Un témoignage édifiant. Sans
commentaire.
Momina Bibi était une sage-femme et
une grand-mère du Waziristan âgée e 67 ans Pourtant, le président
Obama nous dit que les drones visent des terroristes
par Rafiq ur Rehman, The Guardian (UK)
25 octobre 2013 traduit de l'anglais par Djazaïri
Habitants du Waziristan manifestant contre les frappes de drones devant le parlement pakistanais à Islamabad |
La dernière fois que j'ai vu ma mère,
Momina Bibi, c'était le soir d'avant l'Aïd al-Adha. Elle préparait
les vêtements de mes enfants et leur montrait comment on prépare le
sewaiyaan, un dessert traditionnel à base de lait. Elle disait
toujours: la joie de l'Aïd est l'excitation qu'il procure aux
enfants.
Sewaiyaan est un dessert traditionnel du sous-continent indien |
L'année dernière, elle n'a pas pu
vivre cette expérience. Le lendemain, le 24 octobre 2012, elle était
morte, tuée par le feu tiré par un drone américain alors qu'elle
s'affairait à son jardin.
Personne ne m'a jamais dit pourquoi ma
mère avait été visée ce jour là. La presse a rapporté que
l'attaque visait une voiture, mais il n'y a pas de route à côté de
chez ma mère. Certains ont dit que l'attaque visait une maison. Mais
les missiles ont touché un terrain voisin, pas une maison. Une seule
personne avait été tuée – une femme âgée de 67 ans et neuf
fois grand-mère.
Mes trois enfants – Zubair, 13 ans,
Nabila, 9 ans et Asma, 3 ans – jouaient non loin quand leur
grand-mère a été tuée. Tous ont été blessés et emmenés
d'urgence à l'hôpital. Ces enfants étaient-ils les «militants»
dont parlaient les dépêches d'agences de presse? Ou peut-être,
étaient-ce les enfants de mon frère? Eux aussi étaient sur place.
Ils sont âgés de 3ans, 7 ans, 12 ans, 14 ans, 15 ans et 17 ans. Les
quatre plus grands venaient juste de rentrer de l'école, peu de
temps avant que les missiles frappent.
Mais les Etats Unis et leurs citoyens
ne savent probablement pas ça. Personne ne nous a jamais demandé
qui avait été tué ou blessé ce jour là. Ni les Etats Unis, ni
mon propre gouvernement. Personne n'est venu pour enquêter et
personne n'a été tenu pour responsable. Dit simplement, personne ne
semble s'en soucier.
Je m'en soucie par contre, moi. Tout
comme ma famille et mon village. Nous voulons comprendre pourquoi une
grand-mère âgée de 67 ans représentait une menace pour un des
pays les plus puissants au monde. Nous voulons comprendre comment
neuf enfants, certains jouant dans les champs, certains venant juste
de rentrer de l'école, pouvaient d'une manière quelconque avoir
menacé la sécurité de ceux qui vivent séparés de nous par un
continent et un océan.
Plus important, nous voulons comprendre
pourquoi le président Obama, quand il est interrogé sur qui sont
ceux que tuent les drones, répond qu'ils tuent des terroristes. Ma
mère n'était pas une terroriste. Aucun membre de ma famille n'est
un terroriste.
Ma mère était sage-femme, la seule
sage-femme de notre village. Elle a mis au monde des centaines de
bébés dans notre village et ses alentours. Maintenant, les familles
n'ont plus personne pour les aider.
Et mon père? C'est un directeur
d'école à la retraite. Il a consacré sa vie à l'éducation des
enfants, quelque chose bien plus nécessaire pour mon village que des
bombes. Les bombes ne créent que de la haine dans le coeur de notre
peuple. Et cette haine et cette colère génèrent plus de
terrorisme. Mais l'éducation – l'éducation peut aider un pays à
prospérer.
Je suis aussi un enseignant.
J'enseignais à l'école primaire du village le jour où ma mère a
été tuée. Je suis rentré à la maison pour trouver tout autre
chose que les joies de l'Aïd, mais mes enfants à l'hôpital et un
cercueil qui ne contenait que des restes de ma mère.
Rafiq-ur-Rehman |
Notre famille n'a plus été la même
après la frappe du drone. Notre maison s'est transformée en enfer.
Les petits enfants pleurent dans la nuit et ne parviennent pas à
dormir. Ils pleurent jusqu'au petit matin.
Certains de mes enfants ont dû subir
plusieurs interventions chirurgicales. Cela nous a coûté un argent
que nous n'avons plus étant donné que les missiles ont tué tout
notre bétail. Nous avons été obligés d'emprunter à des amis; un
argent que nous ne pouvons pas rembourser. Nous utilisons donc
l'argent pour payer un médecin, un médecin qui retire du corps des
enfants les cadeaux métalliques que les Etats Unis nous ont donnés
ce jour là.
Les frappes de drones ne se comparent
pas à des batailles où des personnes innocentes sont
accidentellement tuées. Les frappes de drones visent les gens avant
de les tuer. Les Etats Unis décident de tuer quelqu'un, une personne
qu'elles ne connaissent que par une vidéo. Une personne à qui on ne
laisse pas une chance de dire – je ne suis pas un terroriste. Les
Etats Unis ont choisi de tuer ma mère.
Plusieurs parlementaires Américains
m'ont invité à venir à Washington DC pour faire connaître mon
histoire aux membres du Congrès. J'espère qu'après avoir raconté
mon histoire, l'Amérique finira par comprendre le véritable impact
de son programme de drones et qui se trouve à l'autre bout de la
frappe par un drone.
Je veux que les Américains sachent au
sujet de ma mère. Et j'espère que, peut-être, j'obtiendrai une
réponse à cette simple question: pourquoi?
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