ou a Turquie s'éveillent à la dimension internationale, ce n'est certainement pas pour jouer les gros bras mais simplement parce que c'est leur intérêt: le Brésil comme la Turquie dépendent de l'étranger pour leurs approvisionnements en gaz et en pétrole; le Brésil notamment est en train de devenir un géant économique et ses intérêts prennent, et prendront de plus en plus, une dimension mondiale. Ceci est encore plus vrai pour la Chine.
Maintenant, tout le monde aura compris que ce que cherchent les Etats Unis, ce ne sont pas des garanties sur la nature du programme nucléaire iranien, mais un changement de régime. L'idée est de rendre la vie difficile aux Iraniens pour qu'ils contestent de plus en plus leur régime qui, à son tour se durcira: une spirale de l'instabilité pouvant déboucher sur un coup d'Etat ou une révolution colorée.
Le succès de la démarche n'est pas à écarter. L'Iran est sous le coup de sanctions depuis des années et est littéralement assiégée par les troupes US sans parler des gesticulations militaires sionistes. Les menaces de toutes sortes sur le régime sont évidentes et ce dernier s'est effectivement durci ces dernières années, tout en restant bien plus démocratique que d'autres pays, comme l'Egypte par exemple, qui figurent sans problème sur la liste des amis es Etats Unis.
Enfin, qu'on ne s'y trompe pas, les sanctions unilatérales voulues par l'Occident ont tout d'une déclaration de guerre qui ne dit pas son nom. La seule question qui vaille est: les Etats Unis agiront-ils  militairement contre l'Iran?
Pour cause d'économie chancelante, ils ne le feront, à mon avis, que si les délinquants de Tel Aviv leur forcent la main en bombardant l'Iran provoquant une riposte iranienne. Une réédition en quelque sorte du coup de Suez de 1956. Un coup qui avait été un succès militaire pour la France et la Grande Bretagne, mais qui avait aussi sonné le  glas de leur statut de très grande puissance.

    
L'Iran, Sun Tzu et la dominatrice
By Pepe Escobar, Asia Times (Chine) 22 mai 2010 traduit de l'anglais par Djazaïri

Voyons les choses en face: Hillary Clinton est une satanée dominatrice.

Au départ, la Secrétaire d'Etat des Etats Unis avait dit que la médiation turco-brésilienne pour amener l'Iran à accepter un échange de combustible nucléaire était vouée à l'échec. Puis les Etats Unis ont dit que c'était la "dernière chance" pour un accord sans sanctions. Et finalement, moins de 24 heures après l'aboutissement à un accord à Téhéran, Hillary Clinton soumet le Conseil de Sécurité de l'ONU à la cravache et annonce triomphalement au monde qu'un projet de résolution pour une quatrième bordée de sanctions a été établi.

Elle a situé la démarche pour des sanctions dans le cadre "d'une réponse aux efforts entrepris ces tout derniers jours par Téhéran." Attendez une minute. Immédiatement après une véritable - et fructueuse - médiation par deux puissances émergentes - et intermédiaires honnêtes -, le Brésil et la Turquie, dans ce monde multipolaire sur un dossier très sensible, Washington et ses deux alliés de l'Union Européenne au Conseil de Sécurité, la Grande Bretagne et la France, la torpillent. Est-ce cela qu'on fait passer pour de la "diplomatie" globale? 
Pas étonnant si les alliés importants des États-Unis que sont le Brésil et la Turquie, tous deux membres non permanents du Conseil de sécurité, et toutes deux grandes puissances régionales, ont été furieux après un tel camouflet public. Le Brésil a d'abord annoncé qu'il ne voulait même pas discuter des sanctions à l'ONU. Ensuite, le Brésil et la Turquie ont envoyé une lettre officielle à l'ONU, demandant à participer aux négociations du "groupe des six sur l'Iran." et les sanctions "pour empêcher l'adoption de mesures allant à l'encontre d'une solution pacifique ".

Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva - qui avait dit personnellement à Hillary Clinton plus tôt dans l'année qu'il n'était "pas prudent d'acculer l'Iran" - n'a pas pu s'empêcher de fustiger un Conseil de Sécurité obsolète, en insistant sur le fait qu'après tout il n'était guère enclin à des négociations. Le ministre Turc des affaires étrangères Ahmet Davutoglu a prévenu que le nouveau train de sanctions "empoisonnerait l'atmosphère."

Et le premier ministre Turc Recep Tayyip Erdogan a souligné que cette démarche remettait gravement en cause la crédibilité du Conseil de Sécurité - sans omettre de rappeler ironiquement à chacun l'idée absurde qui consiste à voir les cinq puissances dotées de l'arme atomique et membres permanents du Conseil de Sécurité chercher le démantèlement du programme nucléaire civil d'un pays en développement.

Quant à la "crédibilité des USA", elle mord la poussière une fois de plus, pas seulement au regard de Lula et d'Erdogan, mais à travers l'ensemble des pays en voie de développement - la véritable "communauté internationale" de chair et de sang, suite à cette interminable charade.

Frénésie de flagellation sur l'enrichissement

Ces derniers mois, la dominatrice Clinton a accusé sans relâche l'Iran de rejeter un accord similaire d'échange de l'uranium proposé par les Etats Unis en octobre dernier. Cela fait partie du script habituel en usage à Washington - se conduire de manière des plus sournoises, en insistant pour affirmer que les sanctions 'n'ont rien à voir" avec l'enrichissement de l'uranium alors que quelques semaines auparavant, l'accord sur l'enrichissement était le motif principal de nouvelles sanctions.

Et il y a pire. Comme Gareth Porter l'a révélé (Washington burns its bridges with Iran Asia Times Online, May21, 2010), Washington n'a proposé un accord sur l'échange de combustible en octobre dernier que parce qu'elle voulait dès le début contraindre l'Iran à accepter de suspendre toutes ses activités d'enrichissement de l'uranium (auxquelles elle a droit aux termes du TNP, (le Traité de Non Prolifération nucléaire). Mais cela n'avait jamais été annoncé publiquement.

L'Iran continuera de toute façon à produire de l'uranium enrichi à 20 % (le TNP l'autorise à le faire), et entamera la construction d'une nouvelle usine d'enrichissement d'à peu près la même taille que celle de Natanz. Cette nouvelle usine s'inscrit dans un plan de construction de dix nouvelles usines, annoncé l'an dernier par le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad. En outre, la centrale nucléaire construite à Bushehr par la Russie est en phase d'essais finaux et sera inaugurée cet été. Ce sont des faits irréversibles sur le terrain.

Saeed Jalili, Secrétaire du Conseil Suprême de la Sécurité Nationale de l'Iran, principal négociateur de facto côté iranien, pourrait bientôt rencontrer en Turquie Catherine Ashton, chef de la diplomatie de l'Union Européenne. Ashton, négociatrice désignée de la "communauté internationale" est aussi représentative de l'opinion publique mondiale que l'est un communiqué de presse de BP sur le déversement de pétrole dans le Golfe du Mexique. Notamment parce que l'Union Européenne est en voie de proclamer ses propres sanctions unilatérales contre l'Iran. Même chose au Congrès des Etats Unis comme l'a confirmé cette semaine le sénateur Chris Dodd, un Démocrate du Connecticut. Donc, en dehors du Conseil de Sécurité, l'Iran devra aussi faire face à des sanctions supplémentaires de la part d'une coalition de droite emmenée par les USA et composée de caniches européens déclinants.

La Chine et la Russie tirent un Sun Tzu

Sun Tzu, l'ancien général, stratège, philosophe et auteur de l'Art de la Guerre disait, "Permettez à votre ennemi de commettre ses propres erreurs, et ne les corrigez pas." La Chine et la Russie, toutes deux maîtresses en stratégie, appliquent cette maxime avec panache en ce qui concerne les Etats Unis.

Les 10 pages du projet actuel de résolution de l'ONU portant sanctions ont déjà été diluées à l'extrême par les membres permanents que sont la Russie et la Chine - et ce qu'il en reste de langage belliqueux sera encore démoli par des membres non permanents, le Brésil, la Turquie et le Liban (sans unanimité du Conseil de Sécurité, les nouvelles sanctions seront sans doute vidées de leur contenu concret). Washington n'a aucun moyen d'exercer une coercition sur le reste du Conseil de Sécurité pour qu'il endosse de nouvelles sanctions alors que l'Iran est effectivement engagée dans la voie de la coopération.

Comme il se présente, le nouveau train de sanctions touche aux importations d'armes conventionnelles par l'Iran, aux importations liées aux missiles balistiques, gèles les avoirs de hauts responsables du corps des Gardiens de la Révolution Islamique, et met en place des inspections des cargos dans les ports et les eaux internationales. La plupart de ces sanctions s'appliquent sur une base volontaire -ne sont pas contraignantes- et n'auront aucun impact sur le commerce mondial de gaz et de pétrole iraniens.

Pékin et Moscou ne sont pas exactement en train de lécher le fouet de Mme Clinton. Immédiatement après son annonce grandiloquente, l'ambassadeur de Chine à l'ONU, Li Badong, a affirmé que le projet de résolution "ne fermait pas les portes à la diplomatie," insistant encore une fois sur le "dialogue, la diplomatie et les négociations."

Et Sergei Lavrov, le ministre Russe des affaires étrangères a tenu à parler au téléphone à Mme Clinton pour soutenir une analyse plus approfondie de l'accord pour l'échange de combustible issu de la médiation du Brésil et de la Turquie. Lavrov a aussi insisté pour dire que la Russie n'appréciait pas du tout les sanctions supplémentaires unilatérales de l'Union Européenne et des Etats Unis.  Le ministre Russe des affaires étrangères a affirmé que des sanctions unilatérales comprendraient des mesures "de nature extra territoriale, allant au delà des décisions acceptées par la communauté internationale et en contradiction avec le principe de la règle du droit international consacré dans la charte de l'ONU."

Nous en sommes donc à une situation où un véritable accord pour l'échange de combustible accepté par l'Iran est sur la table à l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) au moment où une offensive pour des sanctions contre l'Iran est en cours à l'ONU. A qui la vraie "communauté internationale" va-t-elle faire confiance? Erdogan n'aurait pas pu le dire mieux, "Le moment est venu de débattre afin de savoir si nous croyons en la suprématie de la loi ou à la loi des dominants et de la supériorité..."
Surtout, ce que le monde en voie de développement observe, c'est le passé - les USA, la France, la Grande Bretagne, l'Allemagne - luttant contre l'avènement du futur - la Chine, l'Inde, le Brésil, la Turquie, l'Indonésie.
L'architecture mondiale de sécurité - contrôlée par un groupe de la peur  de gardiens occidentaux auto-désignés - est dans le coma. L'ouest "atlantiste" coule à la manière du Titanic. 

Nous voulons la guerre et nous la voulons maintenant

Seul le puissant lobby US pro guerre infinie est capable de présenter comme un désastre une première étape vers un accord complet sur le nucléaire avec l'Iran. Ce lobby comprend le largement discrédité, pro guerre en Irak, New York Times (la médiation turco-brésilienne "complique les discussions sur des sanctions") et Washington Post (L'Iran "crée l'illusion d'une avancée dans les négociations sur le nucléaire").

Pour le lobby belliciste, l'accord sur l'échange de combustible obtenu par la médiation du Brésil et de la Turquie est une "menace" parce qu'il entre en collision directe avec une attaque contre l'Iran (déclenchée par Israël puis entraînant les USA) et le "changement de régime" - un désir de Washington qui ne s'est jamais démenti.

Lors d'un récent discours au Council on Foreign relations à Montréal, le lumineux  Dr Zbigniew "à la conquête de l'Eurasie" Brzezinski a prévenu qu'un "réveil politique mondial" ainsi que des luttes intestines au sein des élites mondiales était quelque chose à redouter fortement. L'ancien conseiller à la sécurité des Etats Unis a remarqué que "pour la première fois dans toute l'histoire de l'humanité, le genre humain est politiquement éveillé - c'est une réalité complètement nouvelle - il n'en a pas été ainsi pendant la majeure partie de l'histoire des hommes."

Pour qui se prennent ces nouveaux venus sur la scène internationale comme le Brésil et la Turquie - pour oser déranger "notre" domination sur le monde? Et les Américains désinformés continuent à se poser la question "Pourquoi nous détestent-ils?" Parce que, entre autres raisons, fondamentalement unilatéraliste, Washington n'hésite pas à montrer du doigt même ses plus proches amis.

Une autre traduction de cet article ici

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