lundi 7 mars 2011

Aux origines du paysage politique actuel au Moyen orient: retour sur les négociations de Camp David

Je ne vais pas être long dans la présentation de ce texte intéressant que publie l'indispensable Philip Weiss. Il est question ici d'une vision de l'intérieur des discussions de camp David qui ont débouché sur l'accord de paix entre l'Egypte et l'entité sioniste et qui ouvrira la voie à un accord du même type avec la Jordanie.
Deux points me semblent importants à relever. Le premier c'est une bonne volonté semble-t-il indéniable des autorités US, disposition d'esprit contrecarrée cependant par l'action du lobby sioniste. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'apparente habileté de Begin qui a en réalité la partie facile car, à la différence de Jimmy Carter et du raïs Egyptien il n'est absolument pas demandeur d'un accord de paix global et il n'est donc pas du tout pressé de conclure quoi que ce soit qui ne l'arrangerait pas.
Le deuxième point est que l'histoire du Mashrek, du moins celle qui a précédé la déposition du président Moubarak, est le résultat direct des accords de paix séparés signés par l'Egypte et la Jordanie et il faut y inclure les agressions contre le Liban, la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie, le blocus de Gaza, l'agression occidentale contre l'Irak…

   
par Scott McConnell, MondoWeiss 6 mars 2011 traduit de l'anglais par Djazaïri
   
En pleine révolution égyptienne, un Benjamin Netanyahou soucieux avait déclaré à son cabinet que la paix israélo-égyptienne de 1979 était « la pierre angulaire de la paix et de la stabilité, pas seulement entre les deux pays mais aussi dans l'ensemble du Moyen Orient » - des propos qui s'étaient vite frayé un chemin vers la une du New York Times. Dans le même temps, les populations du Liban, de l'Irak, de Gaza et de Cisjordanie auraient pu se demander quel genre de paix et de stabilité elles ont retiré de l'accord. Camp David a en fait marqué le début d'un âge d'or pour Israël qui a été libre de poursuivre des politiques d'agression sans avoir à se préoccuper de la plus grande armée du monde arabe.
Comment est-ce arrivé? Un Etat d'Israël stratégiquement dominant n'était pas un des objectifs recherchés par Jimmy Carter et les autres Américains qui négociaient les accords de Camp David. Washington avait été effrayée par la guerre de 1973 et touchée par l'embargo pétrolier arabe ; les stratèges étaient inquiets de voir l'instabilité persistante dans la région permettre à l'Union Soviétique de mettre en péril l'approvisionnement de l'occident en énergie. Pendant la décennie qui avait précédé, le consensus dans les cercles dirigeants était qu'Israël devait rendre le territoire qu'elle avait conquis pendant la guerre de 1967 en échange d'une paix globale avec ses voisins et de garanties en matière de sécurité. Les dirigeants Palestiniens continuaient à évoluer vers l'acceptation d'une solution à deux Etats. Washington cherchait depuis l'époque d'Eisenhower, une solution au problème des réfugiés Palestiniens, amplifié par l'occupation israélienne de la Cisjordanie,
Les accords de Camp David sont donc un casse-tête en forme de puzzle, parce que leurs résultats – qui ont modelé le Moyen Orient une génération durant – ont été très différents de ceux que leurs parrains Américains recherchaient. Rassembler les morceaux du puzzle révèle les contraintes qui pèsent sur un président Américain quand il traite avec Israël. En fait, une leçon fondamentale à tirer de Power and Principle, les mémoires de Zbigniew Brezinski sur ses fonctions en tant que conseiller à la sécurité nationale de Carter, et des mémoires de son principal assistant pour le Moyen Orient William Quandt (In Peace Process) est que les Arabes devraient cesser de se leurrer avec l'idée que les Etats Unis utiliseront leur influence sur Israël pour parvenir à une paix juste.

La cadre fixé par Camp David a prévalu dans le Moyen Orient pendant trente années. Les Palestiniens n'avaient pas d'Etat en 1979, et n'en ont toujours pas. Le lobby israélien avait montré sa capacité à fixer les limites des objectifs qu'un président Américain pourrait vraisemblablement atteindre. Cela s'était produit avec une administration dont les responsables de la politique étrangère considéraient que la solution du problème palestinien avait une importance stratégique et morale, sous un président qui ressentait une chaleureuse proximité personnelle avec Anouar Sadate qu'il n'éprouvait pas à l'égard des dirigeants Israéliens.

On peut voir pourquoi les gens intelligents croyaient que la situation était plus fluide. Dans le récit de Brzezinski, des cadres de l'administration centrale avaient à plusieurs reprises avancé l'idée de rompre ouvertement avec Israël puis d'expliquer à l'opinion américaine leur frustration devant l'intransigeance israélienne. Et pourtant, on sent bien que ce ne fut jamais vraiment une option sérieuse. Le premier ministre Israélien Menahem Begin semblait le savoir, tout comme Netanyahou et son équipe aujourd'hui. A la fin, Begin a parfaitement joué avec l'administration US – exploitant son vif désir pour un « succès » diplomatique, manœuvrant en direction d'une paix séparée qui écarterait l'Egypte de la question palestinienne, laissant à Israël les mains libres pour coloniser la Cisjordanie, annexer le plateau du Golan et lancer plusieurs guerres contre le Liban.

Personne ne peut imputer les conséquences de Camp David à un manque d'engagement de la part de Jimmy Carter et de son équipe de politique étrangère. Le secrétaire d'Etat Cy Vance et Brzezinski différaient sur la manière de traiter avec l'Union Soviétique, mais tous deux considéraient qu'un règlement global au Moyen Orient, comprenant une patrie pour les Palestiniens ; était d'un intérêt vital pour les Etats Unis. Chrétien fervent, Carter ressentait un certain lien émotionnel avec Israël en tant que « terre de la Bible » et n'appréciait pas le mépris qu'éprouvaient certains dirigeants dans le monde, comme le président Français Giscard d'Estaing, à l'égard de l'Etat d'Israël. Mais il ressentait avec force que les palestiniens avaient été victimes d'une injustice.

Au début de sa présidence, dans une réunion en mars 1977, Carter avait déclaré, « il doit y avoir une patrie pour les réfugiés palestiniens qui ont souffert pendant de nombreuses années. » Brzezinski avait tout se suite compris que ces propos déclencheraient une tempête politique et il se souvient que « Vance et moi nous sommes concertés sur la meilleure façon de gérer ce nouveau développement, mais nous avons reçu des instructions… directement d'Air Force One selon lesquelles aucune élaboration ou clarification ne devait être faite sur ce sujet. » (près de tente ans après ce jour où Carter avait évoqué la souffrance palestinienne, Barack Obama, lors de sa venue en Iowa pour sa campagne, avait utilisé le même mot pour parler de la détresse des Palestiniens. Comme Carter, il a subi des attaques virulentes de la part des partisans d'Israël. Si certains diraient que les choses ne changent jamais, il a cependant une différence significative. Contrairement à Carter, Obama a par la suite « clarifié » ses propos, affirmant qu'il voulait dire que les palestiniens souffraient à cause des erreurs de leurs dirigeants).

A son arrivée aux affaires, le plan de l'administration Carter était de préparer le terrain pour une conférence internationale à Genève sous la coprésidence de Washington et de l'Union Soviétique. L'administration savait qu'Israël résisterait, mais pensait que ses objections pouvaient être surmontées. Brzezinski se souvient avoir dit souvent à Carter qu'Israël aurait besoin de « persuasion » en ajoutant que « compte tenu de la centralité de l'aide américaine pour la survie d'Israël, la plupart des Israéliens éviteraient d'instinct de défier ouvertement les Etats Unis sous réserve qu'ils soient convaincus qu'Etats Unis signifie business. » (en italique dans le texte original).

Mais la fenêtre au cours de laquelle une telle persuasion pouvait être tentée était étroite. Dans un bref résumé de la force du lobby israélien, Brzezinski observe, « La configuration politique interne aux Etats Unis était telle que le président avait la plus grande marge d'action pendant sa première année de mandat, moins pendant la deuxième et ainsi de suite. » Plus il avait de temps pour persuader et pour que les avancées subséquentes vers la paix soient manifestes, plus il avait l'occasion d'agir. Les frictions avec Israël n'étaient guère de mise pendant la troisième et quatrième année de présidence, parce que ce genre de conflits aurait eu des répercussions défavorables dans les mass media et pour le soutien financier au parti Démocrate. »

Les chances pour l'administration d'utiliser efficacement la première année de présidence s'étaient sensiblement réduites après la défaite électorale en mais 1977 des travaillistes Israéliens devant la coalition emmenée par le Likoud dirigé par Menahem Begin. Washington s'attendait à une épreuve de force avec le faucon Begin. Brzezinski poussait pour que davantage de voix dans l'administration s'expriment sur e Moyen Orient, et un vice-président Mondale initialement réticent fit un discours appelant Israël à se retirer sue les lignes [d'avant 1967] et à la mise en place d'une « entité » palestinienne. Le leader de la Chambre des Représentants Tip O'neill avait dit à Brzezinski que « si le choix devait se faire entre le président et le lobby pro-israélien, le pays choisirait clairement le président – mais seulement si le chois était clairement posé. » Le sénateur Abraham Ribicoff, un Juif libéral qui se méfiait de Begin, avait fait savoir par Mondale que Carter devait rester ferme. Cy Vance avait fait passer des échos transmis par Sol Linowitz, un vieux routier des arcanes de Washington, selon lesquels la communauté juive était arrivée à la conclusion que « s'ils faisaient suffisamment pression, le président réussirait. » C'est apparemment ce qui s'était dégagé d'une réunion que Carter avait eue avec des dirigeants Juifs, au cours de laquelle il avait assuré de son engagement pour Israël tout en exposant ses projets de pressions sur Tel Aviv dans le sens d'un accord de paix.

En août, selon les notes du journal de Brzezinski, Carter "avait fait connaître son insatisfaction croissante devant la position israélienne et son refus de continuer une politique par laquelle nous finançons de fait leurs conquêtes tandis qu'ils nous ignorent tout simplement par leur intransigeance et se moquent généralement de notre avis et de nos préférences. Il était extrêmement dur sur ce sujet et Vance lui faisait écho en suggérant que, en cas de lancement d'une seule nouvelle colonie par les Israéliens… nous devrions initier des discussions avec l'OLP. »

Montrer sa fermeté dans une réunion où les gens sont d'accord sur l'essentiel avec vous est une chose. Carter pourrait avoir survécu à une épreuve de force avec les dirigeants Juifs Américains au sujet de l'intransigeance d'Israël – nous ne le saurons jamais. Il est certain que de nombreux Juifs considéraient l'attitude de Begin comme irresponsable. Mais il est difficile d'imaginer n'importe quel président Américain, particulièrement un Démocrate, avoir assez de cran pour une telle épreuve de force.

En novembre 1977, le président Egyptien Anouar Sadate, par un geste spectaculaire, tenta de faire sauter le blocage en allant à Jérusalem. Dans son discours à la Knesset, Sadate avait dit clairement qu'en échange d el paix, Israël devrait effectuer un retrait complet et permettre aux palestiniens de bâtir un Etat à Gaza et en Cisjordanie. Il se peut que Sadate, dont le souci premier était la récupération par l'Egypte de son propre territoire, avait déjà décidé de signer une paix séparée, un accord de moindre ampleur. Dans la foulée du discours de Sadate à Jérusalem, Begin s'était rendu à Washington où Carter insista auprès de lui sur la question palestinienne. Begin évoqua une notion floue « d'autonomie » - une formule vague que Brzezinski, pensant qu'elle pouvait receler des possibilités, chercha à dégrossir. L'autonomie, disait Brzezinski, pouvait dire un peu tout ; depuis un « Basutoland sous contrôle israélien » à une étape sur le chemin d'une véritable construction étatique.

Le printemps 1978 avait été occupé par un conflit sur des ventes d'armes américaines à l'Arabie Saoudite et à la Jordanie auxquelles Israël était opposée. Brzezinski écrivait, « durant cette période, nous avons tous fait l'objet de rudes attaques de la part du lobby juif, et beaucoup de temps a été consacré à des réunions et des explications. Elles étaient rarement agréables, même si les hauts responsables Juifs étaient plus compréhensifs de notre besoin de développer des liens avec des Etats arabes plus modérés ». Lors d'un dîner, Brzezinski s'était plaint vivement à Moshe Dayan des efforts israéliens pour empêcher les ventes d'armes, assurant que le président gagnerait à une confrontation et menaçant d'évoquer publiquement l'arsenal nucléaire d'Israël. A la fin, les contrats d'armement purent être signés moyennant des avions supplémentaires pour Israël

A l'arrivée de l'été, quel que soit l'élan qu'avait créé le geste de Sadate, il s'était évaporé. L'équipe de Carter espérait dévoiler une proposition rapprochant les positions israéliennes et égyptiennes antérieures, une confirmation de la résolution 242 de l'ONU (qui appelait Israël à se retirer des territoires conquis et les Arabes à faire la paix avec Israël – les territoires contre la paix) par le retrait israélien du Sinaï et une avancée sur le chemin de l'auto-détermination pour les Palestiniens. « A quel point sommes-nous prêts à faire face à un refus israélien ? » demandait Brzezinski à Carter dans un mémo de juillet. « Avons-nous la force politique pour gérer une tension prolongée dans les relations entre Israël et les Etats Unis ? Quel genre de forces pouvons-nous mobiliser et de quelle manière pour faire valoir nos vues ? Ce sont des questions centrales qui touchent à des sensibilités aussi bien à l'international que sur la scène politique domestique. Par-dessus tout, vous devez décider si vous êtes prêt à traiter cette affaire jusqu'au bout… si nous agissons publiquement et ne parvenons pas à nous imposer, notre politique pour le Moyen Orient sera en panne… si nous agissons 'publiquement', nous devons imposer nos vues. »

Brzezinski posait tout simplement trop de questions à l'administration Carter – leur apporter une réponse exigeait d'échafauder une stratégie sur la manière de neutraliser un segment importante de l'establishment américain et une partie importante de la coalition démocrate. De toutes façons, on n'a aucune trace d'une tentative éventuelle de les explorer par l'administration Carter. Carter avait répondu en suggérant la tenue d'une rencontre au sommet avec Begin et Sadate, une rencontre historique où Carter lui-même pourrait débloquer l'impasse. Brzezinski avait conseillé à l'administration de se préparer à l'échec, de bien faire comprendre que le « refus d'accepter nos propositions pourrait remettre en cause les relations entre Israël et les Etats Unis. »

Les invitations pour Camp David furent envoyées en août 1978. Ces 13 journées de septembre furent une première dans les annales de la diplomatie : trois chefs d'Etat et de gouvernement avec leurs équipes chargées de la sécurité nationale isolés dans un site des collines du Maryland, à l'abri des journalistes. Carter travaillait comme un possédé, rédigeant les documents de base et tenant en continu des réunions avec les responsables Egyptiens et Israéliens pour chercher des formulations mutuellement acceptables En matière de divertissement, les Américains jouèrent beaucoup au tennis ; Brzezinski joua trois parties d'échecs avec Menahem Begin.

Israël allait au sommet avec un seul objectif. Avant même le geste de paix de Sadate, le ministère israélien des affaires étrangères travaillait à une sortie de l'Egypte du conflit en élaborant l'idée d'une paix séparée. Un accord de ce genre était complètement conforme aux intérêts d'Israël – ce que Begin et son gouvernement reconnaissaient alors même qu'ils chicanaient sur chaque colline, chaque colonie et sur le calendrier d'application du retrait. Mais le marchandage servait des fins bien plus larges, ainsi que William Quandt, l'adjoint de Brzezinski, le souligne dans son analyse de Camp David :
  
"Begin, plus que tout autre négociateur, semblait être doué pour utiliser le temps de manière stratégique, amenant les négociations au bord de la rupture sur des questions secondaires pour éviter de subir des pressions sur les questions clefs. Sadate, à l'opposé, refusait de négocier sur les questions qui lui importaient le plus : la souveraineté et le territoire égyptiens – tout en laissant à ses assistants la tâche ingrate d'essayer de tenir tête à Begin sur la question palestinienne. La position e Begin était aussi renforcée par sa disposition à accepter un échec des discussions. Sadate et Carter tenaient beaucoup plus à une issue positive, et Begin pouvait utiliser de manière crédible la menace de quitter la négociation, comme il le fit, pour extorquer des concessions. »

A un moment, alors que les négociations étaient avancées, Sadate, irrité par le refus de Begin de céder du terrain sur la Cisjordanie avait fait ses valises et se préparait à partir. Carter s'était précipité vers le chalet de Sadate pour lui expliquer que son départ pourrait signifier la fin des relations égypto-américaines – que la responsabilité de l'échec des négociations serait imputée à Sadate. Ce moment était très parlant : en dépit du fait que les positions de Sadate étaient bien plus proches des propres positions de la Maison Blanche que ne l'étaient celles d'Israël, au moment où il fallait s'imposer, un président Américain pouvait menacer l'Egypte et n'avait pas hésité à le faire. La même chose n'était pas vraie pour Israël.

Les négociations sur Gaza et la Cisjordanie ne sont vraiment intervenues que vers la fin de la deuxième semaine. Avant cela, les Israéliens persistaient à soutenir que la guerre de 1967 leur avait donné le droit de modifier les frontières. Begin refusait d'accepter l'applicabilité de la résolution 242 de l'ONU pour la Cisjordanie. Quand l'Israélien a présenté sa vision des choses pour la Cisjordanie, en insistant sur tous les contrôles, droits de veto et privilèges qui resteraient à Israël, Carter avait explosé « Ce que vous voulez, d'est faire de la Cisjordanie une partie d'Israël. » Vance avait appuyé le président. Brzezinski avait ajouté « C'est profondément affligeant – vous voulez réellement garder un contrôle politique, un droit de veto, un gouverneur militaire, le maintien de l'ordre public défini au sens large. Nous pensions que vous accepteriez d'accorder une véritable autonomie. » Moshe Dayan, toujours diplomate, avait répondu « professeur Brzezinski, nous ne cherchons pas un contrôle politique. Si ça en a l'air pour vous, alors nous allons réexaminer les choses. » La rupture avait été évitée. Carter s'était remis à l'ouvrage, en se concentrant sur l'idée que la proposition israélienne d'autonomie interne pourrait être mise en œuvre pendant une période de transition de cinq ans. Au septième jour des négociations, les israéliens objectaient encore à toute proposition qui insistait sur les mots « la non acceptabilité de l'acquisition de territoires par la guerre. » Dayan avait dit à Vance que le sommet allait se terminer par un échec et qu'on en ferait porter la faute à l'intransigeance de Carter.

Mais le 16 septembre, au onzième jour sur les collines de Camp David, survint le compromis décisif, en fait une concession américaine. Selon le récit de Bill Quandt, c'est alors que le projet de texte américain concernant Gaza et la Cisjordanie a été fondamentalement transformé. « Les éléments de la 242 qui étaient auparavant inclus, dont le retrait, avaient été effacés. Le texte avait été modifié de sorte à rendre clair que les négociations, mais pas forcément les résultats des négociations, devraient être basées sur les principes de la 242. Et les négociations sur Gaza et la Cisjordanie furent astucieusement renvoyées aux calendes grecques en créant deux modalités, une impliquant des négociations pour un traité de paix entre Israël et la Jordanie et l'autre impliquant des discussions entre Israël et des représentants des Palestiniens. Quandt concluait, « Il faudrait peut-être un avocat pour expliquer comment, mais Begin avait défendu avec succès sa position sur le caractère non applicable de la 242 pour les négociations sur l'avenir de la Cisjordanie, les Américains se satisfaisaient de l'ambigüité, et Sadate se demandait sans doute quel était l'objet de toute cette gymnastique verbale. »

Le moins que l'on puisse dire est que l'ambigüité ne sautait pas aux yeux après une simple lecture des accords de Camp David. Le document semble effectivement faire apparaître que les négociations sur la Cisjordanie sont basées sur la 242 et ouvrent la voie d'une certaine manière à l'autodétermination des Palestiniens. Mais à la différence des clauses spécifiques à un retrait israélien du Sinaï, il n'y a aucun engagement explicite pour que des négociations aboutissent réellement quelque part. Carter pensait tout au moins parvenir à obtenir le résultat qui avait sa préférence en stoppant le plan de colonisation de la Cisjordanie que Begin avait lancé récemment. Carter avait soutiré à Begin, du moins le croyait-il, la promesse de geler la construction de nouvelles colonies pendant les cinq années durant lesquelles devaient se tenir les négociations pour une autonomie palestinienne.

Carter s'était empressé de transmettre cette promesse orale à Sadate au cours de ses allées et venues entre les chalets des deux hommes. Les Israéliens lui avaient promis une lettre de confirmation de leur promesse pour le lendemain. Mais la lettre que transmirent les Israéliens ne contenait rien de tel. Au contraire, elle liait le gel de la colonisation à la durée des négociations sur le Sinaï qui devaient être bouclées dans les trois mois. Carter refusa d'accepter la lettre et en demanda une autre. Quandt écrit « la sonnette d'alarme avait été tirée, mais il y avait tant d'autres problèmes sur l'agenda ce jour là, en particulier un argument dilatoire sur Jérusalem qui avait été mis sur la table dans l'après-midi, que Carter et Vance continuèrent à agir comme s'il y avait eu un simple quiproquo qui serait éclairci dès que Begin aurait envoyé une nouvelle version de la lettre. »

Les Américains n'ont jamais reçu la lettre confirmant ce que Carter croyait que Begin avait promis. Mais pour le reste du monde, (sauf, c'est significatif, pour le monde arabe) Carter semblait avoir obtenu ce qu'il voulait. Comme le sommet tirait à sa fin, Brzezinski fit un topo pour la presse. « L'embarras était palpable quand j'ai annoncé les conditions de l'accord israélo-égyptien, particulièrement sur le point selon lequel le traité de paix serait signé dans les trois mois. Les journalistes avaient du mal à y croire. Un sentiment d'excitation montait pendant le déroulement du briefing et j'avais du mal à m'en dégager moi-même…. A 10h30, le président qui venait juste d'arriver par hélicoptère est entré avec Sadate et Begin. Il y eut un tonnerre d'applaudissements lorsqu'il annonça le succès… »
Moins d'une semaine avec ce moment de triomphe, Carter et Brzezinski s'inquiétaient ouvertement de ce qu'ils avaient fait. Begin avait entamé immédiatement une tournée des media aux Etats Unis, affirmant le droit d'Israël à rester indéfiniment en Cisjordanie et à poursuivre la construction de colonies. Brzezinski notait dans son journal que Begin « tente de créer l'impression que le seul accord qui compte vraiment est l'accord israélo-égyptien. S'il peut s'en tirer comme ça, il obtiendra un traité de paix séparé, puis l'ensemble de l'édifice pour la paix au Moyen orient s'écroulera. » Mais il s'en est tiré comme ça. Bien sûr, l'édifice de la paix ne s'est pas complètement écroulé. Israël a prospéré. Begin et Ariel Sharon ont lancé une expédition sanglante au Liban afin d'éliminer l'OLP et le nationalisme arabe une fois pour toutes. L'occupation de la Cisjordanie a été renforcée par des centaines de milliers de colons, avec les réseaux de check points et de routes qui leur sont associés. L'extrémisme islamique, dont l'Amérique a goûté le fruit amer le 11 septembre, a commencé à se développer dans les espaces souterrains de la dictature de Moubarak, le seul genre de régime égyptien qui pouvait accepter Camp David comme ligne directrice de sa stratégie régionale.

Moins de deux mois après l'adoption du cadre fixé à Camp David, (mais avant la signature du traité définitif) Carter et son équipe de politique étrangère discutaient du câble de Samuel Lewis, l'ambassadeur en Israël, qui parlait de demandes d'argent israéliennes de plus en plus insistantes et de l'entêtement israélien sur la Cisjordanie. Brzezinski se souvient avoir soulevé la question de savoir « si nous devions vraiment pousser si fort pour un traité israélo-égyptien si notre intention est aussi de résoudre le problème de la Cisjordanie. Une fois un tel traité signé, nous aurons moins d'influence. » Carter disait que les israéliens ne voulaient pas céder sur la Cisjordanie et que Dayan avait pris l'initiative en matière de relations publiques pour donner son interprétation à l'opinion. Brzezinski écrit »Quand je disais que je pensais que les Israéliens voulaient avant tout une paix séparée, puis l'argent des Etats Unis et enfin avoir les mains libres en Cisjordanie, le président disait que mes propos étaient d'une franchise brutale et peut-être énoncés de façon beaucoup trop simpliste. Quand je lui avais répondu sarcastiquement 'Merci', il m'avait regardé avec beaucoup de sérieux et avait dit 'Oui, mais je suis d'accord avec vous.' »

Mais bien sûr, une fois engagé dans Camp David, Carter n'avait pas vraiment d'autre choix que d'aller jusqu'au bout. L'honnêteté quant aux relations entre Israël et les Etats Unis devait rester à l'abri de portes closes. Une fois l'accord finalement signé en mars suivant, Israël procéda à un retrait du Sinaï. De manière assez prévisible, les discussions sur l'autonomie palestinienne n'allèrent nulle part. Begin avait nommé son ministre de l'intérieur, Yosef Burg, su parti nationaliste religieux, pour les conduire. Burg croyait que le droit d'Israël sur la Cisjordanie était inscrit dans les écritures sacrées. La construction de colonies s'accéléra. Moshe Dayan, qui devait avoir une vision plus ouverte de que pouvait signifier l'autonomie pour les Palestiniens, démissionna du gouvernement en signe de protestation. Dès lors, le cabinet israélien se trouvait entre les mains des colons. En pleine campagne électorale de 1980 ; Carter n'a bien entendu rien fait.

Rappeler cette histoire, c'est reconnaître que tant que le lobby israélien sera plus puissant que celui de la justice, les Etats Unis sont par essence incapables d'assurer une médiation honnête au Moyen Orient. Cette réalité dure à avaler s'est confirmée à plusieurs reprises, avec Carter, Brzezinski et Vance, avec George H.W. Bush et James Baker, et avec les présidents Clinton et Obama. Si une tendance doit être observée, c'est que les années passant, les Etats Unis sont devenus de moins en moins capables de tenir tête à Israël. Et pourtant, considérée sous un autre angle, la situation semble comme jamais fluide et propice à l'intervention des hommes. Si l'influence d'Israël sur l'Etat américain (cf. les capitulations répétées d'Obama devant Netanyahou) semble actuellement décisive, son emprise sur les représentations sociales aux Etats Unis est bien plus ténue qu'au moment de l'accession de Jimmy Carter à la maison Blanche. La connaissance du crime commis contre le peuple palestinien s'est considérablement développée ces trente dernières années. A un moment donné, in y aura un rééquilibrage quand le gouvernement américain commencera à prendre en compte cette évolution. Le tumulte du mois dernier dans le monde arabe a valeur d'un rappel, si tant est qu'il soit nécessaire, qu'aucune injustice ne peut durer éternellement.

"Les relations Brzezinski – Begin touchent à la relation historique complexe entre la communauté juive polonaise et les élites catholiques Polonaises. Pendant la première visite de Begin aux Etats Unis en qualité de premier ministre, devant une rangée de caméras, il s'était rapproché de Brzezinski et lui avait présenté des documents, trouvés dans une archive de Jérusalem, qui traitaient de l'activité de son père, diplomate Polonais en poste en Allemagne dans les années 1930, qui s'impliquait dans le sauvetage de vies juives. Brzezinski avait été profondément touché par ce geste de sensibilité humaine, particulièrement du fait qu'il intervenait au lendemain d'attaques personnelles sur moi et sur mon rôle dans la promotion de la recherche d'un règlement pacifique au Moyen Orient. »

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