dimanche 5 août 2012

Retour de bâton de la crise syrienne en Turquie?


Je ne l’ai peut-être pas précisé, mais je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce qui est dit dans les articles que je vous propose. Leur valeur porte le plus souvent pour moi sur un point particulier mais j’aime proposer des traductions intégrales autant que faire se peut pour enrichir la réflexion.

Par exemple, l’article du New York Times traduit ci-dessous semble confondre Alaouites et Alevis, deux sectes qui tout en étant apparentées ne se confondent pas.
Cet article vaut surtout en ce qu’il signale une montée de tension confessionnelle en Turquie. Si les tensions préexistaient à la crise syrienne, cette dernière n’a fait que les aiguiser au point que certains en viennent à craindre de graves conséquences sur les relations entre citoyens Turcs de diverses appartenances.
J’avais déjà évoqué les appréhensions des Alevis en les considérant comme un signe de plus de l’imprudence du gouvernement turc sur le dossier syrien avec des conséquences qui pourraient être un de ces fameux retours de bâton dont parle Pepe Escobar

Il en va des Alevis/Alaouites exactement comme des Kurdes auxquels Ankara reconnaît une quasi indépendance en Irak, tout en refusant l’autonomie des Kurdes de Syrie et en continuant sa chasse aux militants Kurdes en Turquie et au-delà.

Tiens, les Kurdes, peut-être une des raisons de l’alignement d’Ankara sur Washington ; on apprend en effet que le Congrès des Etats Unis vient de commencer l’examen d’une résolution anti-PKK (PKK = Parti des Travailleurs du Kurdistan). Cette résolution précise que le PKK est un ennemi de la Turquie et des Etats Unis. Un texte semblable a été présenté au Sénat, nous dit-on, sous l’impulsion du sénateur (indépendant) Joe Lieberman. Ce Lieberman n’est peut-être pas apparenté à son Avigdor Lieberman, le ministre des affaires étrangères de Tel Aviv, mais ils sont aussi ultrasionistes l’un que l’autre.


par Jeffrey Gettleman, New York Times (USA) 4 août 2012 traduit de l’anglais par Djazaïri

ANTAKYA, Turquie - A 1h du matin, dimanche dernier, dans le bourg agricole de Surgu,  à environ six heures d’ici, une foule s’était formée devant la porte de la famille Evli.

Le malaise couvait depuis plusieurs jours, depuis que la famille Evli avait  chassé un tambour qui venait réveiller les gens un peu avant l’aube d’une nouvelle journée de Ramadan. Les Evlis sont des Alaouites, une secte minoritaire de l’islam historiquement persécutée, qui est aussi la secte des dirigeants Syriens affrontés à une insurrection. De nombreux Alaouites ne suivent pas des traditions musulmanes comme jeûner pendant le mois de Ramadan.

La foule a commencé à lancer des insultes. Puis des pierres.

 «Mort aux Alaouites !» criaient-ils. «Nous allons tous vous bruler !»

Puis quelqu’un a tiré avec une arme à feu.

«Ils étaient là pour nous tuer,» affirme Servet Evli qui s’était caché dans da chambre avec sa femme enceinte et sa fille terrifiée, toutes deux si effrayées qu’elle avaient uriné dans leurs vêtements.

Avec la guerre civile en Syrie qui dégénère en affrontement sectaire sanglant entre les troupes du gouvernement à dominante alaouite et la majorité musulmane sunnite, les tensions s’accroissent de l’autre côté de la frontière entre la minorité alaouite de Turquie et la majorité sunnite de ce pays.

De nombreux Alaouites Turcs, une population estimée entre 15 et 20 millions qui forme une des plus importantes minorités du pays, semblent être résolument derrière l’homme fort menacé de Syrie, Bachar al-Assad, tandis que le gouvernement turc et de nombreux Sunnites soutiennent les rebelles.

Les Alouites craignent que la violence sectaire diffuse à travers la frontière. Déjà, les camps de réfugiés bondés et étouffants installés le long de la frontière deviennent rapidement des marmites où bouillonnent les sentiments anti-alaouites.

 «S’il en vient un par ici, nous le tuerons,» affirme Mehmed Aziz, 28 ans, un réfugié Syrien dans un camp de Ceylanpinar, en passant un doigt en travers de sa gorge.

Lui et ses amis sont sunnites et tous ont manifesté bruyamment de joie à la pensée d’exercer vengeance contre les Alaouites.

De nombreux Alaouites, particulièrement en Turquie orientale où les Alaouites tendent à être arabophones et sont étroitement liés aux Alaouites de Syrie ; soupçonnent d’énormes enjeux géopolitiques, et les spécialistes des relations internationales disent qu’ils n’ont peut-être pas tort. Le gouvernement turc est dirigé par un parti islamiste qui essaye lentement mais clairement de mettre plus de religion, l’Islam sunnite en particulier, dans la sphère publique, tournant le dos à des dizaines d’années d’un système politique délibérément laïque. Les Alaouites d’ici trouvent profondément troublant, et assez hypocrite, de voir la Turquie faire équipe avec l’Arabie Saoudite, un des pays les plus répressifs au monde, et le Qatar, une monarchie religieuse, deux pays sunnites, pour apporter la démocratie en Syrie.

Les Alaouites relèvent le nombre croissant de djihadistes étrangers qui affluent en Turquie, en chemin pour la guerre sainte sur les champs de bataille syriens. Beaucoup de djihadistes ont l’idée bien arrêtée de transformer la Syrie, qui sous la direction de la famille Assad a été un des pays les plus laïcisés du Moyen Orient, en Etat purement islamiste.

«Est-ce que vous croyez vraiment que ces gars vont construire une démocratie ? » demande Refik Eryilmaz, un député Alaouire au parlement turc. «Les Américains font une énorme erreur. Ils aident la Turquie à combattre Assad, mais ils sont en train de créer d’autres Talibans.»

Les officiels Américains ont récemment révélé qu’un petit groupe d’agents de la CIA travaillait le long de la frontière syro-turque avec leurs homologues Turcs, pour sélectionner les rebelles qui recevront des armes. Les officiels Américains ont reconnu des inquiétudes sur l’attraction que pourrait exercer la Syrie pour des djihadistes, mais ils pensent que les combattants étrangers ne représentent encore qu’une toute petite partie de la résistance syrienne.

Ali Carkoglu, professeur de relations internationales à l’université Koc d’Istanbul, explique que le gouvernement turc recourt de plus en plus à un langage sectaire et essaye de jouer le rôle du « grand frère sunnite» dans la région. Comme en Syrie, la population turque est majoritairement sunnite.

Les Alaouites de Turquie craignent d e devenir des cibles faciles. Historiquement, ils ont été vus avec suspicion dans tout e Moyen Orient par les Musulmans orthodoxes et souvent rejetés comme infidèles. La secte alaouite est née au 9ème siècle et mélange ensemble des croyances religieuses, dont la réincarnation, issues de religions différentes.

Beaucoup d’Alaouites ne vont même pas à la mosquée ; ils tendent à faire leurs dévotions à la maison ou dans un temple alaouite qui s’es vu refuser le même soutien financier que celui qui est attribué aux mosquées sunnites. Beaucoup d e femmes Alaouites ne se voilent pas le visage  et ne se couvrent même pas les cheveux. Les villes où ils dominent dans l’est de la Turquie, où les jeunes femmes portent des débardeurs et des jeans serrés, semblent totalement différentes des villes religieuses sunnites à seulement quelques heures, où on peut avoir du mal à voir seulement une femme en public.

 «Nous sommes plus modérés,» explique Turhan Sat, un Alaouite Turc qui travaille dans une station service à Bridgeport dans le Connecticut et qui était en vacances en Turquie. Il sirtait unthé l’autre jour sue la place publique ombragée de Samandag, une ville majoritairement alaouite non loin de la frontière avec la Syrie.

 «Nous sommes tous avec Assad,» dit-il.

Pas bien loin, dans la ville majoritairement alaouite de Harbiye, il y a un nouvel article qui se vend tellement bien qu’il ne semble pas pouvoir rester sur les étagères des commerces : des tapisseries bon marché avec le portrait de M. Assad.

 «Tout le monde en veut,» déclare Selahattin Eroglu, un vendeur qui vient tout juste d’écouler son dernier article. «Les gens d’ici aiment Assad.»

Ce sentiment est peut-être en partie de l’autoprotection. Les rebelles Syriens cachent à peine une violente antipathie sectaire. Khaldoun al-Rajab, un officier de l’Armée Syrienne Libre [rebelle], dit avoir vu deux Alaouites en voiture tourner dans la mauvaise direction à Homs et se retrouver dans un quartier sunnite. «Bien sûr, ils ont été arrêtés et tués par les rebelles,» dit-il.

Peu de gens en Turquie imaginent une telle folie se déclencher de si tôt dans leur pays, où le contrôle [policier] est strict et qui a échappé pour l’essentiel à la violence sectaire.

Mais la foule menaçante devant la maison des Evli à Surgu a rappelé à beaucoup d’Alaouites la mort de plus de 30 Alaouites qui avaient été brûlés vifs en 1993 par un groupe d’islamistes dans la ville turque de Sivas.

C’est seulement après que des agents de police aient rassuré la foule en lui disant que la famille Evli allait déménager, ce que les Evlis ignoraient, que les gens se sont dispersés.

Quoique les Evlis soient aussi Kurdes, un autre groupe minoritaire en Turquie, ce qui a peut-être contribué aux sentiments de haine contre eux, Songul Canpolat, directrice d’une fondation alaouite en Turquie affirme que «L’idée que les Turcs Alaouites devraient être éliminés gagne du terrain.»

Les officiels gouvernementaux Turcs rejettent tout partipris contre les Alaouites, expliquant qu’ils ont fait un surcroît d’efforts  pour être « attentifs et sensibles aux craintes des Alaouites.»

«Bien sûr, nous ne prétendons pas que tous les problèmes sont résolus, » déclare Egemen Bagis, ministre des relations avec l’Union Européenne.

Il y a quelques mois, M. Eryilmaz, le député qui appartient à un parti d’opposition, était allé voir M. Assad à Damas. Il avait dit que M. Assad était en fait assez détendu et que tout le conflit portait en réalité sur la religion.

 «Ce qui se passe en Syrie est le volet syrien d’un projet international,» avait-il dit, avec le gouvernement turc qui s’est aligné sur l’Arabie Saoudite et le Qatar pour rendre cette région du monde plus «radicale» religieusement.

Il était assis dans un café d’Antakya, une ville frontière avec une importante population alaouite, et il piochait dans un plateau de baklavas pendant ces heures ensoleillées de l’après-midi, quand les musulmans qui observent le Ramadan font habituellement le jeûne.

 «Voyez mon peuple,» dit-il en souriant, ouvrant grand les bras comme pour envelopper des familles qui mangent des glaces et un jeune couple s’étreignant sur un banc public. «Mon peuple est libre.»

Sebnem Arsu contributed reporting from Antakya, and Hwaida Saad from Beirut, Lebanon.

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