dimanche 27 mars 2011

Vers la fin du régime baathiste en Syrie?


Joshua Landis est un universitaire américain spécialiste de la Syrie et qui anime un site internet intitulé justement « Syria Comment »
Dans un sens, ce qui se passe en Syrie ressemble beaucoup plus à ce qui s’est passé en Tunisie qu’aux événements vécus par exemple au Yémen ou en Egypte avec une réaction populaire spontanée pour protester contre l’arbitraire du pouvoir suivie par une répression d’une brutalité extrême. Comme en Tunisie, l’épicentre de la contestation est une cité restée aux marges du développement incontestable qu’ont pu connaître d’autres agglomérations comme Damas ou Lattaquié.
Landis nous propose son analyse des éléments qui pourraient faire que la crise actuelle en Syrie débouche sur une insurrection généralisée avant d’aller vers une guerre civile et/ou un changement de régime. Landis fait une lecture en termes de classes sociales combinée avec la réalité segmentaire de la Syrie et nous explique que la clef du destin du régime de Damas se trouve dans le maintien de l’alliance nouée entre les militaires alaouites et la bourgeoisie sunnite.
Landis est pessimiste sur la possibilité pour le régime d’aménager une transition en douceur, ce qui ne veut pas dire forcément qu’il est déjà au bout du rouleau. Il note en particulier que, contrairement au cas tunisien, l’armée semble rester fidèle au président .D’un autre côté, Angry Arab annonce, sans entrer pour l’instant dans les détails, que de sérieux craquements se font jour dans l’élite dirigeante syrienne
L’impopularité du régime baathiste en Syrie n’est un secret pour personne, et ce sont bel et bien les symboles de ce pouvoir qui ont été ciblés par les manifestants telle cette statue d’Hafez al-Assad que des contestataires ont tenté de mettre à bas. Cette hostilité se nourrit aussi bien des travers communs à tous les régimes autoritaires (injustices, corruption, absence de libertés publiques) que des problèmes économiques auxquels sont confrontées les couches sociales populaires et paysannes ou encore de la mémoire des répressions brutales exercées par le régime à différentes périodes de l’histoire du pays. Par ailleurs, les couches sociales favorables au régime le sont avant tout par intérêt, comme toujours.
Il n’empêche que, comme en Libye, des acteurs extérieurs à la scène syrienne s’invitent. Nous avons certes les Américains qui auraient tort de se gêner d’encourager tout ce qui pourrait affaiblir le régime de Damas. Mais, ainsi que le note Joshua Landis d’autres acteurs sont également présents dont l’origine est cependant inconnue : des étrangers armés qui excitent les tensions entre les membres des diverses confessions.
On ne sait rien sur ces étrangers sauf bien sûr qu’ils ‘s’expriment en arabe mais sont cependant reconnus comme étrangers par les autochtones de Syrie. Toutes les hypothèses sont envisageables et , la présence de nombreux réfugiés Palestiniens et surtout Irakiens sur le sol syrien permet à toutes sortes d’individus douteux de se noyer dans la masse.
Peut-on envisager une intervention militaire des Etats Unis et de leurs supplétifs français et britanniques comme en Libye ?
Probablement pas pour plusieurs raisons. La première est de pure forme : autant il y a un consensus politico-médiatique pour dire que Mouammar Kadhafi est « fou », autant il n’existe rien de tel concernant Bachar al-Assad qui est relativement peu connu du grand public. Ensuite, la Syrie tout en étant « prenable » militairement est tout de même un plus gros morceau que la proie facile libyenne et qu’aucune intervention de ce genre ne pourrait se faire sans la participation du régime sioniste. Le régime sioniste a par ailleurs peut-être plus intérêt au maintien du régime baathiste, prévisible et virulent seulement dans le langage, qu’à l’instauration d’une démocratie voire à l’arrivée au pouvoir de quelque chose qui ressemblerait aux Frères Musulmans. Nous avons sans doute ici un point supplémentaire de divergence fondamentale d’intérêts entre les Etats Unis et la voyoucratie sioniste.
Il est enfin douteux que la Turquie se laisse aller à permettre une telle agression à ses frontières (en tout cas pas sans garanties que ses intérêts seront préservés voire renforcés).
Joshua Landis Syria Comment (USA) 25 mars2011 traduit de l’anglais par Djazaïri

Le régime a été ébranlé par les manifestations et propose de procéder à des changements tout en s’accrochant au pouvoir. Mais compte tenu des divisions sectaires et de classes, son destin pourrait bien se trouver entre les mains des élites sunnites.

Le régime baathiste qui dirige la Syrie depuis 48 ans se retrouve dos au mur. Même le président Bachar al-Assad en personne semble avoir été choqué par le niveau de la violence utilisée par les forces de sécurité syriennes pour réprimer les manifestations qui ont commence il y a une semaine, et le jeudi après midi, son cabinet a annoncé des concessions sans précédent aux revendications populaires. Mais la question de savoir si ces concessions vont calmer la contestation où être considérées comme insuffisantes et trop tardives trouvera sa réponse après les prières du vendredi.

Les manifestations ont commence il y a une semaine dans la ville agricole poussiéreuse de Dera’a, près de la frontière avec la Jordanie et avaient été causées par l’arrestation de lycéens pour avoir tracé des graffiti anti-gouvernementaux. Ces manifestations ont rapidement échappé à tout contrôle, rejointes par des milliers de personnes inspirées par la vague de révolutions qui a touché le monde arabe, pour exiger des libertés publiques, la fin de l’état d’urgence et de la corruption. Le gouvernement a réagi brutalement, tuant plus de trente manifestants et en blessant beaucoup d’autres, selon des militants. Des vidéos épouvantables de la répression, diffusées sur internet ces derniers jours, ont suscité la colère des Syriens d’un bout à l’autre du pays.
Jeudi, le régime a commencé à essayer une autre tactique, la porte parole d’Assad, Boutaina Shaaban présentant ses condoléances à la population de Dera’a et reconnaissant leurs demandes comme « légitimes », en insistant cependant pour dire que les informations sur l’importance des manifestations et le nombre des victimes avaient été exagérées. Il est à noter que le président lui-même n’est pas apparu à la télévision depuis le début des troubles politiques en Syrie, apparemment dans l’espoir de se mettre à l’abri de la critique. Mais Shaaban a souligné qu’Assad était complètement opposé aux tirs à balles réelles dans la répression des manifestations. Elle a insisté sur le fait qu’elle était présente dans le bureau présidentiel quand le président a ordonné aux forces de sécurité de s’abstenir de tirer sur les manifestants, « pas une seule balle. »
Mais les seules promesses qui se sont concrétisées sont des hausses de salaires de 30 % pour les fonctionnaires et la libération de tous les militants arrêtés ces dernières semaines.  D’autres réformes que le régime a entrepris d’étudier sont la création d’emplois, la liberté de la presse, l’autorisation de partis politiques d’opposition et la levée de l’état d’urgence. S’ils étaient appliqués, ces changements seraient presque une révolution. Mais beaucoup d’activistes ont déjà rejeté les offres d’Assad qu’ils qualifient de manœuvre dilatoire pour passer sans encombre les journées à venir de funérailles et surtout les prières du vendredi. L’opposition a appelé les Syriens à se rassembler en grand nombre dans les mosquées pour une journée de  la « dignité » et de manifestations.
Pour constituer un défi sérieux à la main mise du régime sur le pouvoir, les militants d’opposition devront étendre leurs actions de protestation au-delà de Dera’a et de ses villages environnants pour toucher les grandes villes. Leur démarche dans ce but place le pays devant un choix aux conséquences importantes. Ils doivent décider si la Syrie est plus comme la Tunisie et l’Egypte où les peuples ont été suffisamment unis pour renverser leurs dirigeants, ou si la Syrie est plus comme l’Irak et le Liban, qui se sont enfoncés dans la guerre civile un factionnalisme sans fin.
Comme le Liban et l’Irak voisins, la Syrie est une société religieusement plurielle et ethniquement diverse. Le président Assad appartient à la secte Alaouite, un dérivé du chiisme dont les adhérents ne représentent que 12 % de la population syrienne. Les manifestations de Dera’a ont incité les Alaouites de la cité côtière de Lattaquié à se rassembler nombreux dans une place du centre ville, Dawwar az-Ziraa, pour montrer leur soutient à leur président aux prises avec des difficultés. Beaucoup ont remplacé les images de leur profil sur Facebook par une photo de Bachar. Les Syriens Chrétiens et d’autres minorités religieuses qui forment 13 autres pour cent de la population syrienne ont aussi montré un large soutien à Assad qui a défendu le sécularisme. Beaucoup se sont causés des frayeurs en imaginant la possibilité que l’agitation politique ouvre la voie aux islamistes, comme ce fut le cas en Irak. Près d’un million de réfugiés Irakiens vivent en Syrie et leur présence témoigne de l’histoire d’un changement de régime qui a mal tourné.
La clef pour la réussite d’une révolution est la division de l’élite syrienne qui comprend la catégorie des hiérarques de l’appareil de sécurité et les grandes familles de commerçants et d’industriels sunnites qui contrôlent l’économie ainsi que la sphère culturelle et morale en Syrie. Si ces élites restent soudées, il est difficile d’envisager  qu’une révolte populaire généralisée mais en ordre dispersé puisse venir à bout du régime. Mais une scission au sein de l’élite entre alaouites et sunnites sonnerait la fin du régime. La cohésion de ces élites est cependant autant une question d’appartenance confessionnelle qu’à une classe sociale.
La centralité de Dera’a dans le soulèvement a peut-être restreint son intérêt pour les élites citadines. La poussiéreuse ville frontalière, caractérisée par les allégeances tribales, la pauvreté et un conservatisme islamique peut inspirer des masses rurales syriennes qui souffrent de la pauvreté, d’une sécheresse prolongée et du chômage, mais les manifestations de masse qui ont eu lieu là bas ont effrayé les élites urbaines syriennes. Même ceux qui partagent avec les ruraux  la colère contre la répression et l’aspiration à la liberté craignent néanmoins les pauvres et la menace du désordre.
En fait, les élites citadines perçoivent le régime lui-même comme une dictature  des gens de la campagne. Le parti Baath qui a pris le pouvoir en 1963 était dominé par de jeunes officiers de l’armée et des éléments ruraux qui avaient à peine plus qu’un niveau scolaire secondaire et une idéologie de bric et de broc mêlant socialisme et arabisme pour les guider. Leur faible niveau d’éducation associé au ressentiment contre la richesse et les privilèges des élites urbaines syriennes fut un poison mortel qui précipita la nationalisation des terres et des entreprises.
Ayant été éduqué dans un milieu privilégié à Damas; le président a plus en commun avec les élites de la capitale qu’avec les alaouites des montagnes de la côte qui portèrent son père au pouvoir. Quand Bachar al-Assad prit sa succession après le décès de son père en 2000, il commença à libéraliser l’économie et la société. La haute culture a pris son essor, les importations de l’étranger comme le tourisme et les arts ont été revivifiés. La Syrie est un endroit formidable si on a de l’argent, la vie est amusante et trépidante pour les gens aisés.
Pour la majorité pauvre, par contre, le paysage est sombre. Un tiers de la population vit avec deux dollars par jour ou moins. Le chômage est endémique et quatre années de sécheresse ont réduit la campagne de l’est de la Syrie à un paysage désolé de villes et de villages poussiéreux et sans ressources comme Dera’a. La dernière chose dont veulent les habitants d’Alep, de Homs et de Damas, est une révolution qui amène au pouvoir une nouvelle classe sociale de paysans pauvres, ou que le pays sombre dans le chaos et éventuellement la guerre civile.
La rébellion arabe “départage” les pays du Moyen Orient en distinguant ceux qui sont devenus de véritables nations avec une communauté politique homogène et la capacité à tourner le dos à l’ère postcoloniale de dictature et de répression, de ceux qui sont minés par les tensions sectaires, tribales et ethniques. Le Liban et l’Irak ont tous deux failli. La Libye s’effondre sous nos yeux et le Yémen pourrait aussi suivre cette spirale descendante.

Selon toute probabilité, il n’y aura pas d’atterrissage en douceur pour le régime syrien, quelque soit le moment où interviendra l’échéance. De peur d’être exclus du pouvoir et persécutés, les chefs militaires alaouites vont probablement rester avec le président. Ce qui reste à voir, c’est si l’élite sunnite qui  s’est tenue aux côtés de la famille Assad pendant plus de quarante années au nom de la sécurité et de la stabilité, continuera à le faire ou si le président Assad aura la volonté d’oser prendre le risque de procéder à de profonds changements.
Joshua Landis is the director of Center for Middle East Studies, University of Oklahoma and author of the blog http://www.syriacomment.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Commentaires publiés après modération. Les propos injurieux, diffamatoires ou à caractère raciste ne seront pas publiés.