mardi 10 avril 2012

Syrie: la Turquie de retour dans son rôle de pièce du système hégémonique mondial


On s’est interrogé, entre autres sur ce blog, sur les orientations diplomatiques de la Turquie.
En effet, après l’agression sioniste contre Gaza fin 2008 début 2009 puis après l’interception sanglante de la flottille humanitaire pour Gaza, les prises de position du gouvernement d’Ankara avaient suscité beaucoup d’attentes.
Ces attentes s’étaient concrétisées par un certain nombre de mesures prises par Ankara à l’encontre de l’Etat sioniste, sans cependant aller vers la rupture complète. Par ailleurs, la Turquie s’attelait à jouer un rôle médiateur entre l’Iran et les puissances occidentales qui lui contestent son droit à l’exploitation pacifique de l’énergie nucléaire. A cette époque, la Turquie s’était d’ailleurs rapprochée du BRIC, ce club qui réunit un certain nombre de pays « émergents » : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (l’adjonction de l’Afrique du Sud entraînera une modification de l’acronyme en BRICS).
Ce rapprochement semblait correspondre à une nécessité stratégique de la Turquie en recherche d’une zone d’appui pour son expansion économique au Proche Orient et de bonnes relations avec le voisin iranien qui se trouve aussi être un important fournisseur de gaz et de pétrole pour la Turquie.

Le prétendu «printemps arabe» en a décidé autrement car il a été l’occasion d’un retour en force des Etats Unis et de l’Occident dans la région. Epaulées par l’Arabie Saoudite et le Qatar, les puissances liguées dans l’OTAN ont d’abord organisé la transition politique en Tunisie et en Egypte, puis éliminé dans le sang le régime libyen.

Après un temps d’hésitation, le gouvernement turc a considéré qu’il avait là une belle carte à jouer susceptible de satisfaire à la fois ses intérêts économiques et de renforcer le caractère stratégique de sa vieille alliance avec Washington.
Et c’est décidément en tant qu’agent de Washington que se comportent désormais le premier ministre Turc Recep Teyyip Erdogan et son ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Cet aspect est tout à fait apparent dans la gestion de la crise syrienne où le gouvernement turc a brutalement tourné le dos au régime syrien et encouragé la sédition dans ce pays.

Or, la Turquie aurait certainement pu jouer un véritable rôle de médiation, une médiation que les Occidentaux et leurs alliés wahabites se sont cependant ingéniés à rendre impossible.
Pis, la Turquie cherche maintenant la confrontation directe avec le gouvernement syrien au prétexte d’un incident frontalier qui tombe trop à point nommé pour ne pas être suspect (notons l’excellent timing entre MM. Erdogan et Annan). En passant, il faut quand même remarquer que la frontière syro-turque n’a jamais été fermée !

M. Erdogan parle maintenant ouvertement de zones tampons pour protéger les civils, une éventualité que les autorités turques rejetaient il y a peu de temps encore.

Preuve que les choix ne se font pas à Ankara mais à Washington et dans les couloirs de l’OTAN à Bruxelles
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Reste que ces choix ne font pas l’unanimité dans la classe politique turque et sans doute dans le gouvernement turc lui-même et que M. Erdogan et son pays pourraient payer cher une aventure militaire en Syrie.
Non pas que la Turquie et ses partenaires de l’OTAN ne puissent pas vaincre l’armée syrienne. Mais si on voit mal l’armée syrienne tenir en échec durablement l’OTAN, on peut quand même supposer que les choses ne se passeraient pas aussi simplement qu’en Libye et qu’une éventuelle implication militaire turque plus directe ne serait pas sans conséquences pour la place de la Turquie dans le paysage régional, sans parler des répercussions en Turquie même où une l’ingérence dans les affaires du pays voisin ne fait pas vraiment l’unanimité.

Et si on en croit l’article que je vous propose, la Turquie a peut-être manqué une occasion de participer activement aux affaires du monde en jouant autre chose que le rôle de supplétif des Etats unis et des monarchies du Golfe, une pièce du système hégémonique mondial piloté depuis Washington.


par Aydin Albayrak, Zaman (Turquie) 8 avril 2012 traduit de l'anglais par Djazaïri

L’économie turque connaît une croissance rapide qui avait amené nombre d’observateurs à penser qu’elle se traduirait par une invitation à rejoindre les quatre plus importants marchés émergents dans un club très fermé. Cette invitation ne s’est pas concrétisée.
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La croissance de l’économie turque a été de 8,5 % en 2011 et de 8,9 % en 2010. Ces chiffres placent la Turquie devant n’importe quel autre pays de l’Union Européenne et de l’Organisation pour le Développement Economique en Europe (OCDE) en termes de croissance économique ces deux dernières années, observait le 2 avril Ali Babacan, vice premier ministre chargé de l’économie. Mais c’est l’Afrique du Sud, et pas la Turquie, qui a été conviée à devenir membre du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). Le BRIC est un acronyme forgé il y a dix ans par Jim O’Neill, un cadre de Goldman Sachs, pour regrouper les plus importants marchés émergents de l’économie mondiale. On considère que le BRICS, que O’Neill préfère maintenant appeler « marchés en croissance » pour les distinguer de marchés en moindre émergence, est appelé à domine de plus en plus l’économie mondiale. Leurs économies deviendront en effet les plus puissantes vers 2050, soutient O’Neill. Cette prédiction n’est pas sans fondement vu que leurs Produits Intérieurs Bruts (PIB) sont passés de 3 trilliards de dollars à 13,5 trillards ces dix dernières années.

Donc, en tant qu’économie émergente avec un poids politique, ayant connu une croissance économique moyenne annuelle de 5,4 % ces dix dernières années, la Turquie était considérée comme certains comme un candidat très probable à une entrée dans le club BRIC. Klaus Schwab, le fondateur du Forum Economique Mondial, avait proposé il y a quelques années sue la Turquie, avec sa compétitivité en constante amélioration, soit également incluse dans le BRIC, ce qui aurait donné l’acronyme T-BRIC. Mais avec l’admission dans le groupe de l’Afrique du Sud en 2011, l’acronyme constitué des initiales de chaque pays est maintenant BRICS [S pour South Africa].

L’économie n’est pas le seul critère pour être invité dans le club BRICS selon certains analystes qui pensent que la politique internationale est aussi prise en compte. Selon le Dr Süleyman Yaşar, professeur d’économie à l’université d’Istanbul et éditorialiste pour le journal Sabah, on s’attendait à ce que la Turquie soit admise dans le groupe avant l’Afrique du Sud dont l’économie est moins importante et qui a un taux de chômage de 20 %. Mais Yaşar a observé, dans un entretien accordé à Sunday Zaman, qu’aucun pays du BRIC n’est membre de l’OTAN, alors que la Turquie en fait partie et est en outre, liée à l’Europe par une union douanière et que le pays est un proche allié des Etats Unis dans la région.

Ce sont précisément ces points qui semblent faire obstacle à une admission de la Turquie dans le BRICS,” a-t-il commenté.
L’argument semble être solide. Le PIB de la Turquie était de 772,2 milliards de dollars en 2011, et de 731 milliards en 2010, tandis que celui de l’Afrique du Sud approchait de 430 milliards de dollars l’an dernier, et de 364 milliards l’année d’avant. L’économie turque se situe au 17ème rang mondial et celle de l’Afrique du Sud au 27ème rang. Et selon une étude de l’économiste Esen Çağlar de l’ Economic Policy Research Foundation of Turkey (TEPAV), la Turquie pourrait bondir à la 13ème place des économies mondiales si elle réussissait à accroître le taux d’activité des femmes et à augmenter la productivité du travail de 33 %. Le BRICS n’a pas choisi non plus d’inviter la Corée du Sud et le Mexique, deux géants parmi les marchés émergeants avec de très bonnes perspectives économiques, car la Corée du Sud est un proche allié des Etats Unis et que le Mexique est associé aux USA dans NAFTA.

Il est significatif de constater qu’aucun des pays du BRICS, qui ensemble représentent le quart de la richesse mondiale, n’est étroitement associé aux “maîtres actuels » du monde. En fait, au quatrième sommet du BRICS qui a réuni les chefs d’Etat en Inde le 29 mars, le BRICS a non seulement blâmé l’Occident pour la crise financière que subit le monde, et appelé à des réformes pour des institutions internationales comme le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale et le Conseil de Sécurité des Nations Unies, mais il a aussi souligné que le dialogue était le seul moyen de résoudre la crise en Syrie et avec l’Iran. Il est donc évident que la position politique dy BRICS n’est pas en accord avec celle de l’Occident et que c’est au côté de l’occident que la Turquie choisit généralement d’agir.

Ali Rıza Sandalcılar, professeur d’économie à l’université Recep Tayyip Erdoğan de Rize partage également l’opinion qu’un choix politique est pris en compte. «le point de vue général est que le BRICS renvoie à des performances économiques, mais ce n’est en réalité pas le cas, » a-t-il dit au Sunday Zaman. « Au tout début, il se peut que les considérations étaient purement économiques, mais maintenant les orientations prises par le BRICS ont aussi des motivations politiques.»

C’est le professeur Birol Akgün, spécialiste des relations internationales à l’ Institute of Strategic Thinking qui a sans doute le mieux décrit le dilemme de la Turquie à l’égard du BRICS. « Quoique la Turquie cherche à impulser un changement dans certaines institutions internationales importantes comme le FMI, pour avoir une meilleure représentation des pays en développement, et a une communauté d’intérêts avec les pays du BRICS, » explique Akgün, « elle est bien intégrée dans les grandes institutions du monde occidental [NdT : Conseil de l’Europe, OTAN, OCDE]. C’est précisément pour cette raison, considère Akgïn, que ce n’est pas si facile pour la Turquie de devenir membre du BRICS. « Pour l’heure, la Turquie pourrait être impliquée dans le BRICS à titre consultatif, mais n’a pas besoin d’en faire partie, » a-t-il déclaré au Sunday Zaman. 

La Turquie est perçue comme une pièce du système hégémonique occidental, et quand vous faites quelque chose pour attirer la Turquie de votre côté, vous ébranlez l’équilibre mondial des forces. Observant que le leitmotiv de la Chine est harmonie et développement, « la Chine se garderait bien de déranger qui que ce soit en invitant la Turquie à rejoindre le BRICS, » explique Akgün.

Les cinq pays du BRICS représentent 45 % de la population mondiale, un quart des terres émergées et un quart de l’économie mondiale. Entre 2008 et 2010, les pays du BRICS qui ont traversé la crise financière beaucoup mieux que le monde développé, ont, par leur PIB, contribué à 50 % de la croissance économique mondiale. Le BRICS veut faire passer les échanges commerciaux entre membres de 320 milliards à 500 milliards de dollars vers 2015, et des indications tendent à renforcer les affirmations selon lesquelles le BRICS représente l’avenir de l’économie au moment où les pays développés sont en récession du fait de la crise économique.

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