dimanche 2 septembre 2012

Une première: Robert Fisk autorisé par le gouvernement syrien à rencontrer des prisonniers faits par l'armée


Message liminaire à Louise : j’espère qu’il n’a pas déjà été traduit !

Le journaliste Anglais Robert Fisk a eu la permission de rencontrer des détenus dans une prison syrienne.
En soi, c’est un évènement qui en dit long sur le souhait des autorités syriennes d’établir des canaux de communication avec l’opinion occidentale. Et le fait que ce soit Robert Fisk, un journaliste très connu qui n’a jamais caché son antipathie pour le régime de Damas, qui ait obtenu ce privilège exceptionnel pour un journaliste est très significatif.

Bien sûr, Robert Fisk n’est pas dupe de ce que lui racontent les détenus qu’il a rencontrés (quatre alors qu’on lui proposait d’en rencontrer encore d’autres) mais on peut néanmoins retenir certaines choses.

Par exemple que les détenus avec qui il a pu parler, s’ils ont sans doute fait l’objet de mauvais traitements sur une durée plus ou moins longue (ou courte) ne semblent pas avoir été torturés. Ce qui ne signifie bien sûr pas que d’autres prisonniers n’ont pas fait et ne continuent pas à faire l’objet de sévices.

Et que les prisonniers ont pu être entendus, sur requête du journaliste, hors la présence du personnel pénitentiaire, l’hypothèse d’un dispositif d’écoute étant exclue puisque les entretiens se sont déroulés dans le bureau du directeur de la prison qui ne s’attendait pas à en être «chassé.»

Et puis, j’ai été personnellement bien intéressé par le cas de ce Franco-Algérien rencontré par Robert Fisk. Nous voyons là encore quelqu’un en situation professionnelle précaire, mais avec femme et enfants, qui plaque tout pour aller guerroyer sur le chemin de Dieu en Syrie.

Il est vrai que ces grenouilles de bassin à ablutions ont souvent l’habitude de vivre d’aides sociales ou carrément de se reposer sur les revenus de leurs épouses.

Pas en Palestine le djihad? lui demande ingénument le journaliste.
Eh hon, il paraît que c’est un peu compliqué de passer la frontière pour entrer en Palestine occupée.

Il reste que ce quadragénaire, arrivé en France si on comprend bien, à l’âge adulte, a été soldat dans l’armée française.
Il a donc tout à fait le profil des pseudo-djihadistes qui travaillent avec les services secrets pour des motivations qui tiennent à un cocktail qui mêle des convictions sans doute rudimentaires à un espoir de gros gain financier.

En langage laïco-assimilationniste, on appelle ce genre de personnes des mercenaires.

La seule question qui se pose est l’identité de son employeur : les services français ? ceux du Qatar ? une fondation wahhabite ?

Un journaliste occidental a obtenu pour la première fois l’accès aux prisonniers détenus par l’armée d’Assad.
Par Robert Fisk, The Independent (UK) 2 septembre 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

Ils sont entrés dans la pièce un par un, la tête basse et les mains croisées sur le devant, comme s’ils avaient l’habitude d’être menottés. Dans une des prisons militaires les plus redoutées de Syrie, ils ont raconté l’histoire extraordinaire de l’aide qu’ils ont apporté à l’opposition armée au régime de Bachar al-Assad. L’un était un Franc-Algérien d’une quarantaine d’années, un homme de petite taille,  dos voûté et longue barbe ; un autre était Turc, avec ce qui avait l’air d’être un œil au beurre noir, qui a parlé de de son entraînement dans un camp taliban à la frontière pakistano-afghane. Un prisonnier Syrien a décrit la manière dont il a aidé deux kamikazes à commettre un attentat à l’explosif meurtrier au centre de Damas, tandis qu’un mufti a parlé de ses vaines tentatives pour unifier les factions en guerre contre le régime syrien.

Compte tenu du caractère sans précédent de notre accès  à une prison syrienne de haute sécurité, nos rencontres avec ces quatre hommes – leurs geôliers avaient d’autres détenus à notre disposition pour une interview – ont été une expérience glaçante qui donne à réfléchir. Deux d’entre eux ont fait clairement allusion au traitement brutal qu’ils ont subi immédiatement après leur arrestation. Il a fallu dix minutes pour persuader le gouverneur de la prison militaire, un général entre deux âges aux cheveux grisonnants  dans son treillis militaire -  et son officier du renseignement en bras de chemise de quitter la pièce pendant nos conversations. Nous avons refusé des demandes ultérieures des autorités syriennes pour accéder aux enregistrements des entretiens.

Chose incroyable, ils ont quitté leur bureau de sorte à ce que nous puissions être seuls pour parler avec leurs captifs.

Deux de ces hommes ont parlé de leur recrutement pas des prédicateurs islamistes, un autre de la façon dont les chaînes satellitaires arabes l’ont convaincu de se rendre en Syrie pour faire le djihad. Ce sont les récits que les autorités syriennes voulaient évidemment que nous entendions, mais les prisonniers – qui ont dû dire la même chose lors de leurs interrogatoires – étaient vraiment désireux de nous parler, ne serait-ce que pour rencontrer des occidentaux et nous alerter de leur présence après des mois de captivité. Le Franco-Algérien a englouti la boîte de poulet-frites que nous lui avions donnée. Un des Syriens avait reconnu qu’il était maintenu constamment en confinement solitaire.

Nous avons promis aux quatre détenus que nous donnerions leurs noms et les précisions utiles à la Croix Rouge Internationale.

Mohamed Amin Ali al-Abdullah, 26 ans, était en quatrième année de faculté de médecine dans la ville de Deir Ez-Zor, une ville du nord de la Syrie. Fils d’une «simple» famille paysanne de Lattaquié, il était assis dans le fauteuil du gouverneur de la prison vêtu d’une chemise à rayures bleus et d’un pantalon propres – qui lui ont été donnés, dit-il, par les autorités – et nous a dit avoir rencontré des «problèmes psychologiques» pendant sa deuxième année d’études. Il a fondu en larmes à deux reprises pendant notre conversation. Il a expliqué avoir suivi une prescription médicale mais avoir aussi accepté l’aide d’un «cheikh» qui lui avait suggéré de lire certains passages du Coran. « C’était une manière de pénétrer dans ma personnalité, et de temps en temps, il me donnait des disques sur la cause salafiste, surtout des discours de cheikhs saoudiens comme Ibn Baz et Ibn Ottaimin. Par la suite, il m’avait donné des vidéos qui rejetaient toutes les autres sectes de l’Islam et qui attaquaient les soufis et les chiites. Le «cheikh» avait été incarcéré pendant un an mais il trjoignit plus tard Mohamed comme colocataire à Damas. «Il me montrait alors des vidéos d’opérations de djihadistes contre l’OTAN et les Américains en Afghanistan.»

Quand le soulèvement débuta en Syrie l’an dernier, Mohamed explique que le «cheikh» et deux autres hommes lui avaient conseillé de participer à des manifestations contre le régime. «Quand les prières du vendredi étaient terminées, l’un d’entre nous se plaçait au milieu de la foule pour crier des slogans au sujet de l’injustice et de la mauvaise situation ; les quatre autres se mettaient dans les coins et criaient 'Allahu Akbar' [Dieu es grand] pour encourager la foule à faire de même.»

Vers cette époque, explique Mohamed, il a été présenté à un salafiste nommé "Al-Hajer" qui lui avait demandé son aide pour un soutien logistique et médical à son mouvement – cacher des hommes recherchés par les autorités et trouver des refuges sûrs.» Al-Hajer avait commencé » à fréquenter le domicile de Mohamed, «et il m’avait proposé une forme [de rituel] d’allégeance, vous serrez les mains de cet homme et vous lui dites que vous le reconnaissez comme un chef auquel vous allez obéir, et que vous suivrez le djihad dans jamais lui poser de question.»  Al-hajer avait ramené des étrangers au domicile de Mohamed.
«Ils m’ont mis dans leur cercle. J’avais laissé ma raison ‘ailleurs’ à cette époque et puis j’ai compris que ce groupe faisait partie d’al Qaïda. Le 10 avril de cette année, l’un d’entre eux m’a demandé d’aller avec lui dans une voiture. Je suis allé dans un endroit où j’ai vu des cylindres de 2,5 m de hauteur, avec des compartiments pour les remplir d’explosifs.
Ils étaient une dizaine là-dedans. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait appel à moi – peut-être pour m’amener à m’impliquer. Il y avait un palestinien et un Jordanien qui étaient les auteurs de l’attentat suicide et trois Irakiens. Nous étions partis en voiture devant les deux kamikazes. Je ne savais pas où ils allaient se faire exploser, mais 15 minutes après être rentré chez moi il y a eu une très forte explosion. J’ai compris la catastrophe quand j’ai regardé la télévision et que j’ai vu que la bombe avait explosé dans une rue bondée dans le quartier de Bazzaz ; il y avait des maisons démolies par les bombes et toutes les victimes étaient des gens de la classe moyenne et des pauvres. J’étais tellement désolé.

Par la suite, un des salafistes demandera à Mohamed d’aller voir sa mère à l’hôpital – parce qu’il était docteur et que le salafiste aurait été reconnu – mais les services secrets syriens l’attendaient. «Je leur ai dit très franchement : ‘je suis content d’être arrêté – c’est mieux que de participer à une telle organisation ou d’avoir un rôle dans d’autres effusions de sang.’ Je ne sais pas commenet j’ai pu me retrouver avec ces gens. Je me suis mis moi-même dans une ’benne à  ordures.’ Maintenant, je veux écrire un livre pour dire aux gens de qui m’est arrivé pour qu’ils ne fassent pas comme moi. Mais on ne m’a pas donné de stylo et de papier.»
Mohamed a vu son père, un instituteur, sa mère et une de ses sœurs il y a eux mois. Nous lui avons demandé s’il avait été maltraité. «Un seul jour, » a-t-il dit. «Ce n’était pas de la torture.» Nous lui avons demandé pourquoi il y avait deux marques foncées sur un de ses poignets. «J’ai glissé aux toilettes,» a-t-il dit.

Jamel Amer al-Khodoud [un nom qui ne sonne pas algérien, sans doute un pseudo, NdT], un Algérien dont la femme et les enfants vivent à Marseill et qui a servi dans le 1errégiment de transport de l’armée française, est un homme de 48 ans plus discret et son histoire assez pathétique de la quête du djihad – encouragée par les informations d’al Jazeera sur la souffrance des Musulmans en Syrie, dit-il – qui laisse un homme quelque peu désillusionné. Né à Blida, il avait émigré en France mais, quoique parlant le français couramment, il n’avait qu’une vie de petits boulots et de chômage puis, «après une longue hésitation, j’ai décidé d’aller en Turquie pour aider les réfugiés Syriens.»

Il était, dit-il, un «salafiste modéré, » mais dans les camps en Turquie, il a rencontré un cheikh Libyen, de nombreux Tunisiens et un imam Yémenite « qui m’ont donné des leçons sur le djihad.» Il a franchi la frontière avec un fusil de chasse et, avec d’autres hommes, il a attaqué des barrages de l’armée et dormi dans des maisons abandonnées et dans une mosquée dans les montagnes au-dessus de Lattaquié. Entraîné avec de l’armement français, il n’avait jamais tiré avec un Kalashnikov – on lui avait permis de tirer trois cartouches sur une pierre pour d’entraîner, dit-il – mais après quelques semaines de misère où il a découvert que le djihad en Syrie n’était pas pour lui, il a résolu de retourner en Turquie pour rentrer en France. «Ce que j’avais vu à lé télévision, je ne l’avais pas vu en Syrie. »
Capturé par des villageois soupçonneux, il a été emmené dans une ville (probablement Alep) et puis transféré par hélicoptère à Damas. Pourquoi n’a-t-il pas choisi la Palestine plutôt que la Syrie pour son djihad, lui avons-nous demandé. «Un ami palestinien m’avait dit que son peuple avait plus besoin d’argent que d’hommes,» a-t-il répondu.  «En plus, c’est une frontière difficile à  franchir.» Quand je lui ai demandé s’il avait été maltraité en captivité, il a répondu : «Dieu merci, je vais bien.» A la même question il a fait la même réponse.

Un imam Syrien – de la mosquée Khadija al-Khobra à Damas – au visage sombre et émacié, nous a parlé de sa rencontre cette année à damas avec quatre «groupes de militants» qui avaient des objectifs religieux et nationalistes différents et de ses tentatives pour les unifier avant de décougvrir que c’étaient des voleurs, des assassins, des violeurs plutôt que des djihadistes. C’est du moins ce que dit cheikh Ahmed Ghalibo. Emaillant la conversation avec les noms de ces hommes ; le cheikh a expliqué qu’il avait été atterré par la façon dont ces groupes avaient liquidé ceux qui étaient en désaccord avec eux, parfois sur la base de simples soupçons, «découpant les cadavres, les décapitant et les jetant dans les égouts. Il a dit avoir été témoin de sept meurtres de ce genre ; de fait, faire disparaître les corps dans les égouts est quelque chose de courant à Damas.
Sachant qu’il était mufti de la mosquée al-Khobra et apparemment au courant qu’il avait rencontré les quatre dirigeants extrémistes, le police syrienne a arrêté Ahmed Ghalibo le 25 avril de cette année. Il nous a dit avoir fait des aveux complets parce que «ces militants ne sont pas une ‘Armée Libre’», et il a inisté pour dire qu’il a été très bien traité par ceux qui l’ont interrogé, il a condamné l’émir du Qatar pour avoir ourdi la révolution en Syrie et affirmé qu’il pensait qu’il serait relâché «parce que je me suis repenti.»  

Cuma Öztürk vient de la ville de Gaziantep au sud-est de la Turquie, et il dit être entré en Syrie après s’être entraîné plusieurs mois dans un camp taliban à la frontière pakistano-afghane. Il ne sait parler ni pachto, ni arabe mais il a laissé derrière lui sa femme, Mayuda, enceinte, et leur fille âgée de trois ans à  Gaziantep pour aller à Damas. Il ne parlait que vaguement de djihad mais explique qu’on lui avait demandé de mettre en place une route de «contrebande » entre la Turquie et la capitale syrienne qui aurait aussi permis de faire passer des hommes à travers la frontière. Il a été arrêté alors qu’il se trouvait à Alep pour les obsèques de sa belle-mère. «Je regrette tout ce qui m’est arrivé, » dit-il avec tristesse ; il est bien traité «maintenant.» Il nous a demandé de faire connaître sa présence en prison aux autorités turques.

Quand nos quatre heures trente d’entretien se sont achevées, nous avons appelé le gouverneur de la prison à permettre aux détenus d’avoir plus de contacts avec leurs familles, une requête que son sourire fatigué nous a donné à comprendre comme n’étant pas de son ressort. Nous avons aussi demandé un stylo et du papier pour Mohamed al-Abdullah et nous avons parlé – sans succès cependant – de lé nécessité d’appliquer le droit international aux détenus. 

Les prisonniers ont serré la main du gouverneur de la prison de manière assez amicale, même si peu de sentiments amènes semblaient passer entre eux et l’homme des services secrets en bras de chemise. Chaque prisonnier est retourné dans sa cellule dans la même posture que celle qu’il avait à l’arrivée dans le bureau du gouverneur – tête basse, les yeux regardant le sol.

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