mercredi 9 mars 2011

Lamis Andoni sur la démocratie dans le monde arabe et le sionisme

C'est la première fois que je poste un article de Lamis Andoni, cette journaliste américano-palestinienne, elle est née à Bethléem en Palestine occupée, qui collabore avec la chaîne télévisée du Qatar Al Jazeera.
Lamis Andoni s'intéresse à la perception qu'a le gouvernement des Etats Unis du bouleversement politique qui affecte le monde arabe, l'Egypte tout particulièrement, dans sa relation avec la question palestinienne.
Elle insiste notamment sur l'illusion qu'entretiennent certains en Occident sur l'effet « normalisateur » des relations avec le régime sioniste que pourraient avoir ces évolutions, comme si la question de Palestine n'était pas d'une importance cardinale pour tous les peuples arabes.
Et en effet, des gouvernements arabes démocratiquement élus ne pourront que réaffirmer haut et fort l'exigence de justice pour le peuple palestinien que veut l'immense majorité des peuples du monde arabe.
Si certains en Occident se font des illusions sur les dispositions des démocrates Arabes à l'égard de l'entité sioniste, cette dernière ne s'en fait aucune. Ce n'est pas pour rien que le ministre sioniste de la « défense » Ehud Barak a décidé de racketter à nouveau le peuple américain pour exiger qu'il accepte de subventionner l'Etat délinquant à hauteur de 20 milliards de dollars.

Lamis Andoni (au centre)
Si des gouvernements démocratiques sont formés au Moyen Orient, ils ne suivront pas les ordres de Washington.
Par Lamis Andoni, Al Jazeera 9 mars 2011 traduit de l'anglais par Djazaïri

Barack Obama, le président des Etats Unis, n'a toujours pas complètement saisi l'essence des révolutions en cours dans le monde arabe. Il semble sincèrement considérer que les peuples qui manifestent pour la démocratie dans la région sont dans une démarche pro-occidentale, si ce n'est pro-israélienne.
"Toutes les forces que nous voyons à l'œuvre en Egypte sont des forces qui devraient naturellement être en phase avec nous, et devraient être en phase avec Israël – si nous prenons les bonnes décisions maintenant et si nous comprenons ce mouvement de l'histoire, » a récemment déclaré Obama à un groupe de Démocrates en Floride.
Je ne sais pas vraiment comment Obama a abouti à cette conclusion, mais il est soit terriblement mal informé, soit un adepte fervent de la pensée magique.
Ses propos font cependant écho aux analyses effectuées par de nombreux spécialistes Américains dont certains se sont félicités du fait que les slogans hostiles à l'Amérique et à Israël n'étaient pas prédominants dans les soulèvements récents et en cours.
Il est vrai que les manifestants ne font pas d'Israël un thème central.
Mais dire que ces forces pourraient être des alliés naturels d'Israël et de l'Occident, c'est aller beaucoup trop vite en besogne dans une analyse très inexacte de la situation. Le président des Etats Unis fait une lecture erronée du message des masses contestataires arabes.

Réécrire l'histoire
 
De la Tunisie à l'Egypte en passant par Bahrein et dans de nombreux endroits, des manifestants ont appelé à des gouvernements libres et responsables devant le suffrage populaire. Des dizaines d'années d'amère expérience leur ont montré que des gouvernements non représentatifs ont souvent la volonté d'accepter – ou à tout le moins sont incapables de résister à – la subordination aux diktats politiques et économiques de l'Occident, des Etats Unis en particulier.
Le traité de paix de 1979 entre Israël et l'Egypte, par exemple, n'a pas été signé par un gouvernement arabe démocratiquement élu mais a été conclu malgré une forte opposition – qui persiste à ce jour – dans le plus grand pays du monde arabe. De la même façon, il est peu probable que les accords de Camp David de 1979 auraient été signés si on en avait référé au peuple égyptien qui, sans être dissuadé par l'alliance des gouvernements qui se sont succédés en Egypte avec Washington et leurs liens étroits avec Tel Aviv, a continué à résister à toutes les tentatives pour imposer des relations normalisées avec Israël.
Au fil des ans, le peuple égyptien a montré à maintes reprises – par des manifestations, dans la presse et même dans l'expression cinématographique – qu'il s'opposait aux politiques des Etats Unis dans la région et à l'agression israélienne contre les Palestiniens.
Mais maintenant, certains experts, des officiels Américains anciens et actuels veulent réécrire l'histoire – et peut-être se convaincre eux-mêmes dans la foulée – en affirmant que l'animosité populaire envers Israël était simplement un effet des tentatives du régime de Moubarak pour détourner l'attention de ses propres tares. 

Jackson Diehl, un éditorialiste du Washington Post, a même blâmé l'ancien régime égyptien d'avoir délibérément maintenu une paix froide avec Israël et d'avoir parfois tenu tête aux Etats Unis. « Imaginez une Egypte qui s'oppose régulièrement à l'Occident dans les forums internationaux tout en faisant campagne sans relâche contre Israël. Un gouvernement qui distille un ignoble antisémitisme dans sa presse, gèle les relations avec Israël et prend l'habitude de rejeter publiquement « l'interférence » dans ses affaires par les Etats Unis. Un régime qui permet au Hamas d'importer dans la bande de Gaza des tonnes de munitions et des roquettes iraniennes. » écrivait Diehl au sujet du régime de Moubarak dans un article publié le 14 février.
Diehl semble penser qu'une Egypte démocratique sera plus amicale envers les Etats Unis et Israël qu'une dictature qu'il a caractérisée comme trop peu coopérative. La même idée a été exposée par Condoleeza Rice, l'ancienne secrétaire du Département d'Etat US, qui a soutenu que la crainte par Moubarak de la « rue arabe » l'avait empêché d'adhérer complètement aux politiques des Etats Unis à l'égard du conflit israélo-palestinien.
Mais ce que Rice et d'autres ne semblent pas réaliser – malgré le fait que leurs propres déclarations l'admettent implicitement – c'est que les insuffisances supposées de Moubarak reflétaient sa prise de conscience des limites qu'il ne pouvait pas dépasser dans son soutien aux politiques américaines sous peine de provoquer la colère populaire.
Les régimes arabes ont toujours cherché à calmer leurs oppositions en soutenant du bout des lèvres la cause palestinienne, parce qu'ils comprennent la place qu'elle occupe dans la psyché arabe. Et si les révolutions ont révélé que cette tactique ne suffisait plus à contenir les forces d'opposition, on a tort de supposer que le nouvel état d'esprit arabe est par nature compatible avec une posture plus amicale à l'égard d'un pays qui continue à occuper le territoire palestinien et à déposséder le peuple palestinien.

Définir la démocratie
 
Ce genre de lecture faussée de la situation n'est pas induit par les faits maispar une attitude orientaliste qui a longtemps dominé la pensée américaine et de larges secteurs des media américains.
Pour la culture politique dominante aux Etats Unis, soutenir la politique de Washington est considéré comme synonyme d'un comportement et d'une pensée démocratiques, alors que s'opposer au point de vue des Etats Unis et à Israël est jugé comme dérivant d'un état d'esprit captifs et arriéré. De ce point de vue, un état d'esprit de victimisation imaginaire nourrit l'hostilité et la résistance contre Israël.
Mais c'est en réalité cette façon de penser qui est franchement antidémocratique. Si nous admettons que les valeurs démocratiques sont universelles et si nous nous écartons d'une interprétation occidentale ethnocentrique, nous constaterons que le rejet de l'occupation est totalement conforme aux idéaux de liberté et de dignité humaine – deux composantes supposées à part entière de la pensée démocratique.
Tout comme le refus de la discrimination racial atteste d'une croyance dans la liberté, il en va de même du refus d'accepter purement et simplement les occupations américaine et israélienne des territoires arabes et la subordination des peuples arabe.
Donc, sauf si Obama parle de mettre un terme à l'occupation de l'Irak par les Etats Unis et à l'occupation israélienne de la Palestine, pourquoi donc irait-il s'imaginer que les révolutionnaires Arabes qui se sont levés contre leurs oppresseurs pourraient être des alliés naturels des Etats Unis ?
Mais certains analystes et officiels Américains sont en quête de toute interprétation qui leur permettrait de dissocier le soutien des Etats Unis à l'occupation israélienne des relations entre l'Amérique et le monde arabe. En soutenant que la question palestinienne n'st plus centrale dans la pensée arabe, ils imaginent que les Etats Unis peuvent simplement imposer une solution qui garantisse l'hégémonie israélienne dans la région sans tenir compte du droit du peuple palestinien à l'autodétermination.
Ceux qui à Washington et à Tel Aviv ont voulu minimiser le rôle de la cause palestinienne dans la vie politique arabe, seraient bien inspirés de lire un article du fameux blogueur et militant Egyptien Hossam el-Hamalawy dans The Guardian où il fait valoir que ce sont les manifestations de solidarité avec l'intifada palestinienne de 2000 et les manifestations de 2003 pour protester contre la guerre des Etats Unis en Irak qui ont été les précurseurs de la révolution égyptienne.

L'illusion selon laquelle ces mouvements contre l'injustice de la dictature et l'injustice de l'occupation entreront d'une manière ou d'une autre en contradiction l'une avec l'autre traduit une interprétation gravement erronée des sentiments des masses arabes – sauf, bien sûr, si Obama espère simplement se servir de ce mauvais raisonnement pour justifier la perpétuation de politiques toutes aussi mauvaises dans la région.

Lamis Andoni est politologue et spécialiste du Moyen Orient et des affaires palestiniennes

 

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