Les nouvelles sur les relations entre la minorité copte et la majorité musulmane en Egypte ne sont pas bonnes.
Les tensions religieuses ont en effet été exacerbées sous les présidences Anouar es Sadate et surtout Hosni Moubarak dans le souci de détourner l’attention de l’opinion des problèmes économiques et politiques. Il n’est cependant pas du tout sûr que le gouvernement des Frères Musulmans soit en mesure d’enrayer de phénomène qui a aussi maintenant sa vie propre.
J’y vois deux raisons. La première est que les ennemis de la confrérie ont tout intérêt à attiser les passions sectaires. La deuxième est que certains éléments de la confrérie sont également animés par une volonté d’en découdre avec les coptes et que ce n’est pas l’exil dans les pétromonarchies fondamentalistes qui a pu contribuer à les calmer sur ce plan.
Pourtant les coptes sont la plus importante minorité religieuse en Egypte et, comme le nom même de leur église l’indique, ce sont des égyptiens dont la foi est antérieure à l’arabisation et à l’islamisation de l’Egypte.
Je ne connais pas assez l’Egypte pour identifier les interrelations du quotidien, dans la culture et l’éthos populaires entre église copte et Islam, sans parler de ce qui survit de l’ancienne religion du temps des pharaons.
Mon propos n’est pas ici de me placer du point de vue de telle ou telle doctrine religieuse, mais simplement d’inviter à s’intéresser à la réalité de la vie quotidienne d’un peuple qui appartient à une civilisation plurimillénaire avec toutes ses composantes, arabe et musulmane, mais aussi copte et tout simplement égyptienne.
L’article du journal El Mundo que je vous propose en est une illustration.
Le ‘djihad’ contre Satan se mène dans les églises
Par Francisco Carrión, El Mundo (Espagne) 6 avril 2013 traduit de l’espagnol par Djazaïri
Le Caire – On dit que la foi déplace les montagnes. Les chrétiens égyptiens prétendent que c’est leur ferveur qui a fait se soulever Moqattam, une colline de terre sèche et craquelée, vers l’extrémité sud-est du Caire. Mille ans après un miracle si extraordinaire, une procession de ‘possédés par le démon’ avance vers les contreforts de la colline pour se libérer de Lucifer.
Creusée dans la roche, l’église de Saint Siméon rassemble chaque jeudi plusieurs milliers de fidèles chrétiens et musulmans avides de rédemption. La route qui conduit au purgatoire passe par le quartier où les chiffonniers mènent une existence infernale. Dans ses rues poussiéreuses et sombres, les rats se cachent au milieu de tonnes de déchets entassés devant les portes des maisons.
Le père Samaan a construit ce lieu de culte dans les années 1990 et cepuis lors, il livre entre ses murs sa guerre particulière contre les ravages de Satan. La cérémonie hebdomadaire est sue succession de cantiques et de prières fréquemment interrompues par les cris effrayants des possédés qui peuplent les bancs au premier rang. «Le curé a dans son corps l’esprit de Jésus Christ. Je suis venue une fois parce que j’avais mal aux yeux et il m’a soignée avec de l’huile,» explique à El Mundo Oum Ashraf, une chrétienne qui traîne son corps usé à 57 ans.
Avec sa soutane noire et sa longue barbe, «baba» Samaan – comme l’appelle son bataillon d’adeptes – est un des exorcistes les plus réputés de ce pays arabe. Attirés par une promesse de guérison, les pèlerins parcourent des centaines de kilomètres. Il est même arrivé qu’une fois un musulman fasse le voyage depuis la Syrie en quête de salut pour sa fille handicapée. Selon ses fidèles, le prêtre résout chaque année des centaines de cas de possession par le démon.
Les symptômes» de la possession
On assure que la présence du malin se manifeste au travers de douleurs prolongées à la poitrine ou dans le dos et par certaines maladies graves. Le manque d’appétit sexuel chez les femmes mariées est également perçu comme un symptôme du fait que, sans le savoir, ces femmes entretiennent des relations extraconjugales avec Lucifer.
«Je guérirai tous ceux qui sont possédés par Satan,» assure au microphone le septuagénaire Samaan lorsque, à la fin d’une messe de deux heures en prélude aux exorcismes. «Quiconque touchera une goutte de cette eau peut être certain que Jésus le guérira.»
La voix rauque du vieillard, ses nombreuses plaisanteries qui provoquent des sourires dans le public, installent une attente tendue dans l’église. L’odeur de l’encens reste suspendue dans l’atmosphère quand le prêtre abandonne l’autel pour s’approcher, escorté par une armée de jeunes volontaires, des travées où se tordent ceux qui sont sous l’emprise de Belzébuth.
Une jeune femme musulmane, avec les cheveux recouverts du «hidjab» (voile), est une des premières personnes souffrantes que Samaan asperge d’eau bénite. «Au nom de Jésus Christ, je t’ordonne de sortir,» lance-t-il tandis que des spasmes secouent le corps de la jeune fille et que des cris de frayeur se propagent chez ceux qui attendent leur tour. «Sors de ce corps,» insiste-t-il armé d’une petite croix en bois.
Quelques secondes plus tard, la lutte s’arrête. La terreur disparaît soudainement du visage. La tête cesse son agitation fébrile. Les extrémités arrêtent de marteler le sol. Et le corps fébrile de la jeune femme, qui n’oppose plus aucune résistance, s’abandonne dans les bras du curé. Les acclamations de joie résonnent sur la pierre quand le jeune femme, trempée et éperdue, sort de la transe et se lève avec l’aide de ses amies.
Samaan trace avec un stylo des croix sur le front et la paume des mains et fend la foule pour se lancer dans le espiritu suivant. L’efficacité du traitement n’est pas toujours aussi rapide. Si Satan s’accroche, l’exorciste frappe et crache sur le malade jusqu’à ce que l’ennemi s’enfuie et que la personne – sous l’effet des coups et de la salive – s’évanouisse ou vomisse.
Quand elles ont pu reprendre leur souffle, les personnes purifiées se rappellent rarement leurs quelques secondes d’agonie. Celles qui disent s’en souvenir parlent de langues de feu qui les dévoraient. «Je suis malade. Je suis allée voir de nombreux médecins sans ressentir le moindre soulagement. Mes amis m’ont conseillée de venir parce qu’on m’a fait de la magie noire,» raconte Manal Adl Falil, une musulmane âgée de 35 ans qui vient de la province de Menufiya dans la région fertile du delta du Nil.
La sorcellerie «habite» aussi le corps de la musulmane Azza, une mère de familel âgée de 28 ans qui habite la cité méditerranéenne d’Alexandrie. «Elle est possédée par le démon depuis six années. Elle crie tout le temps et quand elel écoute réciter le Coran, elle se plaint de douleurs au niveau du cœur et elle s’effondre,» assure sa fille Zeinab. «C’est la première fois que nous entrons dans une église parce qu’à la mosqu »e, ils n’ont pas pu la guérir.»
Des siècles de péché
Le «djihad» (guerre sainte des musulmans) contre le Léviathan se livre à coups de messes et de versets de la Bible. La puissance fulgurante du rituel de la minorité chrétienne – qui représente 10 % de la population égyptienne – séduit depuis des siècles ceux qui croient en Allah. C’est ainsi que la tradition raconte qu’au 19ème siècle, le gouverneur Mohamed Ali, père de l’Egypte moderne , avait eu recours à un exorciste chrétien pour chasser le démon de l’âme de sa fille Zohra.
«Les exorcismes sont nécessaires parce qu’à chaque fois on commet de nouveaux péchés, ce qui a pour conséquence de déclencher la maladie,» explique à notre journal un autre exorciste, Makari Yunan. Licencié en théologie et en pédagogie, Yunan déclare chaque vendredi la guerre à Lucifer depuis la vieille cathédrale copte du Caire.
La rue égyptienne, sujette à l’insomnie, ne se repose jamais et le prêtre croule sous les demandes d’expulsion du diable qui habite des gens peu dévots, qui professent les «péchés de l’argent ou de la chair comme l’adultère» et vénèrent «la passion de l’amour propre, l’ambition pour le pouvoir et l’égoïsme.» Pour «s’infiltrer,» ils disent que l’antéchrist profite des moments de vulnérabilité : l’obscurité, la visite de certaine maisons, les chutes au sol ou quand on va dans la salle de bain.
Des dizaines de vidéos attestent du «don divin» dont Unan a commencé à se servir en 1976 et grâce auquel il a parcouru la planète. «Ce n’est pas moi qui guérit mais Jésus Christ. Personne ne peut prendre le dessus sur le diable à part Jésus Christ,» précise-t-il avant de gloser sur un ses derniers ‘miracles’. Vendredi dernier deux femmes atteintes d’un cancer et une autre de paralysie ont dit avoir été guéries,» ajoute le prêtre.
La Bible comme le Coran mentionnent les «génies ifrit» (esprits du diable) et les cheikhs pratiquent aussi l’exorcisme. Mais certains de leurs fidèles finissent par échouer dans les églises, fascinés par la lumineuse cérémonie copte et tourmentés par leurs pèlerinages infructueux auprès de prédicateurs ou de guérisseurs.
«Toute personne, quelle que soit son appartenance sociale ou religieuse et quelle que soit sa maladie est bien accueillie. Nos jours sont comme la vapeur d’eau. Ils se vivent fugacement et disparaissent. Il faut accepter Jésus Christ avant l’arrivée de la fin des temps,» conclut le prêtre.
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